De Jacques-Yves Cousteau, la génération née après 1980 ne connaît sans doute que les images d’Épinal. Celles du commandant de la Calypso, un vieux monsieur au regard perçant avec un bonnet rouge vissé sur la tête, toujours sur l’océan à explorer le monde et à défendre l’environnement. Un personnage ancré dans notre panthéon collectif, mais dont les contours nous échappent, comme le souvenir d’un oncle éloigné. En s’attaquant, avec assez de ténacité pour avoir les moyens de son ambition, à cette figure aventureuse et totémique de l’Histoire moderne nationale, Jérôme Salle (l’excellent Zulu et les plus contestables Largo Winch) fait œuvre d’utilité publique : avec L’Odyssée, c’est l’histoire non pas d’un homme, mais d’une famille, d’un clan, qui nous est contée sur fond d’images grandioses et de drames intimes.
Cousteau père et fils
Échapper aux écueils du biopic traditionnel était une obsession pour le réalisateur, qui avec son co-scénariste Laurent Turner (L’Outsider), s’est basé sur les mémoires de l’un des fils Cousteau, pour choisir un angle inattendu et finalement très porteur. Ce n’est ainsi pas en mer que débute L’Odyssée, mais en plein air, alors que Philippe Cousteau (Pierre Niney) plane avec son avion et un passager à bord au-dessus de l’océan. Un drame survient bientôt… et nous revoilà des décennies en arrière, en 1949, alors que Philippe n’est qu’un enfant et que son père, dans les Calanques, révolutionne avec ses camarades de l’armée la plongée sous-marine. Cousteau est joué par Lambert Wilson, et si ce flash-forward, comme souvent, est discutable, en ce qu’il laisse planer son ombre sur toute la suite du récit et en escamote la portée émotionnelle, il permet de mettre au premier plan ce « fils préféré » (Philippe a un frère, Jean-Michel, qui se trouve toujours relégué dans l’ombre), qui voue une admiration sans bornes à son père.
Bientôt, Jacques-Yves Cousteau est pris par l’ivresse du conquérant des mers : retapant avec les moyens du bord – enfin, surtout ceux de sa femme Simone (Audrey Tautou, clairement ravie de pouvoir interpréter un personnage haut en couleur) – un vieux bateau en bois, la Calypso, il fait financer ses expéditions par des compagnies pétrolières, obligeant le couple à placer Philippe en pension. Pendant que l’enfant grandit éloigné de son mentor, celui-ci devient la célébrité que l’on sait : la Palme d’Or pour Le monde du silence, les expérimentations d’habitat humain sous-marin, les documentaires… L’Odyssée se consacre toutefois moins à la récitation des faits d’armes du commandant, qu’au tumultueux voyage qui va rapprocher ce père et ce fils, qui partagent une même passion, mais pas le même tempérament.
Un mythe et des merveilles
Cette volonté de privilégier l’étude intimiste de cette famille pas comme les autres, dont les différents membres passent des années éloignés les uns des autres malgré l’amour qu’ils se portent, n’empêche pas L’Odyssée d’être aussi un vrai spectacle populaire. De son tournage aux quatre coins du globe, de la Croatie à l’Antarctique en passant par Cape Town, Jérôme Salle et son chef opérateur Mathias Boucard ont ramené des images fabuleusement évocatrices : des sas de respiration poétique, d’une pureté bluffante (requins, baleines, banquise… tout ou presque est vrai, et cette authenticité soutient la thématique même du film). L’émerveillement évident de Jacques-Yves et Philippe devant la richesse des profondeurs qu’ils défrichent, éclaire d’autant mieux l’effet que ces aventures ont sur leur personnalité. Philippe adore ses parents tout en voulant quitter leur emprise, et veut laisser sa propre marque, en construisant entre autres un hydravion. Pris au jeu de l’entrepreneur placé sous les feux des projecteurs (très belle scène où Cousteau, très à l’aise sur scène, remplace son ami bégayant pour parler au public), « JYC » prend lui goût à la célébrité, aux femmes à séduire, aux millions négociés avec ses diffuseurs et à l’esprit de chef d’entreprise enregistrant sa propre légende.
[quote_center] »Ce tumultueux voyage va rapprocher ce père et ce fils, qui partagent une même passion, mais pas le même tempérament. »[/quote_center]
Salle ne cache rien de cet aspect peu aimable du personnage, égoïste au point de déclarer à son fils qu’il aurait préféré ne pas avoir d’enfants. Cela rend d’autant plus émouvant et efficace le choix de le mettre sur un même pied d’égalité avec ce fils prodigue, qui le premier s’ouvre à une conscience écologique. En condensant les grands événements de leurs parcours respectifs, leurs déchirements et leurs rapprochements, L’Odyssée adopte fatalement des réflexes de zapping temporel, qui donnent l’impression que certains aspects sont plus survolés que véritablement traités. L’équipage mythique de la Calypso est par exemple un peu sacrifié, tout comme la relation entre Philippe et sa femme américaine (que sa belle-mère n’appréciait guère). Logiquement, le film élude, fait des choix, mais la réalisation de Salle, d’une fluidité admirable, permet d’ingérer toute cette aventure dans un même élan.
Il faut dire que le film peut s’appuyer tout du long sur un tandem fort et charismatique : sans trop en faire, Niney transmet parfaitement la douleur intérieure et l’envie de briller dans l’ombre d’un père écrasant de Philippe, qui lui vaut parfois d’être un peu tête brûlée (par exemple lors d’une plongée mi-apaisée mi-stressante au milieu des requins). Face à lui, Lambert Wilson, le visage émacié et impénétrable, est formidable sous le bonnet rouge du « commandeur ». Cousteau apparaît sous ses traits comme un explorateur infatigable et excentrique, qui compense sa déception d’être né un siècle trop tard – son obsession pour 20 000 lieues sous les mers est très parlante – en multipliant les projets, les idées d’avant-garde, et fatalement, les dettes. Un pionnier, quoiqu’il arrive, mais qui n’avançait pas seul dans sa quête de savoir et de découvertes.
[toggle_content title= »Bonus » class= »toggle box box_#ff8a00″]La rencontre avec l’équipe du film.[/toggle_content]
Crédits photos : Jean-Marie Leroy
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L’Odyssée
De Jérôme Salle
2016 / France / 122 minute
Avec Lambert Wilson, Pierre Niney, Audrey Tautou
Sortie le 12 octobre 2016
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