À ceux qui se demanderaient quelle mouche a bien pu piquer, il y a dix ans, le studio Dreamworks, pour vouloir à tout prix adapter à Hollywood le classique de Mamoru Oshii (et par extension du dessinateur Masamune Shirow) Ghost in the Shell, la réponse est la même que pour Akira, Gunmm, ou même le futur Death Note à venir sur Netflix. Par essence, la Mecque du cinéma est un aspirateur de talents et de pop culture, et tout ce qui fait référence, dans un cadre ou un autre, est amené à être l’objet de convoitises de la part des décideurs de tout poil. Oui, Ghost in the Shell, ainsi que sa suite, sont des chefs d’œuvre du cinéma d’animation japonais, et même mondial. Les Wachowski, James Cameron, Guillermo del Toro et bien d’autres ont vanté au fil des années leurs qualités, ont avoué l’influence que ces merveilles de science-fiction cybernétique avaient eues sur eux. Qu’on les ait vus ou non, la saga est rentrée dans notre inconscient commun, et c’est cette pré-connaissance du matériau qui donne la certitude au studio d’être en présence d’un remake marketable (horrible expression, en effet).
Et vous savez quoi ? Malgré les appels au boycott, malgré les rejets épidermiques, ces films finissent toujours pas se faire, et rencontrent une exposition plus large que leurs modèles. Tout en lui étant lourdement redevable, il est parfaitement possible de découvrir le Ghost in the Shell de Rupert Sanders sans avoir une connaissance approfondie des originaux d’Oshii. Mais même dans ce cas, pas sûr que le film laissera une empreinte indélébile dans l’esprit de son public.
Bienvenue dans un futur… familier
Annoncé depuis 2008, Ghost in the Shell débarque dans un rutilant emballage Imax 3D (plutôt bien exploitée et lumineuse, pour une fois), sous la houlette d’un réalisateur jusqu’à présent uniquement remarqué pour Blanche-Neige et le chasseur, une adaptation cyniquement dark d’un mythe increvable. Un film très oubliable, mais déjà marqué par de multiples hommages voyants à la japanimation, et notamment à Hayao Miyazaki. Pour ce nouveau projet, Rupert Sanders n’a pas tari d’éloges sur l’univers qu’il réadaptait, et une chose est sûre, le résultat final démontre une dévotion totale au matériau, non pas tant de Shirow que du réalisateur d’Avalon. La structure narrative de ce Ghost in the Shell épouse totalement celle de son prédécesseur animé, dès le générique en fait. Dupliquant de manière encore plus esthétisante la scène de création du « Major », créature cybernétique dotée d’un cerveau humain, cette ouverture assez euphorisante avouons-le, oblitère par la perfection de ses SFX photoréalistes (Weta Digital) la frontière entre animation et film live. L’illusion dure un temps, pendant ces quelques secondes en apesanteur où le corps en gestation de Scarlett Johansson (très amusante quand elle tente de créer une démarche robotique ou simule avec succès un certain vide émotionnel) prend petit à petit sa forme finale.
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Puis c’est un sentiment familier qui s’installe, ponctuellement stoppé par d’invraisemblables plans aériens de mégapole verticale pan-asiatique. Des visions à la Blade Runner qui servent de décorum à la quête d’humanité du Major, membre à part la fameuse Section 9 qui se retrouve prise dans une enquête dangereuse à la recherche d’un cyberterroriste nommé Kuze. Les connaisseurs de GITS savent déjà que l’on retrouve à ses côtés le massif Batou (Pilou Asbaek, un choix idéal à l’écran, même s’il semble bien plus sortir d’un buddy movie ici que dans le manga) et leur boss Aramaki (Takeshi Kitano !) : l’une des bonnes idées du film de Sanders consiste à imaginer que dans ce futur où tout être humain peut être technologiquement « augmenté », être polyglotte est une formalité. Kitano peut donc être le seul membre du casting à s’exprimer en VO dans sa langue natale, personne ne trouve rien à y redire. Le cinéaste esquive en partie les problématiques de whitewashing en décrivant une société tentaculaire où les différences de couleur de peau sont bien moins essentielles que celles qui séparent l’Homme de la machine.
