American Animals : sans arme, ni haine, ni intelligence
Audacieux et original, American Animals transcende l’histoire vraie de quatre braqueurs du dimanche en mélangeant fiction et témoignages. Une belle surprise.
Il n’y a parfois rien de plus effrayant qu’une vie toute tracée, qu’un destin qui s’écrit en connaissant déjà le titre de tous les chapitres. C’est le sentiment qui étreint les jeunes et imbéciles héros d’American Animals, deuxième long-métrage du britannique Bart Layton après The Imposter, sélectionné au dernier Festival de Deauville. Tiré d’une histoire vraie (le carton d’ouverture s’amuse avec cette notion en sous-entendant que le film est la vérité), American Animals nous ramène en 2004, dans le Kentucky, alors que deux amis étudiants décident sur un coup de tête de planifier le braquage de la salle des collections spéciales de leur université. Un coup d’éclat, en tout cas dans leur tête, qui ne sera pas sans conséquence pour la vie de tous les protagonistes impliqués. Et pour bien nous le faire comprendre, Bart Layton s’emploie comme il l’avait déjà fait à brouiller les pistes entre réalité et fiction, sans jamais tomber dans l’écueil du docu-drama télévisuel.
Un plan simple(ment stupide)
Des histoires incroyables-mais-vraies, reconstituées sous forme d’un feuilleton documentaire à suspense, des plateformes comme Netflix en regorgent. Le matériau d’American Animals aurait pu servir de base à ce type de programme monté en épingle, mais Bart Layton a voulu emmener son film sur d’autres terres, et tenter une approche à la fois pleine d’ironie, d’empathie, mais aussi de tristesse et, quelque part, de colère. Car le film n’est pas une simple fiction rondement menée sur un énième hold-up aussi juteux sur le papier que calamiteux dans son exécution. Le cinéaste s’est longuement entretenu avec le quatuor de braqueurs au point de les introduire, physiquement, dans la narration, pour servir de contrepoint à ce que le film raconte de leurs « exploits ». Warren, Spencer et les autres, saisis dans toute leur relative maturité (ils ont la trentaine aujourd’hui), s’expriment face caméra et rythment en grande partie la première heure du film, interrompant parfois l’action pour se contredire – les acteurs apparaissent alors dans un autre décor plus proche du souvenir de l’autre -, ou interpellant même, dans de courts et fulgurants échanges, leur propre double de fiction. L’effet désarçonne, parce que l’intégration de ces interviews est clairement plus organique que dans un docu-fiction classique, et parce que Layton fait s’entrechoquer ces deux niveaux de « réalité » pour interroger à la fois le spectateur et ses protagonistes, sur les raisons de leurs actions et leurs erreurs de parcours.
De grandes espérances
Au-delà des hommages amusés que le film rend à Reservoir Dogs et Ocean’s Eleven, deux références qui planent consciemment dans l’esprit de ses personnages, du jeu constant entre vérité brute et mise en scène, entre liberté d’interprétation et respect des faits, American Animals interpelle surtout par le vide qu’il crée autour de la psyché de ces jeunes Américains. Quatre spécimens à qui la vie souriait, intelligents (mais pas tant que ça), destinés à de hautes études, de hautes fonctions ou en tout cas doués d’ambition. Quatre privilégiés inoffensifs en somme, que rien ne devait pousser à commettre un crime en bande organisée si ce n’est… quoi ? Un malaise existentiel ? Une poussée d’adrénaline fatale ? Des illusions de grandeur, qu’ils entretenaient en estimant que la vie devait procurer plus de joie et de gloire qu’une simple carrière réussie ?
Derrière la virtuosité manifeste de la mise en scène et du montage, l’homogénéité du casting (tous ou presque sont parfaits et troublants de ressemblance avec leurs modèles), l’interrogation demeure, obsédante, troublante. Les principaux (et principale) concerné(e)s n’ont que peu de réponses à donner, et peuvent seulement, au bord des larmes, constater les dégâts qu’ils ont causés et en tirer les leçons qui s’imposent. Ils sont comme impuissants face à leur « ancien moi ». Ce « moi » soudainement personnifié par un autre, symbole glorieux, mais honteux d’un passé gravé dans le marbre de la pellicule comme de leur casier judiciaire.