Avis aux entrepreneurs en herbe qui voudraient optimiser leur campagne marketing pour un maximum de visibilité : nous vous conseillons de profiter des conseils des petits génies aux commandes du service chez Bad Robot sur le film 10 Cloverfield Lane. La société de production de J.J. Abrams a réussi un coup de maître en s’emparant du script de The Cellar, aussi appelé Valencia, signé par le duo Josh Campbell et Matthew Stuecken, pour faire grimper son potentiel commercial. Tourné dans le plus grand secret pour moins de 15 millions de dollars, révélé seulement à quelques semaines de sa sortie à une audience interloquée (soit l’exact inverse de l’Épisode VII réalisé par Abrams), 10 Cloverfield Lane fera quoiqu’il arrive figure de modèle à suivre pour tous les auteurs et producteurs cherchant à vendre un projet original à un public désormais obsédé par les franchises et les marques pré-établies.

Se distinguer de la masse. C’est la raison, évidente, pour laquelle 10 Cloverfield Lane comporte le terme Cloverfield dans son titre. Succès bien connu de Bad Robot, Cloverfield, le found footage spectaculaire de Matt Reeves écrit par Drew Goddard (tous deux crédités comme par hasard producteurs exécutifs de ce nouveau film) jouait déjà avec les outils du marketing digital, à base de faux sites, de spots viraux et d’enquête interactive, pour attirer à lui un public plutôt geek et fan par défaut du genre science-fiction. 10 Cloverfield Lane, que le teaser vendait comme un huis clos entretenant des liens mystérieux avec le film de monstres de 2008, est fait du même bois commercialement parlant. Mais le script lui-même a été conçu au départ sans avoir aucun rapport avec cet univers !

Ménage post-apocalyptique à trois

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Anthologie, spin-off, séquelle « spirituelle »… Qu’importe les termes que les médias accoleront finalement à 10 Cloverfield Lane. L’important, c’est que le film fait parler pour les mystères qu’il renferme, et qu’il permet à cette histoire-là d’exister entre deux remakes, suites de comédies populaires ou films de superhéros. Et c’est tant mieux ! Car ce premier long-métrage de Dan Trachtenberg (auteur du très remarqué fan film Portal : No Escape) est une vraie proposition de cinéma à l’ancienne, aussi gonflée que bien exécutée. Il bénéficie en premier lieu d’un personnage principal charismatique et ô combien pragmatique, la jeune Michelle (Mary Elizabeth Winstead  Death Proof, Scott Pilgrim). Dans une scène d’ouverture musicale aux effluves hitchcockiens, nous la voyons quitter son appartement, et son petit ami, pour partir dans la nuit vers une destination inconnue. Le voyage, stressant et mélancolique à la fois, s’interrompt brutalement après un accident de voiture. Michelle se réveille… et se rend compte qu’elle est menottée à une tuyauterie usée, dans une cave aux murs nus. Où est-elle ? Que s’est-il passé ? Et qui est vraiment Howard (John Goodman), son imposant geôlier qui vient lui dire qu’il l’a sauvée ? Les questions s’accumulent, alors que Michelle découvre son sort : elle est enfermée dans un abri anti-atomique tout équipé avec Howard et un jeune homme nommé Emmett (John Gallagher Jr, The Newsroom), pour échapper aux retombées d’une attaque dont toute la population en surface a été victime. Et il ne faut, sous aucun prétexte, sortir du bunker.

[quote_center] »Notre attention effectue un va-et-vient constant entre la menace extérieure, que remet en cause Michelle, et intérieure, due au comportement changeant de Howard. »[/quote_center]