The Motoko Identity
Dans sa première partie, Ghost in the Shell suit donc un rail tranquille, déblayé pour lui par vingt années de scénarisation scrupuleuse et de world building faramineux, et nous plonge avec efficience dans un monde dont nous devons, en accéléré, comprendre les règles et les enjeux. Des robots-geisha (coucou Sushi Typhoon !), une corporation qui prélève des cerveaux humains, une imagerie complexe qui assimile le piratage des cyborgs à l’invasion de notre subconscient… L’aspect hard-SF de GITS ne décontenancera que les néophytes, et ne constituera de toute manière pas un obstacle à la compréhension du récit. Malgré sa bonne volonté, son travail conséquent sur les costumes et le design, malgré le sérieux aussi avec lequel cette nouvelle version est approchée, le scénario de Jamie Moss, William Wheeler et Ehren Kruger déraille à mi-parcours, justement quand Ghost in the Shell choisit de s’éloigner pour de bon de sa source.
Exit le « Marionnettiste » original, qui introduisait en force les notions d’intelligence artificielle, de déshumanisation qui faisaient tout le prix métaphysique des films d’Oshii. La trajectoire qu’adopte alors la narration sous nos yeux ébahis, c’est celle d’une origin story de super-héros : d’où viens-je ? Qui suis-je ? De créature déifiée en pleine crise de foi, le « Major » (ce n’est pas un nom mais un grade, à l’origine) passe ici à rebelle anti-establishment, tentant non pas de définir sa nature, mais de trouver ses origines. Et cette quête-là, elle ne résonnera jamais dans nos esprits comme celle de Motoko Kusanagi. C’est du déjà-vu à grande échelle, pas seulement dans la science-fiction, mais dans tous ces thrillers du samedi soir où le héros se réveille amnésique et se rend compte qu’on lui a volé son identité. En d’autres termes, c’est du nivellement par le bas caractérisé, et cela se répercute progressivement sur l’ensemble des situations et des personnages secondaires, ramenés au rang de pantins sans enjeux (pauvre Michael Pitt… et pauvre Juliette Binoche, aussi). Mais hey, au moins, vous saurez pourquoi ce n’est pas une Asiatique qui incarne l’héroïne !
Voir au-delà de la machine
Que sauver alors dans ce marasme thématique qui ramène au rang de série B digestible sans effort un monument réflexif et insaisissable porté par une partition hypnotique (le thème de Kenji Kawaï est repris ici comme une évidence, mais aussi un aveu d’impuissance) ? L’action, déjà, lisible au possible, et soulignée par une overdose de ralentis qui suintent la classe – même si les meilleures idées de cadrage et de mouvement sont intégralement pillées chez Oshii. La photographie, ensuite, qui réussit à extraire une ambiance cohérente d’une succession de décors désertiques, ou génériques, ou les deux à la fois. L’option « premier degré » intégral, également, choisie pour un film qui aurait très bien pu choisir de dérider son héroïne au-delà de l’acceptable : parce qu’elle reste fidèle en bien des points à son modèle, Ghost in the Shell est une grosse production bien plus sérieuse et pensive que la moyenne, mais là encore, cette réflexion n’ira pas bien loin. « Ce sont nos actes qui nous définissent, pas notre passé » est la lapalissade qui sert de mantra à un film qui fait mine de nous emmener vers des territoires inexplorés, alors qu’il se termine, littéralement, exactement comme il commence. Un conseil tout aussi simple, donc : si vous aimez ce que découvrez à l’écran, laissez tomber la copie de synthèse et shootez-vous au produit certifié d’origine !
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Ghost in the Shell
De Rupert Sanders
2017 / USA / 107 minutes
Avec Scarlett Johansson, Pilou Asbaek, Takeshi Kitano
Sortie le 29 mars 2017
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