Au milieu de l’invraisemblable galaxie de reboots, remakes et réinterprétations régurgités ces dernières années par Hollywood, La planète des singes : les origines fait encore aujourd’hui figure d’heureuse exception. Piloté par un bleu (Rupert Wyatt, qui n’avait alors réalisé qu’un seul petit film dans son Angleterre natale), dénué de stars en dehors de James Franco, reposant sur un principe de préquelle risqué – même si le scénario reprend en grande partie les éléments du scénario de La conquête de la planète des singes (1972) – et la promesse d’effets spéciaux photoréalistes, ce blockbuster inhabituel misait avant tout sur l’émotion véhiculée par ses personnages plutôt que sur une avalanche de morceaux de bravoure. Sans être parfait, le résultat possédait une âme, toute entière visible dans le regard digital et pourtant si réel de son héros, le singe César, interprété à même le plateau de tournage par Andy Serkis.

Celui qui, aidé par le miracle de la technologie, a donné vie à Gollum et King Kong, a sans doute trouvé dans cette inépuisable franchise, son meilleur défi. Car la suite tant attendue des Origines, La planète des singes : l’affrontement, le montre sans ambages, dès son plan d’ouverture révélé il y a de cela quelques mois dans le teaser officiel : César est la vraie star de cet univers cinématographique, sa prouesse en même temps que son roc dramaturgique. C’est dans la profondeur de ses yeux que le public veut se plonger (et en 3D cette fois-ci), c’est son histoire et son évolution qui intéresse le plus l’audience et, de facto, le réalisateur Matt Reeves (Cloverfield, Let me in), venu relever le challenge d’un blockbuster technologiquement plus ambitieux que son prédécesseur. De ce côté, L’affrontement remplit allégrement ses promesses…

Welcome to the jungle

La planète des singes, l’affrontement : gloire à César !

Dix ans ont passé depuis la propagation, à l’échelle mondiale, du virus simiesque aperçu dans le premier épisode. La quasi-totalité de l’humanité a été fauchée par la maladie. Retranchés dans les hauteurs d’une forêt californienne, le singe César règne depuis les événements du Golden Gate Bridge (qui, contrairement à ce que laisse penser l’affiche, ne sera au centre d’aucune nouvelle scène d’action cataclysmique) sur la communauté simiesque qui l’a suivi. Cette société primitive, mais disciplinée et solidaire, vit loin des hommes, qu’elle considère encore comme ses pires ennemis. La trêve est rompue le jour où Malcolm (Jason Clarke, solide dans son premier rôle en tête d’affiche), à la tête d’un petit groupe d’humains, pénètre sur leur territoire. Malcolm et les siens vivent encore dans les ruines de San Francisco, et sont venus réparer un barrage susceptible de ramener de l’électricité en ville. César, méfiant, consent à l’organisation d’une trêve, au grand dam de son lieutenant Koba (Toby Kebbell, grand échalas vu dans The East et Cartel), qui ne garde aucun bon souvenir de son temps passé avec les humains. La paix entre les deux espèces sera de courte durée…

La dimension intimiste des Origines (dont l’action se situait pour une bonne part dans une grande demeure) n’est, on le voit, plus de mise dans L’affrontement. Le premier quart d’heure, formellement fabuleux, met d’emblée la barre plus haute question immersion : sous une pluie battante, au cœur de la forêt, la caméra se concentre toute entière à la description d’une vie en communauté, en se passant intégralement de dialogues, les singes ayant avant tout développé un langage des signes – un parti-pris que le scénario abandonnera de manière assez incohérente en cours de route. Qu’ils chassent ensemble en virevoltant d’arbre en arbre, ou viennent couver leurs familles dans un village aux allures d’Eden rocailleux, César et les siens sont si réalistes, si « vivants » que la véritable mise en route des événements dramatiques du film arrive presque comme un cheveu sur la soupe. Car passée cette longue et incroyable introduction ethnologique, rythmée par la partition à la fois atonale et tribale de Michael Giaccino (Star Trek, mais aussi et surtout Lost), L’affrontement s’engage sur des rails que l’on qualifiera de classiques, puisant une bonne partie de ses idées et de ses balises narratives dans les genre du western et de la SF post-apo, ainsi que dans la tragédie shakespearienne, tout en se soumettant plus que de raison aux passages obligés du divertissement estival.

L’impossible entente

La planète des singes, l’affrontement : gloire à César !

