Parce qu’il faut bien partir en vacances parfois, Born to Watch a pris son temps pour déguster quelques bonnes sorties en salles voilà quelques semaines. Avec dix à quinze films sortant chaque mercredi, il est clair que beaucoup d’œuvres nous passent sous le nez sans s’arrêter. D’où cette petite session de rattrapage tout sauf scolaire, naviguant entre blockbusters épiques et comédies québécoises. Enjoy !

Blanche-Neige et le chasseur

Robin des b… pardon, Blanche-Neige et son armée partant à l’assaut du château royal. C’est EPIQUE, on vous dit !

Quelques mois seulement après la sortie discrète d’un premier Blanche-Neige avec Julia Roberts, signé par l’ex-prometteur Tarsem Singh, Hollywood a donc dégainé une deuxième version beaucoup plus infidèle au récit connu de tous, beaucoup plus « dark », « epic », bref, ayant choisi le camp du Seigneur des Anneaux plutôt que celui d’Alice au pays des merveilles. La comparaison n’est pas inutile, puisque ce blockbuster de 170 millions de dollars par le pubard Rupert Sanders (dont c’est le PREMIER long !) hurle dès qu’il le peut son amour pour la trilogie jacksonienne, que ce soit en multipliant les panoramiques aériens au-dessus des forteresses médiévales du royaume, ou en choisissant de diversifier au maximum le « bestiaire » de l’univers des frères Grimm (on a le droit à un combat avec un troll et à des espèces de ghoules maléfiques), donnant même au fameux miroir de la méchante Reine des allures de blob sauronnien. Blanche-Neige et le chasseur est donc un film sous influences (on pourrait aussi citer Robin des bois version Ridley Scott, Princesse Mononoke, Willow et même Krull comme victimes de ce gentil pillage artistique et narratif), qui profite de son budget confortable pour créer un univers visuellement époustouflant.

Qu’importe que les huit nains soient tous interprétés par des acteurs de grande taille (ce sera aussi le cas dans The Hobbit) hardiment « raccourcis », que Kristen Stewart ait le charisme d’une huître et le récit soit pauvre en péripéties palpitantes. Sa légitimité, ce Blanche-Neige-là la gagne par la force de sa direction artistique, qui fait que l’on déguste cet inoffensif blockbuster, qui paraît parfois étrangement désincarné (Sanders n’est pas encore un vrai directeur d’acteurs), comme un livre d’images à la décoiffante beauté,. Ce qui n’excuse pas non plus les errements de la narration, particulièrement nombreux – ce discours va-t’en-guerre ridicule, cette pauvre Charlize Theron obligée de meubler ses scènes avec du vide, son absence totale de suspense… À défaut de nous embarquer dans son monde, Blanche-Neige et le chasseur se contemple au moins avec une certaine innocence, surtout lors des passages en forêt.


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Troissurcinq
Blanche-Neige et le chasseur (Snow White & the Huntsman)
De Rupert Sanders
2012 / USA / 127 minutes
Avec Kristen Stewart, Chris Hemsworth, Charlize Theron
Sortie le 13 juin 2012
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21 Jump Street

Note : des canapés pare-balles comme celui-là, on en croise pas tous les jours à Cuir Center.

 21 Jump Street, ou l’art d’adapter des séries uniquement pour l’assurance d’avoir un titre familier à l’écran. Car, honnêtement, qui a envie de se souvenir de l’inénarrable feuilleton des années 80-90, ce soap/teenage/policier seulement rentré dans l’histoire parce qu’il a révélé Johnny Depp ? Une « adaptation » contemporaine de ce nanar télévisuel avait encore moins de raison d’être qu’un Starsky et Hutch, et pourtant, nous voilà devant ce buddy-movie pour ados, dirigé par les auteurs de Tempête de boulettes géantes et de la série azimutée Clone High. Miracle, en lieu et place du plan foireux, nous avons droit à un divertissement mené tambour battant (ouch, c’est pas djeun, ça, comme expression), carburant à l’humour gras et aux vannes vulgos comme au bon vieux temps des 90. Dans 21 Jump Street, on donne des coups de poings dans les seins, on teste des pilules hallucinogènes (LOL), on rend les stars moches en leur collant des bracelets et des grosses lunettes, on joue à être Chow Yun-Fat, et surtout, on chope la fille de ses rêves pour prendre une revanche sur ces satanées années lycées. Dynamique duo à la visible alchimie, Channing Tatum (surprenant) et Jonah Hill (en roue libre, et co-scénariste) mènent le show avec un féroce aplomb, ce qui permet d’oublier les quelques idées tombant à plat – le troisième acte est ainsi particulièrement avare en surprises, excepté un caméo de première classe.

