Au cas où quelqu’un l’oublierait, rappelons-le une dernière fois : la sortie d’II faut sauver le soldat Ryan, en 1998, a redéfini la manière de filmer les batailles à grande échelle. En immergeant au forceps le spectateur dans l’enfer des combats avec l’aide d’effets numériques, en optant pour une description frontale des affrontements, caméra à hauteur d’homme, Steven Spielberg a transformé le genre du film de guerre. Celui-ci reste pourtant rarement synonyme de succès au cinéma, Les Insurgés, Walkyrie, ou même Fury n’ont pas affolé le box-office, même si les sorties récentes et remarquées de Tu ne tueras point et du Dunkerque de Christopher Nolan l’ont remis sur le devant de la scène. Quel que soit le pays ou l’événement historique traité (les deux Guerres mondiales restent les conflits « favoris » des producteurs), la plupart des productions semblent condamnées à être regardées chez nous sur petit écran, indépendamment de leurs qualités ou de leur budget.
« Bonne fête papa » !
Le sous-genre du film de soldats reste une grande marotte : plutôt que de tenter l’épopée « globale » façon Le jour le plus long, producteurs et réalisateurs préfèrent coller aux basques d’un nombre réduit de personnages, chose courante à Hollywood durant l’immédiat après-guerre, dans les films de Robert Aldrich ou Samuel Fueller, entre autres.
Chaque année, la quantité est au rendez-vous (généralement au printemps, histoire d’être en phase avec le 6 juin et la Fête des Pères…). La qualité, elle, est plus rare, souvent à cause d’un manque criant de moyens. Concevoir des costumes, embaucher des figurants, faire péter un décor reconstitué, louer des tanks, ça coute cher !
Nous avons choisi de mettre en lumière des titres tous inédits au cinéma, beaucoup moins fauchés que la moyenne. Cette liste voyage aussi à travers le monde et les époques, histoire de varier les plaisirs. Enfin, façon de parler : la guerre, après tout, c’est l’enfer. Sauf au cinéma.
Far Away, les soldats de l’espoir (Corée du Sud – 2011)
Far Away, malgré tous les défauts qu’on pourra lui trouver (et ils sont bien présents) a une qualité qu’il est impossible de lui enlever : il porte à l’écran une histoire à peine croyable, avec une grosse dose de romanesque, certes, mais vraie malgré tout. Saviez-vous que durant la Seconde Guerre mondiale, un soldat coréen s’est retrouvé, sur plusieurs années, embrigadé de force dans trois armées différentes : d’abord l’occupant japonais, puis l’armée russe, et enfin les nazis, avec lesquels il a combattu durant le Débarquement avant d’être fait prisonnier par les Alliés ? C’est bien arrivé : le troufion a effectué un voyage de 12 000 km et n’en a jamais parlé avant qu’une photo d’époque, où il pose en uniforme allemand, ne soit retrouvée des décennies plus tard.
Le film de Kang Je-Kyu (responsable d’un autre film de guerre à très gros budget, Frères de sang) prend beaucoup de libertés avec la réalité : ce ne sont pas un, mais deux soldats, le coréen Kim (Jang Dong-Gun, déjà à l’affiche de Frères de sang) et le japonais Tatsuo (Jô Odagiri), qui traversent ensemble cette guerre. D’un assaut suicide en Mandchourie au froid sibérien des camps de prisonniers soviétiques, en passant par l’Ukraine et les plages normandes, l’action forme ici un panorama furieusement épique, tournant successivement les tables entre oppresseurs et oppressés. Pourtant, les ellipses grossières, le caractère mécanique de cette accumulation de chapitres guerriers empêche souvent de s’attacher aux personnages qui entourent notre duo de survivants malchanceux.
Kang Je-Kyu n’est pas un cinéaste connu pour sa subtilité, et Far Away baigne de fait dans la caricature la plus simpliste : ce qui l’intéresse plus, c’est de profiter au maximum de son budget — 25 millions de dollars, un record pour la Corée du Sud —, de l’aisance apportée par un tournage au long cours (trois ans de préparation ont été nécessaires) et des effets spéciaux quasiment photoréalistes, qui lui permettent de récréer les bunkers d’Omaha Beach, les paysages dévastés du front russe et le vieux Séoul avec un égal souci du détail, et un œil attentif porté au style et à la palette de couleurs délavée du Spielberg du Soldat Ryan. Far Away se place pourtant bien plus du côté d’un certain cinéma pompeux, lyrique parfois jusqu’à l’absurde : plans aériens, ralentis sursignifiants, lyrisme belliqueux, batterie de violons omniprésente… Chaque émotion, chaque rebondissement est accentué et dramatisé à outrance. C’est bourrin, parfois à la limite de l’agression sonore. Malgré tout, le côté mélo forcené du film ne parvient pas à entamer la force d’évocation de cette “anecdote” historique digne des fresques de David Lean, qui sait faire oublier par moments les longueurs et les maladresses.
