Traquée : suspense du troisième type
Film d’invasion extraterrestre mixant de multiples références, Traquée cultive malgré tout une stimulante singularité. À voir !
S’il y a bien une figure qui a été utilisée jusqu’à plus soif dans la science-fiction au cinéma comme en littérature ou en BD, c’est bien celle du petit homme vert. Malingre et yeux exorbités de requin, l’extraterrestre anthropomorphique venu nous envahir en douce, cher à Fox Mulder, est un suspect habituel du genre, qu’il ait une personnalité plutôt avenante comme chez Spielberg (Rencontres du troisième type, E.T., les films Amblin) ou carrément agressive comme presque partout ailleurs (Signes, Dark Skies, Extraterrestrial, The Arrival, X-Files, ou dans une veine cartoonesque Mars Attacks!, pour ne citer que ceux qui nous viennent à l’esprit). Ces références, et d’autres encore comme La guerre des mondes ou Body Snatchers, le réalisateur de Traquée Brian Duffield – à qui l’on doit l’excellent et très différent Adolescence explosive – les a évidemment en tête. De son propre aveu, celui qui est aussi scénariste de The Babysitter a voulu s’éloigner des représentations plus conceptuelles qui ont récemment marqué le genre (Nope et Premier Contact en tête) pour s’autoriser un grand plaisir bis fantastique, dont la grande et bonne idée est de se passer presque entièrement de dialogue.
Des intrus très spatiaux
Brynn (Kaitlyn Dever, vue dans Booksmart et Dopesick) est une jeune femme qui vit à l’écart d’une petite ville américaine. Pour une raison qui va être dévoilée progressivement, Brynn est rejetée et seule depuis le décès de sa mère. Cette solitude va la mettre en péril puisqu’elle tombe une nuit nez à nez avec un alien qui a débarqué avec ses amis dans sa maison. Désemparée face à ces envahisseurs, Brynn tente tant bien que mal de se défendre et de leur échapper, avant d’aller prévenir ses voisins de l’invasion. Elle se rend vite compte qu’elle ne va pouvoir compter que sur elle-même (No one will save you, clame le bien plus explicite titre VO) pour survivre à cette menace venue de l’espace…
« Traquée s’élève au-dessus de son postulat de départ pour toucher à la fable surréaliste. »
Au carrefour du divertissement roboratif et du suspense high concept, Traquée réussit le pari de faire du neuf avec (sur le papier) beaucoup de réchauffé. Avec le recul, tout ce que propose ou raconte le film paraît mille fois vu, mais c’est dans l’exécution et l’agencement de ses ingrédients que le résultat bâtit, une séquence après l’autre, sa singularité. Dever n’a qu’une réplique dans le scénario, mais porte avec autorité le film sur ses épaules (sachant qu’elle joue seule face à du vide, ce n’est pas un mince exploit). Duffield se repose en effet sur sa seule mise en scène pour explorer son trauma, ses obsessions, son instinct de survie qui se déploie face à des aliens autour desquels se construit également tout une mythologie (leurs tailles différentes, les parasites qui les accompagnent, leurs rayons lumineux et soucoupes FedEx, leur langage…). Après une première partie en forme de huis clos assez jouissif, Traquée étend son champ d’action et son ambition, avant de partir dans un dernier tiers bien plus expérimental et audacieux – sans aller jusqu’à nous perdre comme un Alex Garland.
Parce qu’il parle de survie, mais aussi de pardon, de deuil et laisse une part importante à notre imagination et à l’interprétation, Traquée s’élève au-dessus de son postulat de départ pour toucher à la fable surréaliste. Cela peut donner l’impression que le film joue sur plusieurs tableaux sans choisir son camp, mais cette générosité de tons, associée à une maîtrise évidente des effets spéciaux (le budget de 22 M€ est confortable mais pas mirobolant) et la musique évidemment essentielle de Joe Trapanese, joue plus en sa faveur qu’elle ne le dessert.