Que Wes Anderson livre un film sur l’enfance après avoir réalisé un film pour enfants (Fantastic Mister Fox) apparaît comme une évidence. Depuis ses débuts, le cinéaste brosse le portrait de personnages d’adultes qui sont autant de jouets cassés, qu’il s’agisse des anciens enfants prodiges de La Famille Tenenbaum devenus de tristes inadaptés sociaux, ou des trois frères rongés par l’incommunicabilité embarqués dans le Darjeeling Limited. La préciosité intemporelle de l’univers andersonien a quelque peu mis en retrait la vraie cohérence de ces récurrences thématiques.

Car ce qui marque le plus au premier contact, c’est cet humour à la fois acide et candide, cette manière d’approcher chaque récit comme un ensemble de non-dits comblés par des dispositifs visuels bien établis (travellings latéraux, acteurs le plus souvent filmés de face en plans américains, assemblage de couleurs signifiants) et des choix musicaux là aussi très personnels. Dans ce domaine, Anderson fait d’ailleurs un peu figure de Tarantino lo-fi, Moonrise Kingdom étant par exemple soutenu par des chansons du folkeux Hank Williams.

Les totems de l’enfance

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Le changement s’effectue donc dans la continuité avec cet opus qui, comme un contrepied à la « cannisation » du sieur, présent en ouverture du barnum cannois, se veut avant tout une escapade très simple d’accès, une synthèse aimable des milles et une obsessions andersonniennes. On trouve donc dans Moonrise Kingdom des références francophiles (Françoise Hardy), des gags parodiant avec amour un univers démodé (les scouts), un plaisir coupable à confectionner des effets spéciaux artisanaux (ce plan de la rupture du barrage en bois, l’échappée sur le toit de l’église en ombres chinoises), à fétichiser les totems de l’enfance (ici, un tourne-disque pour ados) et bien sûr, un casting en or massif employé avec un décalage pince-sans-rire qui fait à chaque fois mouche. Aussi calculé et formulaïque soit-il, le petit monde de Wes Anderson est toujours peuplé d’acteurs employés au meilleur de leurs capacités. Plus que Bruce Willis, dans un registre de décontraction taciturne qu’il connaît finalement bien, ou la mascotte Bill Murray, c’est surtout Edward Norton en chef scout ahuri à la touchante naïveté qui étonne et emporte l’adhésion.

Les adultes ne sont toutefois pas les vrais héros cette fable située dans les sixties, même s’ils sont définitivement ceux qui en ressortent le plus transformés. Moonrise Kingdom est une ode aux premiers amours, au besoin d’aventure insubmersible des pré-adolescents, cet âge où tout paraît possible juste parce qu’on l’a décidé. Pour Sam (une sorte de version enfantine du Max Fischer de Rushmore) et la proto-lolita Suzy (dont la moue vaguement interrogative évoque volontiers une petite Lana del Rey), c’est de mariage qu’il s’agit. Ces deux-là ont eu le coup de foudre – si ce n’est pas assez clair, celle-ci s’abat littéralement sur Sam et s’en sort sans bobo -, parce qu’ils se sentent tous les deux étrangers à leur famille, qu’il s’agisse des parents avocats et des trois frères de Suzy, ou des camarades scouts qui martyrisent Sam. Et même s’ils ont 12 ans, ils veulent un mariage dans les règles, quitte à fuguer et à chambouler la petite communauté qui les entoure. Le film part ainsi sur « des sentiers qui n’ont pas de nom », pour célébrer une jeunesse montrant la voie à ceux qui en ont perdu le souvenir.

Une île bien chaleureuse

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Leur odyssée insulaire paraît un peu forcée, notamment avec l’introduction d’un double deus ex machina en forme de tempête tropicale et de représentante des Services Sociaux. Mais l’artificialité du récit (co-signé par le metteur en scène avec le fidèle Roman Coppola) est relayée, et c’est ce qui fait son prix, par une mise en forme tout aussi appuyée, fusionnant de manière organique pour donner son excentrique étrangeté au film. C’est là que la ligne se tracera entre les pro- et les anti-, entre ceux qui aiment à se lover dans les boudoirs finement brodés de l’ami Wes, et ceux qui goûtent peu les maniérismes de son petit cabaret proustien. Pourtant, par son côté chaleureux, sa modestie et l’empathie dépourvue de misanthropie pour ses personnages, Moonrise Kingdom est indéniablement le plus accessible de ses films, à égalité avec son monsieur Renard. Raison de plus pour participer à l’aventure.


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Quatresurcinq
Moonrise Kingdom
De Wes Anderson
USA / 2012 / 94 minutes
Avec Jared Gilman, Kara Hayward, Bruce Willis
Sortie le 16 mai 2012
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