Voir notre critique de Far Away.
Disponible en DVD et Blu-ray
Commandos de l’ombre (Australie – 2010)
Bien qu’il joue habilement avec la réalité des faits, Commandos de l’ombre propose de suivre une histoire passionnante et largement méconnue. Beneath hill 60 (en VO) se déroule durant la Première Guerre mondiale, l’un des premiers conflits dans lequel les soldats des Antipodes se sont engagés. Jeune nation, l’Australie a envoyé comme tant d’autres pays ses troupes la fleur au fusil, découvrir dans les tranchées l’horreur d’une guerre sans fin et sans gloire.
Dans un enfer de boue et de cratères, le film suit le combat d’une poignée de soldats, en fait d’anciens mineurs, spécialisés dans la construction de tunnels souterrains. À eux de creuser leur voie jusqu’aux lignes ennemies, pour y faire exploser, sous les pieds des Allemands, des bombes judicieusement placées. Éclairé à la lueur des bougies, c’est un littéral jeu de cache-cache, puisque de leur côté, les ennemis creusent aussi leurs propres tunnels, tombant parfois nez à nez avec des troufions apeurés prêts à en découdre au corps-à-corps.
Bien qu’il propose plusieurs éléments familiers (les généraux obtus et aveuglés par leur besoin de victoire, qui ne sont pas sans rappeler Les sentiers de la gloire ; l’unité disparate composée de fortes têtes se soude dans des premières victoires durement acquises ; des jeunes soldats innocents sont fauchés dans leur prime jeunesse), Beneath Hill 60 donne un autre visage au genre, recréant dans le Queensland australien le champ de bataille d’Ypres en Belgique. Un no man’s land qui disparaît toutefois lorsque l’action prend place dans les tunnels. Là, l’atmosphère devient suffocante, suintant le danger au moindre vacillement de bougie, au moindre craquement de poutre.
S’il donne logiquement le beau rôle aux soldats australiens, qui n’ont pas vraiment creusé le tunnel sous la fameuse colline 60 (dans la réalité, ce sont les Canadiens qui s’en sont chargés), le film de Jeremy Sims ne célèbre pas aveuglément leurs faits et gestes, rappelant dans un texte sobre et ironique que la colline 60 fut perdue et reprise tout au long de la guerre. Fort d’un scénario documenté et précis, d’un casting charismatique dominé par l’acteur Brendan Cowell (toutefois moins convaincant lors des flashbacks qui le montrent en jeune prétendant dans sa campagne natale), et de décors réalistes minimisant habilement les sources de lumière – les séquences dans les tunnels sont véritablement éclairées à la bougie —, Commandos de l’ombre est une œuvre solide qui mérite amplement d’être tirée de l’anonymat auquel le condamne sa jaquette.
Disponible en DVD
Miracle à Santa Anna (USA – 2008)
Infatigable (et intraitable) défenseur de la cause noire, Spike Lee se devait de rappeler au bon souvenir des Américains l’existence des fameux « Buffalo Soldiers » créés par Roosevelt, ces bataillons de soldats afro-américains, et d’en tirer un film de guerre qui porterait sa patte. Miracle à Santa Anna est un film que le cinéaste a mis cinq ans à concrétiser. Vu de chez nous, le résultat peut sonner comme une redondance. Mettre en lumière le rôle joué par les minorités lors du Débarquement des Alliés en Europe, Indigènes l’a déjà fait. S’il ne parle pas de colonialisme, mais plutôt d’intégration et de respect, Miracle…, outre ses aspects militants, rappelle beaucoup le film de Rachid Bouchareb : histoire centrée sur un petit bataillon représentant une nation dans toute sa diversité, scène forte inaugurale où le courage de chacun est testé, rencontre avec les populations civiles, et, fatalement, sacrifice final dans une bataille rangée à 1 contre 100. En cela, le film ne surprend guère et on peut même dire qu’il se sert de ces conventions pour raconter toute autre chose.