Le film, dans les limites dans ses ambitions, a aussi la particularité d’être, un peu comme Detention, très représentatif du bouillonnement pop de la génération actuelle, blasée de tout et prompte au zapping hystérique. Le générique de fin, quasi-expérimental, est de ce point de vue très révélateur, et contribue – un peu – à faire de cette production bâtarde le cousin mainstream et plus formaté d’Hyper Tension.


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Troissurcinq
21 Jump Street
De Phil Lord et Chris Miller
2012 / USA / 127 minutes
Avec Jonah Hill, Channing Tatum, Ice Cube
Sortie le 6 juin 2012
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Starbuck

David « Starbuck » Wozniak, le bon gars par excellence et ses enfants…

Ce n’est pas tous les jours qu’on voit débarquer en multiplexe des comédies québécoises, mais devant le buzz généré depuis sa sortie au Canada, il était clair que Starbuck allait venir remplacer dans nos mémoires le souvenir des psycho-drames sclérosés de Denys Arcand. C’est que le premier film de Ken Scott ne vise pas les prix ou les récompenses : c’est un feel good movie, comme ils le diraient là-bas, un film qui déroule le fil d’une idée folle et bien vue (un gentil beauf bientôt papa découvre que ses multiples passages à la banque à sperme ont généré 533 enfants, dont un tiers veut connaître son géniteur) en prenant soin de toujours voir le bon côté des choses. C’est bien connu, les naissances sous X sont un problème de société dont il ne fait pas bon rire. L’énormité de l’argument de Starbuck permet au contraire prendre le sujet avec un recul amusé, parce qu’on sait bien que cet éternel ado qu’est David « Starbuck » Wozniak, va se découvrir contre toute attente un instinct paternel, et remettre sa marmaille dans le bon chemin puisque leurs problèmes ne se révèlent, pour chacun, jamais insurmontables. Le détachement viril et étudié de Patrick Huard dans le rôle-titre (qu’on avait déjà pu croiser dans le buddy-movie délocalisé Bon cop bad cop) et le dépaysement de la langue aident beaucoup à faire passer la candeur naïve d’un film qui aurait eu moins de circonstances atténuantes s’il s’était déroulé à Paris avec Kad Mérad. Quoique attendez deux minutes, les droits du film n’ont-ils pas déjà vendus à plusieurs pays en vue de nouvelles adaptations ? Hmmm…


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Troissurcinq
Starbuck
De Ken Scott
2011 / Canada / 1003 minutes
Avec Patrick Huard, Julie LeBreton, Sarah-Jeanne Labrosse
Sortie le 27 juin 2012
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Babycall

Anna (Rapace), mère courage ou mère schyzo ?

C’est donc le dernier grand prix du festival de Gérardmer, à nouveau scandinave : Babycall, un suspense moins fantastique que psychologique, porté par une actrice, Noomi Rapace, dont on connaît maintenant le vrai visage, après trois Millenium symboles de sa capacité à disparaître totalement derrière un rôle. Il y a, pourtant, quelque chose de Lisbeth Salander dans celui d’Anna, cette mère instable qui fuit un mari violent en s’enfermant dans l’exigu appartement d’une cité bétonnée avec son fils chéri, Anders. Il y a ce mélange permanent d’inquiétude et de rage passionnelle dans son regard, une angoisse à peine voilée qui jamais ne s’éteint. L’atmosphère claustrophobique, polanskienne, contribue à mettre en valeur sa prestation, mais Rapace n’est pas le seul point d’intérêt de Babycall.

