Contrairement aux USA, où beaucoup de films sortent aujourd’hui en simultané sur les plates-formes en ligne et au cinéma, une œuvre cinématographique doit, en France, respecter une chronologie très stricte. Le distributeur est contraint de patienter quatre mois entre la sortie cinéma et celle en VOD ou en physique (DVD, Blu-ray). Seulement voilà, il y a un véritable embouteillage dans les salles, au point que certaines productions se retrouvent littéralement noyées dans la masse. Ces échecs commerciaux représentent un véritable manque à gagner à long terme. Et, finalement, une grande majorité des films ne se révèlent véritablement rentables, non pas en salles, mais bien dans les salons, où ils sont à portée de clic.
Le choix « économique » pour l’éditeur reste la sortie en « direct-to-dvd » ou « direct-to-vod ». Souvent considérée comme une alternative au rabais, elle représente au contraire une solution inépuisable pour découvrir des pépites inattendues, que nous traquons régulièrement pour vos yeux curieux sur ce site. Certes, ce mode de distribution sert parfois à recycler inlassablement les multiples fours, au hasard, de Nicolas Cage ou Steven Seagal. Mais c’est également le porte-voix d’un cinéma différent, original, décalé, à l’image de Bone Tomahawk, western contemporain récompensé au dernier Festival de Gérardmer. Si ces films n’ont malheureusement plus leur place en salle, il est essentiel de ne pas les mettre dans le même panier qu’un Pay the Ghost (avec, vous l’aurez compris, notre chouchou Nicolas Cage en tête d’affiche).
Une troisième voie
En 2015, l’éditeur Wild Bunch, qui grâce à la filiale féline Wild Side, dispose d’un catalogue de DTV prolifique, décide de lancer en France le e-Cinéma. Cette nouvelle alternative consiste à proposer en exclusivité et pour une période limitée sur les plateformes VOD, des films initialement sortis en salles dans leur pays, avec un casting et un sujet attractifs. Les heureux élus bénéficient d’une opération de promotion importante (affiches, publicités à la télévision, etc.) et peuvent être agrémentés de bonus. Le prix de la « séance » s’avère un peu plus cher qu’une sortie vidéo classique, autour de 7-8 € la location. « Cela peut paraître onéreux, explique Benjamin Gaessler, responsable de la communication et de la relation publique chez Wild Side. Mais comparé à une sortie en famille ou entre amis dans une salle de cinéma, c’est vraiment très peu ». Quatre mois plus tard, le film, suivant la chronologie en cours, sort au format physique et se loue à prix classique en dématérialisé.
[quote_center] »Welcome to New-York, médiocre, ne reflète pas la qualité des films qui lui succéderont. »[/quote_center]
Le 27 mars 2015, à grand renfort de marketing, le film d’Abel Ferrara, Welcome to New-York, où Gérard Depardieu campe un simili-DSK sur le point de tout perdre, devient la première sortie e-Cinéma de l’histoire. Fruit d’une curiosité un tantinet voyeuriste et de l' »effet Cannes », le succès est immédiat, avec près de 200 000 visionnages ! TF1 Vidéo et Wild Bunch préparent déjà la suite, mais peinent à lancer de nouvelles habitudes. Peut-être parce que Welcome to New-York, anecdotique, ne reflète pas la qualité des films qui lui succéderont ? Un développement trop lent, et un manque de cohérence initial dans le choix des titres, ont contribué au manque de visibilité du format. Deux ans plus tard, le concept permet pourtant de découvrir, petit à petit, de belles choses, et impose bel et bien un gage de qualité.
16 films aux réussites diverses
Le panel du e-cinéma n’a pas à rougir de ses propositions. Adaline, ovni visuel entre romance et science-ficton, détaille la vie sentimentale d’une femme (Blake Lively de Gossip Girl) qui a cessé de vieillir. Lyrique, touchant et unique, le long-métrage montre aussi Harrison Ford sous un jour inédit. Plus gros succès de tous les temps au Danemark, les (trois) Enquêtes du Département V sortent tour à tour au cinéma, puis en e-cinéma, une manière pour Wild Bunch de démontrer la perméabilité entre les deux médiums. Projetée à Sundance, la comédie aux dents longues Vampires en toute intimité (96 % sur Rotten Tomatoes) a bénéficié d’un inutile doublage made in France, qui n’entame pas ses hilarantes qualités.
Made in France, le film de Nicolas Boukhrief, après moult mésaventures dues à son sujet hautement sensible, se rattrape in extremis en e-cinéma et offre un lot de consolation mérité à ce travail fort et sincère, rattrapé par l’actualité et les attentats de Paris. Tandis que The Big Short décrochait l’Oscar du Meilleur scénario, une autre œuvre nécessaire et intense sur la crise des subprimes arrivait en e-cinéma : 99 Homes de Ramin Bahrani. Moins didactique, 99 Homes met en scène un homme d’affaires qui devient riche en saisissant des biens immobiliers. Le concept du e-cinéma atteint, avec ce titré récompensé à Deauville, son rythme de croisière : des films différents et pertinents, qui pour différentes raisons n’ont pas les reins assez solides pour affronter la guerre des salles obscures, disposent malgré tout d’une vraie visibilité commerciale.
Outre 99 Homes, sortent pêle-mêle Green Inferno, le film de cannibales d’Eli Roth, présenté lui aussi à Deauville, et qui marque un nouveau « coup » médiatique dans sa catégorie, Un Incroyable Talent, feel-good-movie dont le titre se passe de commentaires, Son of a Gun, un polar australien brutal et sec avec Ewan McGregor, ainsi que le sex-appeal aux accents tarantinesques de Salma Hayek dans Everly.
Une qualité maintenue
Le e-Cinéma poursuit son petit bonhomme de chemin, sans toujours affoler les compteurs, mais s’installant doucement dans le paysage. Notre dernière découverte en date, Black, une relecture de Roméo et Juliette, nous plongeait aux cœurs d’une guerre des gangs dans une banlieue de Bruxelles nommée Molenbeek. Un film dur, énergique, là aussi à part. Le 9 septembre, le dernier film du regretté Alan Rickman, où il côtoie, excusez du peu, Helen Mirren et Aaron Paul, s’ajoutera à ce catalogue. Eyes in the sky, thriller choral sorti au pays de Sa Majesté en 2015, réussit là où Good Kill échouait : il montre à quoi ressemble la guerre aujourd’hui, des salons feutrés d’un ministère londonien aux ruelles poussiéreuses d’un village Kenyan envahi par des islamistes radicaux.
La fermeture des vidéos-club, la généralisation du piratage, l’avalanche des sorties en salles et les réticences des propriétaires de cinéma à diffuser des films de genre ou venus de contrées « exotiques », annoncent un possible formatage du 7e art sur grand écran. Pour contrer cette uniformisation en marche, il convient de souligner, malgré nos réserves initiales, la pertinence de cette offre éditorialisée du e-cinéma, qui présente un pluralisme salutaire à la portée de tous.
[toggle_content title= »Bonus » class= »toggle box box_#ff8a00″]Pour aller plus loin, cet article de Slate sur « Le piège du e-cinéma ».[/toggle_content]