En l’occurrence, une étrange intrigue teintée de mysticisme, qui va tourner autour du débarquement en Italie de 15 000 soldats américains, d’un petit garçon, d’une statue volée et du massacre historique du 12 août 1944. Auteur du roman Buffalo Soldiers, le journaliste James McBride prend son temps pour solidifier et rendre le plus crédible possible les révélations qui s’accumulent, dans un crescendo qui est l’un des points forts du film, d’autant que le casting se révèle assez homogène (seul Derek Luke se révèle un ton en dessous de l’ensemble). Quatre soldats du régiment, isolés et retranchés dans un petit village, vont à leur propre surprise se sentir plus acceptés dans le village italien où ils échouent, que dans leur propre pays, et ce malgré la barrière du langage. Les nazis, eux, sont logés à la même enseigne qu’il y a cinquante ans déjà au cinéma : la plupart sont des fous sanguinaires et pernicieux sans aucune pitié, et seuls certains montrent leurs émotions et savent se montrer humains. Spike Lee n’étant pas le dernier des polémistes, il peint sous un jour tout aussi peu recommandable les officiers américains, montrés tantôt comme des racistes, ou des paternalistes condescendants.
Ambitieux, déroutant, Miracle… pêche par son dénouement, bondieusard et maladroit, avec son miracle boy tout droit sorti d’un film de Guillermo del Toro. Heureusement, Lee n’est pas là que pour montrer les dents et causer spiritualité : tirant profit de la photo naturaliste de Matthew Libatique (chef op’ de tous les Aronofsky), et de la musique composée par le fidèle Terence Blanchard, il signe une œuvre raisonnablement spectaculaire, une semi-réussite qui apporte un peu de poésie dans un genre rebattu.
Disponible en DVD et Blu-ray
La bataille de Passchendaele (Canada – 2008)
La plupart des films de guerre cherchent nous faire réaliser l’enfer que représentent les combats sur des champs de bataille. Le paradoxe est qu’ils servent aussi, souvent, à justifier l’importance des conflits passés, à célébrer le courage (souvent en pure perte) des soldats tombés sous les balles, et à construire une mémoire collective, pourtant biaisée par ce simple constat : il s’agit de cinéma, et non de documentaire. La distance prise par Peter Weir dans son Gallipoli, pierre angulaire du cinéma australien, mais aussi de l’Histoire de son pays, permettait par exemple d’aborder le film sous le prisme du récit fictionnel, avant d’être ce « film que l’on montre dans les écoles ».
C’est l’expression qu’emploie l’un des consultants militaires dans le making-of de La bataille de Passchendaele, plus grosse production canadienne de tous les temps. Un film à 20 millions de dollars, dont un quart financé par le gouvernement d’Ottawa. Cela a-t-il un impact sur la manière dont les faits sont relatés ? La question reste posée, même si officiellement, le film est écrit, réalisé et interprété par un seul homme, Paul Gross (Un tandem de choc, Hyena Road) Gross a mis toute son énergie dans ce projet, en forme d’hommage à son grand-père, soldat du corps expéditionnaire canadien, dont les anecdotes ont nourri le scénario. Mais ici, l’ambition est moins de refaire À l’Ouest, rien de nouveau que de réaliser un mélodrame guerrier à l’ancienne.
Passchendaele, du nom de cette bataille entre Canadiens, Anglais et Allemands en Belgique en 1917, est donc du genre romantique et mélancolique. Paul Gross incarne Michael, blessé et traumatisé, qui de retour au Canada, s’éprend d’une nurse accro à la morphine, et retourne en Europe pour sauver son beau-frère, David, asthmatique parti la fleur au fusil. En tout, Passchendaele comporte deux scènes de bataille, au début et à la fin. Gross a recréé dans une réserve indienne proche de Calgary un no man’s land boueux, avec cratères et barbelés, un décor criant de vérité, théâtre infernal de ce climax attendu, qui donne son titre au film.
