Est-ce une première ? Nous n’avons en tout cas aucun souvenir d’un film portant la mention « Adapté d’un podcast ». Tusk, le nouveau film de Kevin Smith triche toutefois un peu sur ce coup, puisque le podcast en question est une émission animée à la fois par Smith et son ami et producteur Scott Mosier. Pendant une heure, les deux compères ont en effet improvisé une histoire complète et délirante basée sur une publicité bizarre (qui s’avéra en fait être elle-même une blague, imaginée par un fan de Smith, Chris Parkinson). Sans doute étonné d’être autant inspiré, le duo a décidé en 2013 de transformer cette impro en véritable long-métrage, Tusk (littéralement « défenses ») devenant ainsi officiellement le second film d’horreur réalisé par Smith après Red State.
Qu’est-ce qui a donc fait tant rire le rondouillard Kevin et fait turbiner son imagination ? Tout simplement son concept, celui d’un tenancier de chambre d’hôtes qui proposerait d’accueillir gratuitement son visiteur si celui-ci acceptait de se déguiser… en morse, défenses comprises. Mosier et Smith ont donné une tournure plus glauque à cette plaisanterie digne d’un Jackass en posant l’idée que ce doux excentrique serait en réalité un vieillard illuminé rêvant de transformer physiquement ses victimes en morse, avec tous les « ajustements » que ce procédé implique.
« … I am the walrus, cu-cu-koo-tchou ! »
Dans Tusk, le rôle de ce grand taré, un Canadien nommé Howard Howe, revient à Michael Parks (Kill Bill), principale attraction de Red State et qui s’en donne à cœur joie dans la peau de cet ancien marin à la trompeuse bonhomie. Misanthrope au dernier degré après avoir survécu en compagnie de morses sur une île déserte, Howe trouve une proie idéale en la personne de Wallace Bryton (Justin Long, Dodgeball, Jusqu’en enfer). Wallace anime, joli clin d’œil, un podcast à succès sur des vidéos virales aux côtés de son ami d’enfance, Teddy (Haley Joel Osment, qui a dû manger un morse depuis Sixième Sens), et se rend au Canada pour débusquer une malheureuse star du Net. Ce dernier s’étant, hum, suicidé, Wallace, aussi suffisant et condescendant que puisse l’être un Américain bon teint en voyage au Canada, se rend à Manitoba pour écouter les histoires de marin de Howe. Sa soirée, qui promettait d’être mémorable, prend un tour bien plus affreux au petit matin…
Aussi incroyablement cintré que puisse sonner le pitch de Tusk (et Smith tire une bonne partie de l’énergie comique de son film de ce fait-là), la principale qualité du film est sans aucun doute la dévotion avec laquelle le réalisateur l’exploite jusqu’à ses limites. Jusqu’où peut-on aller avec cette idée d’un homme-morse ? Très loin, nous répond avec un rire sardonique le créateur de Clerks, qui prend soin de définir son personnage de Howe avec un maximum d’attention et de dialogues. Malgré ses obsessions farfelues, ce dernier n’a rien d’un scientifique échappé d’une production Asylum qui prendrait son pied en mélangeant les gênes d’une pieuvre et d’un requin-tigre. Non, Howard Howe a une vision bien plus « pragmatique » et constructive de son grand dessein, et le concept très bis au centre de Tusk se révèle bien vite être une véritable source d’horreur, tant le traitement que Howe réserve à l’antipathique, mais attachant Wallace dépasse l’entendement.
Rire ou blêmir ?
Bien qu’il ne soit pas exagérément gore, Tusk contient son lot de visions horrifiques et, pour les plus impressionnables, plutôt dérangeantes, les maquillages prosthétiques de l’atelier KNB se chargeant de donner un aspect crûment réaliste à cette transformation contre-nature. Smith tire le meilleur de la confrontation entre Long, aussi exubérant que possible jusqu’à son point de non-retour, et Parks, cabotineur hors pair dont le regard halluciné sied à merveille à ce type de personnages diaboliques dont la folie semble être sans limites. De ce pitch, Kevin Smith ne pouvait malgré tout tirer une histoire remplissant les 90 minutes réglementaires. Howe ne pouvait être le seul centre d’attention de l’histoire, ce qui explique la narration morcelée façon indé, purement gratuite, et surtout la sous-intrigue dédiée à Teddy et à la compagne de Wallace, Ally (la mimi Genesis Rodriguez, vue également dans Dos au mur et Hours), partis à la recherche de ce dernier avec l’aide d’un détective pour le moins « exotique », Guy Lapointe.
[quote_center] »Jusqu’où peut-on aller avec cette idée d’un homme-morse ? »[/quote_center]
Un conseil : si vous ne savez pas qui se cache derrière les prothèses et la perruque de ce cliché ambulant haut en couleur, évitez de vous gâcher la surprise. Avec son accent improbable, ses tics physiques et ses aphorismes absurdes, l’arrivée de Lapointe à mi-parcours fait consciemment replonger Tusk dans un genre de comédie de situation typique de la filmographie de Kevin Smith. Là où Red State ne déviait jamais de sa route, quitte à devenir trop moralisateur, Tusk ne cherche plus à cacher le côté pantalonnade de l’entreprise, alors même que les scènes situées chez Howe relèvent du pur film d’angoisse gothique. Tusk navigue ainsi à vue, hésitant entre la grandiloquence et la tension d’un huis-clos placé sous le signe de la folie, et le relâchement d’une enquête mollassonne et en semi-improvisation, propice à des caméos qui fourniront la base d’un spin-off (Yoga Hosers, déjà tourné avec le même casting). Une hésitation qui culmine dans l’épilogue, à la fois comiquement surréaliste et étonnamment émouvant. Smith, apparemment, n’a pas envie de prendre tout ça au sérieux (ce qu’il souligne via la diffusion d’un extrait du fameux podcast pendant le générique de fin), ce qui peut se comprendre vu l’énormité de son pitch. Mais, tout de même : qui aurait pu imaginer qu’un film sur des hommes-morses puisse produire, ne serait-ce que grâce à l’implication d’acteurs y croyant à fond, une sensation de malaise et de dégoût viscéral ?
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Tusk
De Kevin Smith
2014 / USA / 102 minutes
Avec Justin Long, Michael Parks, Genesis Rodriguez
Sortie prévue en vidéo en mars 2015
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