6 Underground : une orgie d’action qui fonce droit dans le mur

par | 18 décembre 2019

Encore moins reluisant qu’un Fast & Furious, 6 Underground confirme la stupéfiante vacuité actuelle du cinéma de Michael Bay, frénétique jusqu’à donner la nausée.

S’il y a bien un film en 2019 dont le budget a fait couler de l’encre, c’est The Irishman. Combien de fois ont été évoqués les 140 millions de dollars attribués à Martin Scorsese pour parfaire sa saga mafieuse feutrée et les maquillages numériques de ses stars ? La production Netflix n’est pourtant pas la plus dispendieuse de l’année : cet honneur revient sans contestation à Six Underground, dont les finances sont passées un peu plus sous le radar, pour la simple et bonne raison qu’elles allaient de soi. Tourné dans plusieurs pays avec une star ô combien bankable en tête d’affiche, à savoir Ryan Reynolds, ce film d’action est le nouveau joujou de Michael Bay, le pape du destruction porn, coupable de pas moins de cinq épisodes de Transformers toujours plus abscons et indéfendables.

Délaissant la science-fiction pour un univers plus « terre-à-terre » (ahem), Bay a décidé de se frotter à l’espionnage façon Mission : Impossible en profitant manifestement beaucoup de la liberté conférée par Netflix. Six Underground est donc l’aboutissement logique de ce qu’est devenu son cinéma ces dernières années : de sympathiquement bourrin et flashy (impossible de ne pas reconnaître le sens du plan-choc qui parsèment les films les plus potables du loustic), nous en arrivons  aujourd’hui à un summum de frénésie mal gérée, de mauvais goût qui confine à l’irresponsable nauséeux, et de jmenfoutisme narratif, tonal et esthétique qui rend l’expérience non pas jouissive mais consternante.

Attention, tes yeux vont saigner

Surnommé « One », le milliardaire incarné par Reynolds dans Six Underground est à la tête d’une escouade de spécialistes laissés pour morts afin de mieux rendre la justice sans s’enquiquiner avec « l’administration » étatique. Présentés en freeze frame avec des cartons colorés (bienvenue en 2001 !) lors d’une poursuite inaugurale à Florence (et à Sienne aussi, mais après tout, Ronin aussi se moquait bien de la cohérence géographique d’une poursuite à son époque), ces beautiful people appelés par leur numéro sonnent creux d’emblée. Outre le fait que la plupart ont une fonction nébuleuse – le yamakazi qui bondit de toit en toit… pour quoi faire, on ne comprendra jamais, la femme médecin qui ne soigne pratiquement personne -, le film veut nous faire adhérer à un concept de justice citoyenne qui cadre mal avec les dommages collatéraux que ces psychopathes surexcités sèment sur leur passage.

« Un summum de frénésie mal gérée, de mauvais goût qui confine à l’irresponsable nauséeux, et de jmenfoutisme narratif, tonal et esthétique qui rend l’expérience non pas jouissive mais consternante. »

C’est évident dès ce morceau d’ouverture qui voudrait nous coller au fauteuil de la même manière que les aventures de James Bond ou Tom Cruise, mais façon Bay : la voiture des héros est donc vert fluo, les véhicules explosent comme si c’était le 14 juillet, on y détruit des œuvres d’art sur fond de remix techno de Carmina Burana (vous le sentez, le symbole subversif ?), et des passants sont renversés pour le simple plaisir d’une punchline moisie (« Je suis persuadé que j’avais la priorité »). C’est du n’importe quoi assumé, blindé de faux raccords grossiers, d’emprunts anachroniques et inexplicables à Assassin’s Creed, et propulsé par un montage stroboscopique qui réduit à néant toute notion de rythme ou de fluidité spatiale. Ces vingt premières minutes servent surtout à poser la note d’intention évidente du projet : Six Underground, c’est Fast and Furious avec les potards à 11, plus de filtres mordorés et moins de censure.

Fun ? Si seulement

Cette approche « love it or leave it » peut fonctionner à certains niveaux en sa faveur. Aussi repoussant soit-il, le style de Bay lui appartient, et les faiseurs de blockbusters décérébrés qui ont suivi sa route après la période Bruckheimer n’ont pas vraiment la même vista technique ou le même don pour l’exagération nonsensique. Six Underground recèle un ou deux moments de folie (l’inondation d’un penthouse au sommet d’un gratte-ciel de Hong-Kong, un super-aimant qui envoie valser sans trop de logique les sbires d’un gros yacht), qui s’apparentent à ce qu’on pourrait attendre d’un divertissement démesuré pas trop concerné par le réalisme des situations.

Mais même en étant clément, impossible de nier le bordel sans nom que constitue cette wannabe franchise peuplée de protagonistes transparents (la pauvre Mélanie Laurent, dont le jeu consiste à fixer des pans de mur les yeux hébétés pour oublier sa gêne, mérite notre compassion), qui réussit à rendre confuse une timeline pourtant pas d’une complexité transcendantale. Trop occupé à peaufiner les vannes trop lol (non) de Ryan Reynolds, les scénaristes Rhett Reese et Paul Wernick (Deadpool) ont oublié de rendre cette histoire de renversement de dictateur d’un pays imaginaire, cohérente ou surprenante. La solution de « One » et sa clique pour amener la démocratie ? Remplacer le tyran par son frère ! Le niveau de pertinence politique de Six Underground ressemble ainsi à celui qu’aurait un enfant de dix ans qui terminerait avec difficulté son premier numéro de Courrier international.

Mais pourquoi prétendre que Six Underground en a quelque chose à carrer de la géopolitique ? C’est fun, bordel ! Oh, si seulement. On nous dit qu’il faut apprécier ce capharnaüm à la fois clinquant et paresseux pour ce qu’il est, en déconnectant son cerveau, et en oubliant si possible les placements produits grossiers ou l’objectification des personnages féminins. Mais à ce stade de beauferie auto-satisfaite, à ce point de nivellement vers le bas de ce que devrait être un « pur kiff», incapable de clore les hostilités avec une réplique potable, c’est plutôt la mort cérébrale qui nous guette.