Entre ces deux passages belliqueux, Paul Gross noue le fil d’une réflexion sur ce qui pousse les hommes et les nations, à repartir inlassablement en guerre. Le patriotisme exacerbé des bien-pensants, qui ostracisent les « planqués », les relents de xénophobie envers David et sa sœur, d’origine allemande, les vaines tentatives d’effacer de sa mémoire les carnages vus sur le front… Le propos est ambitieux, mais handicapé par une histoire d’amour quelconque et le jeu concerné de Paul Gross. On sent que ses casquettes lui sont montées à la tête, tant il met dans la bouche de son personnage, à la fois romantique, fin psychologue, gentleman boxeur et soldat d’élite, les tirades les plus pontifiantes. Pire, le film finit par flancher sous le poids de son symbolisme, quand Michael rejoue le chemin de croix christique sur le champ de bataille, faisant taire les balles et même la pluie. Pas de spoilers, juste un avertissement : Passchendaele, dont l’ambition est d’embrasser l’état d’esprit de tout un pays pendant une guerre qui a forgé son identité, carbure à un premier degré d’un autre âge. Cette volonté d’émouvoir à tout prix, de dénoncer la futilité barbare de la guerre tout en célébrant la dignité de ses protagonistes, fait penser au Cheval de guerre de Spielberg. On y retrouve ces chromos solaires de chevaux galopant dans les plaines qui contrastent avec les sombres tranchées plongées dans une nuit perpétuelle, percutées par une pluie d’obus. Les moyens et la maîtrise ne sont pas les mêmes, mais la sincérité dans la démarche est identique.
Disponible en DVD et Blu-ray
Into the Fire (Corée du Sud – 2010)
La guerre de Corée, qui a fait trois millions de morts, avait peu été traitée de front par le cinéma local, à part pour des spectacles à caractère patriotique comme Piagol (1956) ou Testimony (1973). Ça, c’était avant le Frères de sang de Kang Je-Gyu. Cette grosse production ayant attiré dans les salles plus de 11 millions de spectateurs coréens, il n’a pas fallu longtemps avant de voir débarquer plusieurs films sur ce conflit, comme Welcome to Dongmakgol, The Frontline en 2011 ou ce Into the fire, de John H. Lee. Le film, tiré d’une histoire vraie, s’intéresse à une poignée d’étudiants-soldats, recrutés pour renforcer les rangs de l’armée repoussée par l’armada sino-nord-coréenne. 71 d’entre eux, inexpérimentés, sont chargés de protéger un pensionnat de jeunes filles reconverti en hôpital de campagne. Une cible sans importance. Sauf qu’un commandant de l’Armée du Nord s’est mis en tête de faire passer son bataillon dans le coin, et que les étudiants sont les seuls obstacles sur sa route…
Into the fire trouve donc cette originalité sa raison d’être : dans cette mise en lumière de l’acte de bravoure insensé de jeunots catapultés devant un ennemi supérieur en nombre comme en expérience, et donc promis à une mort certaine. Bien sûr, il ne faut pas prendre l’intégralité du film pour argent comptant, mais les témoignages des survivants qui défilent durant le générique de fin suffisent à donner une vraie résonance à ce qui est avant tout un film à grand spectacle. Dès l’ouverture, où le timide Jang-Beom nous est présenté au cœur d’une bataille perdue d’avance, Into the fire en met plein les yeux : les voitures voltigent par-dessus les casques, les figurants remplissent le cadre, de rues entières sont réduites en cendres… Une façon brutale, mais payante de poser une ambiance, d’autant plus que l’intrigue se recentre ensuite sur le pensionnat, vide de tout personnage féminin, et donc propice à une confrontation de cour d’école entre le « vétéran » Jang-Beom et le mauvais garçon Gap-Jo.
Disposant de peu de munitions et de jugeote, nos 71 innocents ne tardent toutefois pas à être confrontés à des choix cornéliens : une escarmouche les emmène dans de vastes champs de blé, et John H. Lee saisit à ce moment l’effroi sur le visage de ces naïfs élèves voyant soudain mourir leurs camarades à la vitesse de l’éclair. Le dernier tiers est consacré à l’assaut du pensionnat, avec des élèves soudain galvanisés par la perspective de défendre leur pays d’un côté, et un commandant à l’arrogance très over the top de l’autre, qui ne conçoit pas que de tels freluquets puissent lui tenir tête. Into the fire passe alors un peu en mode Agence tous risques, avec des stratégies de défense faites de bric et de broc, et des coïncidences trop heureuses qui les aident à tenir la position au-delà de toute vraisemblance. On a même droit à un double défouraillage à la mitrailleuse qui ferait rougir de jalousie le major Dutch.
Qu’importe les libertés prises avec l’histoire, ce morceau d’anthologie justifie à lui seul de jeter un œil à Into the fire, qui lorgne plus sur les codes du film d’action américain, avec ses grands méchants, ses sauvetages de dernière minute et ses discours « motivationnels », que sur les mélos de Kang Je-Kyu. Bizarrement, la recette a au final plus marché à l’étranger que chez les Coréens. Pas assez de violons ?
Disponible en DVD