Trente ans déjà. Trente ans que l’on a laissé Max Rockatansky au-delà du Dôme du Tonnerre, guerrier de la route condamné à rester ce loup solitaire ballotté d’un conflit à l’autre, un survivant à l’âme torturée au cœur d’un désert post-apocalyptique. La trilogie des Mad Max, née du cerveau fertile de George Miller, a marqué au fer rouge l’imaginaire cinématographique des années 80. Et qu’importe si le troisième opus, résultat bancal d’un tournage éprouvant à mi-chemin entre l’Australie natale du réalisateur et Hollywood, pâtissait de la comparaison avec ses deux vénérés prédécesseurs : l’univers associé au « Road Warrior », à sa Turbo Interceptor et à ses paysages désolés peuplés de sauvages et de survivants guerroyant pour les dernières gouttes de pétrole, a fait long feu.
Mad Max 2, en particulier, a eu une telle influence qu’il a causé à lui seul la naissance d’un sous-genre exotique et gentiment nanardeux, le « Post Nuke », qui de 2019 après la chute de New York jusqu’à Doomsday, a fait le bonheur des rats de vidéoclubs. Les nouvelles générations, sans doute peu familières avec cette saga pré-digitale, ne se rendent sans doute pas compte du nombre de jeux vidéo s’abreuvant littéralement à cette source visuelle et narrative, Rage et Borderlands étant deux des plus récents et célèbres exemples. Personnifié par un Mel Gibson iconisé à chaque plan, soumis de la part de son réalisateur et ami à un long chemin de croix dramaturgique, « Mad » Max aurait pu être défiguré par un merchandising indécent, une exploitation mercantile et sans intérêt, et des séquelles à répétition. L’échec relatif de Mad Max au-delà du Dôme du Tonnerre a au contraire sonné l’arrêt de la saga en 1985, et depuis, le personnage est demeuré intact, intouché.
Max l’arlésienne
George Miller, de retour aux commandes de la trilogie qui l’a fait rentrer au panthéon du cinéma mondial, s’apprête à lâcher sur les écrans le tant attendu Mad Max Fury Road, avec la bénédiction d’un studio, Warner Bros, bien décidé à soutenir sa vision sans compromis. La présentation du film au Comic Con de San Diego, où il fait sensation, n’est que la première salve d’une opération de marketing visant à faire à nouveau de Mad Max une franchise à succès. La bonne nouvelle, c’est que le film sur lequel cette opération repose s’annonce tout simplement renversant.
Cette remise à jour cinématographique ne s’est toutefois pas faite en un jour. L’idée d’un nouvel opus est venue à George Miller à la fin des années 90, date à laquelle Mel Gibson, encore une star au pouvoir écrasant aux USA, était attaché au projet. Avec un script fin prêt (où il était question d’héritage, le fils de Max devant prendre la relève de son père qui aurait disparu à mi-parcours), des financiers motivés, le quatrième Mad Max devait se tourner en 2001… avant le 11 septembre, qui ruina par ricochet économique les chances que le projet voie le jour. Mad Max 4 demeurera tout au long des années 2000 la grande arlésienne de George Miller, entre-temps parti tourner en studio les deux films d’animation à succès Happy Feet 1 et 2, soit un univers complètement différent, mais porté par la même obsession du rite initiatique. Après un nouvel essai infructueux en 2003, l’engagement de Mel Gibson à reprendre le rôle qui a construit sa carrière diminua, à tel point qu’un nouvel acteur, Tom Hardy (The dark knight rises) fut choisi, aux côtés de Charlize Theron, pour endosser le cuir usé de Rockatansky. C’était en 2009-2010, et là aussi, il a longtemps semblé que le film (ou plutôt les films, puisqu’il a été un temps question que deux longs-métrages, Fury Road et Furiosa, soient tournés coup sur coup) n’allait jamais devenir réalité.
L’amour du risque
George Miller lui-même s’en amuse : il y eut d’abord ces lieux de tournage en Australie, où fut tourné Mad Max 2, qui se gorgèrent d’eau au point d’être inutilisables. Le nouveau décor déjà choisi en 2003, la Namibie, se révéla être un pays sensible pour y transporter l’imposant matériel nécessaire à la création des dizaines de véhicules imaginés par Miller et son équipe. Finalement, le tournage eut bien lieu entre juillet et décembre 2012. Les photos des incroyables camions, muscle cars, buggies et voitures construits de toutes pièces pour l’occasion, ont longtemps constitué les seules preuves visibles de la réalisation d’un quatrième Mad Max.
Un an plus tard, Fury Road était encore au garage. La décision conjointe de Miller et Warner Bros d’entamer une session de reshoots en novembre 2013 a longtemps laissé craindre le pire sur le destin du film, dont le budget est aujourd’hui estimé à 100 millions de dollars. Créateur et auteur complet, doté d’une assurance visuelle incomparable, Miller a donné pas mal de sueurs froides à ses producteurs en se basant uniquement sur un storyboard détaillé dessiné par Brendan McCarthy (Judge Dredd, tiens, encore du post-apo…), et non un scénario, pour le tournage, et surtout en refusant le plus souvent possible d’avoir recours aux technologies digitales (comme les Fast & Furious) pour mettre en scène ses cascades. Une gageure, lorsqu’on sait que le film est vendu comme une seule et longue course-poursuite promettant de battre en intensité les 25 dernières minutes de Mad Max 2. Ce retour aux bonnes vieilles méthodes sonne aussi, paradoxalement, comme un bond en avant artistique, les technologies actuelles permettant de magnifier avec encore plus de précision les exploits des cascadeurs et l’impact à l’écran de leurs prouesses.