Une poignée de personnages antagonistes confinés dans un abri souterrain, à l’abri d’une menace hors champ face à laquelle ils semblent impuissants… Aussi spécifique soit-il, ce postulat est presque devenu un sous-genre en soi dans la littérature et le cinéma d’anticipation. De La Quatrième dimension à la récente série Métal Hurlant Chronicles, c’est tout un héritage narratif que reprend à son compte 10 Cloverfield Lane. Une héroïne opiniâtre et pleine de ressources, un ogre aux humeurs insaisissables, et un sidekick un peu naïf qui sert de contrepoint comique : alors qu’il laisse supposer au départ une variation mille fois vue sur le torture porn, le scénario se développe au contraire sans cesse pour contourner au mieux les limitations de son décor et de ses interactions. La caméra de Trachtenberg, qui fait ici des débuts très assurés, se déplace sans tarder et avec aisance dans ce bunker étrangement douillet, pour mieux nous permettre de ressentir l’agencement des lieux, et ainsi faire monter le suspense. Toutes proportions gardées, cet abri, qui pourrait être le dernier refuge de la civilisation, devient bientôt un piège aussi étouffant que le Nostromo d’Alien, où Michelle serait une Ripley en débardeur, qui ne s’apitoie jamais sur son sort et déploie des trésors de ressources pour provoquer son destin, et Howard le véritable monstre de l’histoire. Un bourreau contrarié qui louvoierait entre menaces et séduction pour parvenir à ses (mystérieuses) fins.

La vérité est dehors

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Alors, oui, derrière ses oripeaux apocalyptiques qui ont valeur de prétexte, 10 Cloverfield Lane se révèle être essentiellement être une affaire de suspense. Plutôt qu’échapper à un immeuble qui s’écroule, les micro-enjeux se concentrent ici sur l’obtention d’une clé, la construction d’un masque à gaz, ou une partie de Taboo qui vire malencontreusement au mélodrame. Malgré la crainte des redites, du ronronnement, ce script copieusement retravaillé après son changement d’identité, demeure un modèle d’enchaînement narratif : sans être d’une absolue cohérence, les zones d’ombre laissées ici et là n’entament en rien la réussite de cette confrontation en vase clos. Notre attention, notre effroi, effectue un va-et-vient constant entre la menace extérieure, que remet sans cesse en cause Michelle, et intérieure, due au comportement changeant et aux étranges justifications de Howard. Se méfier de son voisin plutôt que d’une menace étrangère et invisible : sous ses airs de série B du samedi soir, 10 Cloverfield Lane laisse poindre une métaphore bien sentie de la politique américaine. Ces considérations n’entrent toutefois pas en compte dans le dernier acte, lorsque le film se décide à jouer cartes sur table.

Impossible de dévoiler ici la teneur des révélations et ultimes rebondissements réservés par 10 Cloverfield Lane, qui surprennent autant par leur violence graphique que par leurs débordements pulp. Plus que le cinéma de Spielberg, auquel il est impossible de ne pas penser (surtout considérant la relation qu’il entretient avec celui d’Abrams), c’est à une célèbre franchise SF née dans les années 90 que l’on finit par penser, tant le dénouement tranche par son absurdité spectaculaire avec le redoutable cloisonnement du montage et la précision du cadre qui précède. Il confirme la véritable nature d’un film envisagé avant tout comme un divertissement populaire, mais pas tiré pour autant vers le bas. Du casting, en tous points remarquable (Goodman a rarement été aussi menaçant et impressionnant, Winstead hérite enfin d’un rôle fort qui souligne son charisme vindicatif) à la musique symphonique redoutable de Bear McCreary (The Walking Dead) en passant par le production design et le soin apporté à la mise en scène, qui exploite toutes les ressources du décor – même les plus inaccessibles -, 10 Cloverfield Lane prouve qu’on peut encore étonner, provoquer et divertir en s’appuyant sur une idée minimaliste. Seul regret, néanmoins : celui que ce fameux titre en trompe-l’œil nous aiguille de force dans une direction dont le scénario voudrait lui nous éloigner. Ce que le film gagne, par cette méthode, en roublardise, il le perd par ailleurs en surprise.

[toggle_content title= »Bonus » class= »toggle box box_#ff8a00″]Savez-vous qu’Howard, le personnage interprété par John Goodman, avait été « employé du mois » chez Tagruato, une entreprise bien connue des fans de Bad Robot ?[/toggle_content]


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatresurcinq

10 Cloverfield Lane
De Dan Trachtenberg
2016 / USA / 103 minutes
Avec Mary Elizabeth Winstead, John Goodman
Sortie le 16 mars 2016
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