Difficile en effet de ne pas reconnaître dans ce rapprochement fébrile entre deux communautés qui se redoutent et s’exècrent sans vraiment se connaître l’opposition entre colons américains et Indiens, qui a fait le sel de tant de westerns. Tout y est : le commandant inflexible mais doté d’assez humanité pour déceler chez son adversaire des valeurs morales similaires, l’émissaire parachuté « en territoire ennemi » pour tenter de négocier une paix fragile, les seconds couteaux précipitant une guerre ouverte, et même l’attaque en règle du fort à l’aide d’une charge de cavalerie ! César, chef respecté (c’est lui le plus « évolué » du groupe) puis contesté quand il fait preuve de compassion, devient bien entendu, comme son patronyme le soulignait, un personnage shakespearien, un idéaliste dont le mantra « Apes together strong » (« Singes ensemble forts ») se heurte à un mur de ressentiments impossible à abattre. C’est le propre de saga initiée par l’écrivain Pierre Boulle : se servir d’un argument de science-fiction pour établir un parallèle saisissant avec notre société, dans sa propension à la haine et à la violence, comme dans son besoin de domination constante de tout ce qui lui est inconnu.

[quote_center] »L’affrontement s’engage sur des rails que l’on qualifiera de classiques, en se soumettant plus que de raison aux passages obligés du divertissement estival. »[/quote_center]

Ces questionnements, aussi synthétiques et simplifiés soient-ils (les scènes de rapprochement entre le fils de Malcolm et le grand singe Maurice, ou entre Malcolm et César, sont là pour souligner lourdement la possibilité d’une coexistence véritable entre ces deux mondes), confèrent assez de richesse à L’affrontement pour se distinguer de la masse des blockbusters. Ils permettent de passer outre la pauvreté extrême de toutes les séquences consacrées aux survivants de San Francisco, au parfum de déjà-vu, et le traitement caricatural des personnages humains entourant Malcolm, archétypes sans relief qui auraient été plus à leur place en chair à canon pour un Jurassic Park 4 quelconque. Il est évident que ce qui intéresse et motive le plus Matt Reeves, ce sont ses singes : plus nombreux, plus beaux, plus expressifs, plus attachants, ils sont même filmés avec plus d’inspiration que leurs cousins humains ! Les magiciens de Weta donnent tant de latitude aux réalisateurs que tous les angles, les conditions de lumière, et les types d’émotions sont possibles à l’écran. C’est bien simple : on s’extasie bien plus dans L’affrontement sur le rendu de la pluie sur la fourrure de César que sur les pérégrinations écolo-pacifistes de Malcolm et sa petite famille, tentant de ménager une paix qui reste de toute manière niée par le titre même du film.

Tout pour le show

La planète des singes, l’affrontement : gloire à César !

Il ne faut pas l’oublier, La planète des singes : l’affrontement doit aussi et avant tout être un film à grand spectacle. Une démonstration de haute technologie, certes plus maîtrisée et visuellement plus impressionnante que la moyenne, mais qui ne saurait se satisfaire d’incroyables textures de peau et de jeu d’acteurs performance-capturés, aussi bluffants soient-ils. Ces contingences éclatent dès la deuxième heure du film, où les rebondissements s’enchaînent de manière de moins en moins fluide, de moins en moins cohérente, jusqu’à verser dans le grand n’importe quoi à base d’affrontements en haute altitude (mais où est Spider-Man ?), d’ennemis increvables, d’évasion express et de grosses bombes qui font boum. Le morceau de bravoure déjà évoqué de l’attaque du fort humain sort clairement du lot, par sa rutilante énergie, ses plans iconiques au ralenti et ses idées visuelles efficaces (un panoramique complet suivant la tourelle d’un tank en pleine déroute, un plan-séquence à la Alfonso Cuaron suivant Malcolm dans une maison investie par des singes en colère).

Mais pourtant, la démonstration de force sonne comme un retour à un cahier des charges qui paraît trop familier. De fascinant, L’affrontement devient routinier, prévisible, et il faut grappiller, encore et encore, ces moments où César et Malcolm se croisent et se toisent, pour retrouver un peu de richesse émotionnelle. In fine, L’affrontement esquive l’argument le plus mis en avant durant sa promotion : pour reprendre les canons de la franchise, c’est moins d’une conquête dont il est question ici que d’une simple bataille, la « liaison » avec la canonique Planète visitée par Charlton Heston restant encore au stade des promesses. Rendez-vous au troisième épisode ?


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatre sur cinq
La planète des singes : l’affrontement (Dawn of the planet of the apes)
De Matt Reeves
2014 / USA / 130 minutes
Avec Andy Serkis, Jason Clarke, Keri Russell
Sortie le 30 juillet 2014
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