Darren Aronofsky, après avoir enchaîné deux succès critiques et commerciaux, dont le brillant Black Swan, et abandonné de nombreux projets en cours de route, s’est vu octroyer un budget pharaonique pour illustrer un projet tout autant spectaculaire. Si l’histoire de Noé, ou Noah chez les Anglo-saxons, contient une part d’ombre, elle promettait toutefois un spectacle grandiose, comme Hollywood les affectionne, une vision particulière qui donnait, sur le papier l’eau à la bouche. Dans la Bible, Noé, un prophète descendant d’Adam et d’Ève, rassemble tous les animaux dans une gigantesque arche avec l’aide de sa famille, sa femme, sa fille adoptive et ses deux fils. Lorsque Dieu décide de purifier la terre corrompue par les hommes, un déluge apocalyptique s’abat sur notre planète. À l’abri dans l’arche flottante, Noé, sa famille et la faune recueillie survivront et repeupleront la terre, sans qu’a priori des problèmes de consanguinité ne se posent…

Tant va la cruche à l’eau…

Noé : le chant du cygne de l'humanité

Darren Aronofsky signe ici une production fourre-tout, dont les partis-pris s’avèrent particulièrement agaçants. Le film reste résolument une fresque biblique qui fera peut-être scandale dans certains pays (le succès du film paraît en tout cas assuré aux USA). Passé cet effet d’annonce, le film conserve un « esprit chrétien » prononcé, sans verser totalement dans le prosélytisme pur. Mais tout de même, ce « Dieu » jamais nommé, demeure omniprésent tout au long du film. Malgré la violence inhérente à cette histoire apocalyptique, Darren Aronofsky se complaît dans le béni-oui-oui. Tout y passe : des femmes considérées comme des porteuses de descendances à l’homme miséricordieux au péché originel, le réalisateur n’épargne pas ses spectateurs de « bonnes paroles de bénitier ».

Mais Darren Aronofsky voit aussi plus loin. Derrière la façade religieuse se cache un discours écologique et annonciateur de mauvais présages. Dans son discours végétarien, présenté de manière provocante, le réalisateur montre les mangeurs de viande comme des monstres sanguinaires et de potentiels cannibales. Par opposition, la famille maigrichonne de Noé sacralise la nature et ses êtres vivants, et vit basiquement d’amour et d’eau fraîche. Ce conte onirique fait un parallèle entre le déluge fatal et les bouleversements climatiques que la planète rencontre depuis plusieurs décennies. Noé prédirait-il le retour de la colère du « Créateur » pour punir les hommes de leur perversion ? Le film assume en tout cas, sans le moindre complexe, son message menaçant.

Aussi intellectualisant et théologien qu’il soit, Noé devait rester un film d’action et justifier ainsi son budget de 125 millions de dollars. Aussi Darren Aronofsky met un peu d’eau dans son vin. Un peu. Autant l’annoncer tout de suite, ceux qui comptent assister à un nouveau Jour d’après version primitif : la fin du monde, ici, dure cinq minutes. Certes, les amateurs de grand spectacle apprécieront l’effort consenti vers le milieu du film pour montrer une apocalypse impressionnante, « biblique ». Mais l’action retombe bien vite à son calme plat initial, pour plonger le spectateur dans un huis clos intimiste et étouffant.

Boire à tous les râteliers

Noé : le chant du cygne de l'humanité

L’autre aspect marquant du film réside dans son imagerie empruntée à l’heroic fantasy. Loin de rivaliser avec les prouesses techniques et esthétiques d’un Hobbit, il lorgne plutôt du côté CGI de 300 ou de Spartacus. En donnant un aspect irréel à ses décors, Aronofsky renforce l’aspect intime et théâtral de l’intrigue, tout en cantonnant malgré lui la texture du film à un aspect cheap et peu subtil. Pourtant, certains passages semblent tout droit sortis d’une adaptation de Tolkien. Après une scène de bataille largement inspirée du Retour du roi, Aronofsky emprunte aussi aux Ents (des arbres vivants et bienveillants) pour créer de fantastiques entités lumineuses transformées en pierre, dont le principal protagoniste ressemble à l’entendre à Sylvebarbe (le chef des Ents).

Tout porteur de message qu’il soit, le film ne s’embarrasse pas de vérité historique. Tout prophète qu’il fût, Noé n’était pas un homme si bon et un père de famille si attentif que le film le laisse entendre. Si le récit a des velléités religieuses, politiques ou encore purement divertissantes, il ne souhaite pas dresser pourtant un portrait fidèle aux écrits anciens de ce personnage pourtant largement décrit dans la littérature chrétienne.

Tempête dans un verre d’eau

Noé : le chant du cygne de l'humanité

[quote_right] »Emma « Hermione » Watson hérite assurément du personnage le plus intéressant. »[/quote_right]La vérité, chez Aronofsky, se situe au cœur des relations humaines dans une recherche permanente de sens. Obsédé jusque dans ses cauchemars par le péché originel, Noé se pose en prophète au-dessus des hommes, convaincu de son devoir d’appliquer la volonté divine quel que soit son prix. Lorsque son côté humain resurgit et le pousse à reconsidérer son engagement divin, il devient miséricordieux. Russell Crowe, dirigé à la virgule près, garde une expression impassible tout au long de cette – longue – l’histoire qui aurait mérité quelques cut salutaires pour éviter par exemple les répétitions. Jennifer Connelly, qui incarne Naameh, incarne à la fois la mère courage et la trahison avec justesse. Logan Lerman pourrait s’avérer convaincant dans le rôle du fils rebelle, si seulement il n’en faisait pas trois tonnes. Anthony Hopkins joue un étrange ermite tripoteur de jeune fille en fleur, sans laisser l’histoire éclairer totalement son personnage.

Ray Winstone est Tubal-Caïn, l’ennemi de Noé et chef des hommes. Il mène un peuple caricaturé comme une masse informe et sauvage. Tubal-Caïn sème la mort, la désolation et le chaos sur son passage, mais il ne semble pas prêt à mourir pour autant. Aussi, un vrai-faux suspense entre en jeu lorsqu’il décide de déjouer les plans de Noé. S’il symbolise une partie de l’humanité refusant de s’éteindre, Tubal-Caïn se montre bien trop bavard pour sa propre crédibilité. Emma « Hermione » Watson hérite assurément du personnage le plus intéressant. Ila est la femme qui, aidée par Naameh, parviendra à faire fléchir cette tête de mule de Noé. Après son simili inceste considéré comme banal, elle devient une « élue ». Passionnée, farouche, revendicatrice et courageuse, elle incarne parfaitement l’image de l’héroïne chrétienne moderne. Ses passes d’armes éloquentes avec Noé et l’aspect épique et magique de son parcours rappellent également une tragédie grecque. Son destin scellé, elle se bat et parvient à émouvoir à l’image d’une Andromaque.

Noé reste un film pluriel aux multiples axes de lecture, qui à trop vouloir satisfaire le plus grand nombre (les religieux, les athées, les philosophes, les cinéphiles et même les Verts) se perd dans un mélange des genres inapproprié et inabouti. Sans blesser aucune sensibilité, il s’englue dans un déluge de banalités existentielles, qui manque au final cruellement d’intérêt.


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Deuxsurcinq
Noé (Noah)
De Darren Aronofsky
USA / 2014 / 139 minutes
Avec Russell Crowe, Jennifer Connelly, Emma Watson
Sortie le 9 avril 2014
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