Le réveil sonne à 7 h et le musicien australien se réveille avec sa belle à Brighton. Sa silhouette longiligne se dresse et sa voix si grave rompt le silence. À 54 ans, le rockeur, crooner, compositeur et romancier Nick Cave s’apprête à vivre sa 20 000e journée sur Terre. Le voyage débute dans une atmosphère de poésie et d’impudeur contrôlée. Devant la caméra de Iain Forsyth et Jane Pollard, l’artiste se raconte, arpente ses souvenirs enfouis, lit ses propres compositions et laisse aussi venir les silences. Tournée en 2013, au moment de l’élaboration de l’album Push the sky away, ce documentaire représente à la fois un portrait classique et chronologique, une remise en question onirique et une confession poétique, élaborée avec un sens artistique assumé.
Les racines de l’art
La première scène du documentaire montre Nick Cave assis devant une machine à écrire. Le spectateur comprendra rapidement que l’écriture, fil rouge de la narration, s’avère un pilier fondamental, de la vie, de l’œuvre et sert admirablement la beauté du film. Comme le chanteur goûte peu aux interviews traditionnelles, il préfère se confier au célèbre psychiatre Darian Leader. Le face-à-face intime le pousse dans ses retranchements. De la figure paternelle, grand amateur du roman Lolita de Nabokov, décédée lorsqu’il n’avait que 19 ans, à ses premiers émois amoureux, qui le poussaient à se déguiser en fille, en passant par le rapport au bien et au mal, à la religion et à la drogue, complexe et paradoxale, à travers cet entretien avec son psy, l’artiste fait émerger les événements qui l’ont conduit à se construire.
[quote_center] »Nick Cave se transforme, à l’image de son modèle Nina Simone, en laissant libre-cours à sa bestialité et à son charisme désenchanté. »[/quote_center]
Après Nick Cave à son bureau, le voici au volant sur la côte britannique, une autre image frappante que les deux réalisateurs exploitent avec beaucoup de créativité. Seul ou accompagné de passagers momentanés, comme Kylie Minogue, la chanteuse australienne qui a contribué à la renommée du groupe Nick Cave and the Bad Seeds avec le duo Where the Wild Roses Grow. Un membre éminent du groupe, le violoniste Warren Ellis l’accueille pour déjeuner. Complice de toujours, le musicien a signé récemment avec Nick Cave la bande originale de Loin des hommes avec Viggo Mortensen.
Au-delà du documentaire
Pour mieux immortaliser sa mémoire, Nick Cave s’attarde aux archives. Les photos défilent et peu à peu les souvenirs émergent, les rencontres, les rêves, les obsessions, les objets de désir. Il alterne entre des instants de création pure, des moments intimes, comme la scène avec ses deux jumeaux, et des phases de travail intenses. La musique, restée en second plan durant la majeure partie du film, s’exprime soudain avec fracas, lorsque le chanteur apparaît sur scène. Connu pour ses performances scéniques folles, Nick Cave se transforme, à l’image de son modèle Nina Simone, en laissant libre-cours à sa bestialité et à son charisme désenchanté.
Cette journée, composée de moments de vie, résume à la fois la carrière et « l’existence sur terre » de cette figure du rock anglo-saxon, mais son ambition assumée et aboutie, sa poésie folle, sa tenue visuelle, lui permettent de dépasser sa simple nature de documentaire informatif et rétrospectif. À travers la figure du chanteur, fascinante et irréelle, le spectateur quitte la salle avec le sentiment de connaître à la fois la personnalité de l’artiste, mais également son âme.
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20 000 jours sur Terre (20 000 days on Earth)
D’Iain Forsyth et Jane Pollard
2014 / Angleterre / 97 minutes
Avec Nick Cave, Susie Bick, Warren Ellis
Sortie le 24 décembre 2014
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