La poursuite impitoyable
Juillet 2014 : après des décennies de development hell, d’annonces sans lendemain et de reports frustrants, chroniqués depuis des années par quelques fans assidus comme le blogueur Seri Zed, « maxophile » invétéré qui a compilé des centaines de news visibles sur son site et dans les méandres du forum de Mad Movies, Mad Max Fury Road dévoile ses premières images à l’occasion du Comic Con, et souffle littéralement l’audience. Le trailer, l’un des plus impressionnants de récente mémoire, plante en une image (Max, de dos, et sa Turbo Interceptor) et une phrase (« My name is Max. My world is fire and blood ») un décor familier, pour tout de suite le dynamiter par un montage inspiré, construit à partir de tant de plans scotchants et hallucinants que tous ont depuis été extraits et postés sur Internet. Manifestement encore en cours d’étalonnage, le film, qui croule sous les couleurs chaudes – la direction prise par le réalisateur à ce niveau semble être au cœur de beaucoup de débats – se passe presque entièrement de dialogues, ne révélant pour l’instant pas grand-chose d’une intrigue pensée « en ligne droite ».
[quote_center] »Ce retour aux bonnes vieilles méthodes sonne aussi, paradoxalement, comme un bond en avant artistique, les technologies actuelles permettant de magnifier avec encore plus de précision les exploits des cascadeurs et l’impact à l’écran de leurs prouesses. »[/quote_center]
En gros, il s’agira d’une réinterprétation du mythe, où surgissent des éléments connus (la voiture emblématique, le chariot et le masque des suppliciés du deuxième épisode, où se retrouve cette fois piégé Max, une communauté d’opprimés poursuivis par un seigneur de guerre) au sein d’un univers lui aussi revu et corrigé pour le XXIe siècle. Charlize Theron incarne l’Imperator Furiosa, une guerrière amputée d’un bras qui veut faire traverser le désert à cinq femmes pour rejoindre sa terre natale, aidée notamment par l’étrange Nux (Nicholas Hoult, vu dans X-Men et Warm Bodies). Elle se retrouve poursuivie par les hommes d’Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne, qui jouait aussi le méchant Toecutter… dans le premier Mad Max, en 1979 !), qui ont capturé de leur côté le malheureux Max, finalement peu présent dans la première bande-annonce, mais projeté donc en plein cœur de cette « Guerre de la Route», selon les termes de Miller. Les premiers échos parlent d’un film dont l’intrigue se construit au cœur de l’action, en peu de mots, et entre deux furieuses (forcément) cascades de haute voltige.
Une vision dantesque et sauvage
De ce côté-là, l’hypnotique bande-annonce a de quoi rassurer : le choix de Miller de marier béquilles digitales – la tempête, le bras de Theron, et quelques effets physiques et climatiques impossibles à recréer sont les seules choses non réelles à l’écran – et monde créé en dur porte immédiatement ses fruits (1). La très longue gestation du film a manifestement permis au réalisateur australien de peaufiner en détails ses visions dantesques, grotesques et sauvages, tout en imposant, à contre-courant des habitudes de l’industrie, une narration purement visuelle et incroyablement viscérale. S’il lui suffit de 2mn30 pour nous prendre ainsi aux tripes, que peut-on espérer d’autre du résultat final qu’une claque magistrale ? Réponse le 13 mai 2015, en 3D, pourquoi pas à Cannes…
(1) Signe qui ne trompe pas, le retour aux décors et véhicules créés en dur est aussi une décision capitale prise par JJ Abrams pour les besoins de l’Episode VII de Star Wars.
Bande-annonce finale « Main trailer »
MAJ : 31 mars 2015, alors que la sélection officielle cannoise (hors compétition) du film est maintenant connue – avec une sortie désormais prévue pour le 14 mai -, Fury Road assène un dernier coup de semonce avec ce « main trailer » dévoilant de nombreux aspects de l’intrigue et une quantité proprement ahurissante de cascades et plans spectaculaires. Surtout, Max repasse enfin au premier plan de l’action ! Une chose est sûre : le film enterre en un peu plus de deux minutes l’intégralité de la production à grand spectacle de cette année.
Bande-annonce 2
MAJ : 10 décembre 2014, l’année se termine avec, sans prévenir, l’arrivée du nouveau trailer de Fury Road, tout aussi (voire plus ?) hallucinant que le premier, et qui sans en révéler trop sur l’intrigue (qui se passera véritablement pour l’essentiel, selon Nicholas Hoult, de dialogues), permet de saisir l’ampleur du monde post-apocalyptique créé par Miller.
Tout cela a l’air bien alléchant, même sans Mel Gibson. Vivement 2015 !
Mel Gibson qui ne fera pas, contrairement à ce que laissaient penser certaines rumeurs, de caméo dans le film. Vivement, malgré tout, en effet !