Violation : une vengeance clinique et déroutante
Expérience brutale et inconfortable, Violation explose les codes du film de vengeance, sans toujours convaincre.
C’est l’histoire d’un mariage qui bat de l’aile sans vraiment le dire. Miriam (Madeleine Sims-Fewer) et Caleb (Obi Alili) ont beau se noyer dans les discussions sur la route qui les mène au grand cottage de la sœur de Miriam, Greta (Anna Maguire), il est clair qu’un gouffre émotionnel les sépare, de plus en plus. Arrivé sur place, au bord d’un lac niché dans une forêt sauvage, ainsi que le montrent les premières images de Violation, le couple retrouve Greta et son mari Dylan (Jesse LaVercombe) pour un week-end au coin du feu. Non-dits, frustration, jalousie, fausse cordialité : le barbecue dans la nature a des airs de lente torture en famille. Un soir, Miriam se confie sur ce qui la tourmente à son beau-frère, qu’elle connaît depuis des années… Nul besoin d’être devin pour comprendre le sujet de Violation, expérience éprouvante découverte lors du dernier festival en ligne du BIFFF, réalisée à quatre mains par l’actrice Madeleine Sims-Fewer et Dusty Mancinelli.
Attention spoilers
Bien qu’il n’en adopte ni les codes, ni l’esthétique, ni la structure, ni, surtout, le principe de violence expiatoire brouillant à chaque fois les pistes de la morale, il s’agit bel et bien, dans son intrigue, d’un rape&revenge. Miriam y est à la fois une victime et un bourreau, qui espère une forme de reconstruction en s’abandonnant à une sauvagerie clinique, mais ne fait que précipiter son annihilation émotionnelle, sa fragilité éprouvée laissant entièrement la place à un bloc de rage compact, bouillonnant, impossible à apaiser.
Tempête psychologique
Si le scénario déroulé par Violation est relativement simple (le film approche les deux heures surtout parce qu’il empile les longues scènes de dialogue semi-improvisé, qui le ramènent souvent du côté du mumblecore), son traitement narratif est lui tout à fait anti-conventionnel. Sims-Fewer et Mancinelli fragmentent la chronologie avec une ferveur presque malickienne, abolissant la notion de temps écoulé entre le week-end initial et le moment où Miriam « passe à l’action », avec toutes les épouvantables conséquences que cela implique – notamment pour les spectateurs les plus fragiles, qui seront mis au supplice par des séquences d’une redoutable horreur clinique. Le point de bascule fatal, la faute impardonnable autour de laquelle tout gravite, se dévoile dans un flash-back se dérobant au regard, tout en gros plans confus et sons étouffés se confondant avec la nature environnante. La photo accumule les contre-jours et couleurs miroitantes, comme si tout cela n’était qu’un mauvais rêve. Mais Miriam, comme n’importe quelle femme faisant face à ce drame le sait intimement : tout cela était bien réel
« Violation est un avatar d’un drame de Lars Von Trier, avec ce que cela suppose de fausse quiétude et d’organes génitaux copieusement exposés. »
Se pose alors la question de la légitimité de sa quête de vengeance, dont Dylan va être l’inévitable victime. Nous ne sommes pas dans un fantasme de film d’action multicolore à la Revenge ici, mais dans un avatar nord-américain d’un drame de Lars Von Trier, avec ce que cela suppose de métaphores percutantes (Miriam rencontre plusieurs fois un loup, créature prédatrice par excellence), de fausse quiétude et d’organes génitaux copieusement exposés. Parce qu’il illustre, dans son montage, dans ses dialogues passifs-agressifs (le rapport amour-haine que Miriam entretient avec sa sœur complexifie les choses), dans la froideur viscérale de sa mise en scène, dans le jeu fiévreux de sa téméraire actrice-réalisatrice, une véritable tempête psychologique intérieure, Violation ne peut donner aucune réponse franche. Il secoue, par contre. Fort. Et nous énerve, parce qu’il construit un chantage émotionnel qui est aussi une véritable impasse morale. Que doit-on tirer comme leçon de cette spirale infernale dans laquelle s’engage Miriam ? L’homme est un prédateur, mais la femme aussi ? Aucun pardon n’est possible, donc aucun salut non plus ? Des questions cafardeuses, qui suggèrent que Violation est plus fort pour attiser les débats que pour nous convaincre.