Un prince à New-York 2 : une comédie très fin de règne
Plus de trente ans après l’original, Eddie Murphy explore à nouveau l’univers d’Un prince à New-York, avec une suite coincée dans l’hommage et la redite.
Réalisé par un John Landis alors au sommet de sa verve comique et sorti en 1988, Un prince à New-York est devenu dès sa sortie un phénomène de la comédie US, le témoin de la popularité alors immense de sa vedette Eddie Murphy. Quand on pense aux années 80 et à Hollywood, l’impression demeure souvent que Tom Cruise, Stallone et Schwarzenegger en étaient les rois, mais on oublie encore trop souvent de rappeler que Murphy, talent précoce révélé par le Saturday Night Live et le stand-up, était alors une immense star, enchaînant dans cette décennie pas comme les autres les succès planétaires. Un prince à New-York, avec son pitch de comédie romantique assaisonnée de conte moral rejouant avec malice le tropisme du choc culturel, était un divertissement désarmant de naïveté et de bonne humeur, mélange de gags visuels, de répliques crues et de cabotinage éhonté de la part de Murphy et de son partenaire Arsenio Hall (lui aussi vedette de stand-up). Peut-être pas un classique intemporel, mais une Madeleine de Proust pour les Américains, qui en connaissent les punchlines par cœur.
Alors quand Eddie Murphy, qui entame sa soixantaine, a décidé au mi-temps des années 2010 de réfléchir à son come-back après pas mal d’années d’inactivité (il n’a tourné qu’un film en presque huit ans), le projet de suite d’Un prince à New-York s’est imposé de lui-même. Envisagé un temps comme une sorte de remake, sans Murphy au générique, Un prince à New-York 2 s’est mué en véritable séquelle tardive, du genre de celles qu’Hollywood multiplie ces derniers temps (voir le futur Ghostbusters), où la quasi-intégralité du casting original reviendrait jouer les prolongations. L’expérience de voir les deux films coup sur coup a quelque chose de doucement triste. Le film de John Landis semble à tous les niveaux appartenir à un autre temps : les décors, les codes humoristiques, les techniques de trucage, le rythme, la morale ont changé, l’esprit mi-trash mi-bon enfant, surtout, a laissé la place à quelque chose de plus calculé, et clairement, de plus vain aussi. Là où le Landis n’était que fraîcheur et bons sentiments, cette suite réalisée par Craig Brewer (Dolemite is my name, vrai come-back de Murphy pour le coup) patauge dans la redite et l’hommage servile, comme s’il jetait d’emblée l’éponge faute d’ambition.
Retour au Zamunda
Trente ans après, donc, nous sommes de retour au Zamunda, royaume africain imaginaire dont les traditions royales et la richesse inversent de manière jouissive l’imaginaire traditionnel associé au colonialisme blanc – un monde qui préfigurait aussi inconsciemment le Wakanda de Black Panther, d’ailleurs cité comme un juste rendu dans les dialogues de cette suite. Le prince Hakeem (Murphy) est père de trois filles et devient roi à la mort de son père (James Earl Jones). Menacé d’invasion par le dictateur du pays voisin (Wesley Snipes, qui se fait plaisir à chaque seconde) s’il ne marie pas son aînée de force pour avoir un souverain mâle, Hakeem apprend qu’il a un fils bâtard en Amérique (Jermaine Fowler), fruit d’une nuit d’amour embrumée dans le Queens – l’occasion de ressortir des images du premier opus, assorties de liftings numériques hideux et malaisants. Le roi retourne donc à New-York, mais la visite ne dure qu’un temps : cette suite propulse vite ledit rejeton, glandeur professionnel, sur les terres du Zamunda, comme un poisson hors de l’eau confronté à une culture qui le dépasse, le scénario se construisant comme un miroir de l’original. L’héritier va-t-il se montrer digne de succéder à ce père qu’il ne connaissait pas ?
« Un prince à New-York 2, dès ses premières minutes, semble déjà avoir renoncé à recréer la magie de l’original. »
Ce suspense intenable n’est pas la préoccupation première d’Un prince à New-York 2, qui dès ses premières minutes semble déjà avoir renoncé à recréer la magie de l’original. Comme souvent dans ce genre de projet, la volonté de récolter les fruits de la nostalgie sur le dos du spectateur empêche toute ambition de s’épanouir. Une bonne partie du film consiste à donner à chaque « revenant » son moment de gloire, une occasion d’offrir une variation de son rôle dans l’original, et ce genre de blagues, inévitablement, tombe systématiquement à plat – même un éléphant random croisé dans le premier épisode aura le droit ici à son caméo « 30 ans après ». Le film se pique aussi de chorégraphies martiales, incongrues et filmées avec les pieds, ou d’émancipation, thème inclus au chausse-pied dans une histoire, rappelons-le, de mariage royal et d’accès au pouvoir par les liens du sang. Tout le projet, bancal et arythmique, trahit sa dimension mercantile, son côté happening sans substance où la bonne humeur, la musique et les paillettes masquent une absence d’effort assez voyante. C’est une comédie en mode « dernier tour de piste », qui n’ajoute rien à la magie de son modèle, mais donne en revanche envie de se replonger dans la filmo « murphienne » des années 80, un temps où l’on prenait encore la peine de créer des mythes et des univers inédits plutôt que de passer notre temps à leur rendre cyniquement hommage.