Le film de Pâl Sletaune (Next Door) fait partie de ces œuvres qui n’aiment rien tant que de brouiller au maximum les pistes, d’abolir les frontières entre folie et réalité, entre doute logique et identification émotionnelle. Anna couve son enfant comme un rapace (sic) ses petits. Elle lui achète un babycall (il a 8 ans) pour l’entendre dormir, et finit par capter des cris terrifiants provenant du petit appareil – une peur universelle, presque une légende urbaine. Les cris viennent-ils de l’immeuble ? Pourquoi son fils, qui s’est fait un nouvel ami, change-t-il brusquement de comportement ? Les réponses, Sletaune les apporte en toute fin de parcours : c’est à la fois une révélation qu’on redoute, parce qu’on la soupçonne dès l’entrée en scène du personnage d’Anna (faites bien attention à ce mouvement de caméra latéral), mais l’histoire ne s’arrête pas là. En appliquant sur son drame intime un twist, puis un brouillage des ondes temporelles – désolé pour l’analogie forcée -, Sletaune se garde malignement de mettre un point final à cette silencieuse tragédie. Cette ombre d’un doute persistant confère à Babycall une bien dérangeante étrangeté, alors que l’affaire semblait dès le départ entendue. Fortiche, non ?


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Quatresurcinq
Babycall
De Pâl Sletaune
2011 / Norvège-Allemagne-Suède / 96 minutes
Avec Noomi Rapace, Kristoffer Joner, Vetle Qvenild Werring
Sortie le 2 mai 2012
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Les adieux à la reine

Le roi Louis XIV fait ses adieux… à qui ? Hein, à qui ?

Si l’on y repense, y a-t-il tant de films que cela qui se sont attaqués au sujet de la Révolution, ce chapitre essentiel, voire même fondamental, de l’Histoire de France ? Trop peu, sans aucun doute. Un exemple récent est resté en mémoire, pas forcément pour bonnes raisons, d’ailleurs, c’est le Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Benoît Jacquot, en adaptant Les adieux à la reine, a décidé de jouer lui aussi les grands seigneurs en investissant avec caméras et costumes les couloirs de Versailles, mais s’est privé de tout décalage kitsch, de toute explosion de couleurs, pour au contraire mettre en avant les craquelures d’une (haute) société au moment pile où elle plonge dans le précipice.

Quoi de mieux pour montrer cet effritement que d’épouser le point de vue d’une jeune servante (Léa Seydoux, souvent trop boudeuse pour son propre bien, mais solide), qui plus est aveuglée par son admiration pour la dite Marie-Antoinette (Diane Kruger, parfaite pour le rôle). Les jeux de la cour, que nous visitons un peu comme dans Gosford Park, des salons perruqués aux sous-caves décrépies éclairées à la chandelle, sont exposés dans leur triste mondanité. Un triangle amoureux, et saphique, se dessine à mots couverts entre la jeune Sidonie, la Reine et Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen, toute en détachement mystérieux), tandis qu’à l’extérieur, la révolte gronde à la Bastille et que Louis XIV doit faire face à son destin. La panique qui saisit alors la noblesse et fait vaciller ce cirque désuet est saisie par la caméra fébrile de Jacquot, qui filme en plans-séquences les allées et venues inquiètes des locataires du Palais, saisissant au vol les bribes de complots, les manigances sournoises de servantes voyant là une bonne occasion de revendre linge et vaisselle au plus offrant… Cruel comme souvent mais toujours lucide, le réalisateur referme alors, une mâchoire après l’autre, le piège sur l’innocente admiratrice, grisée par la soudaine importance des missions que lui confie sa Reine, qui elle n’a d’yeux que pour sa maîtresse. Nullement statique ni pontifiant, le film lance un écho saisissant à notre société contemporaine, nous rappelant qu’en poursuivant une quête futile de pouvoir, et d’importance, chacun s’expose à de dures désillusions, quelle que soit sa « classe ». L’Histoire est aussi une affaire de cycles…


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Troissurcinq
Les adieux à la reine
De Benoît Jacquot
2011 / France-Espagne / 100 minutes
Avec Léa Seydoux, Diane Kruger, Virginie Ledoyen
Sortie le 21 mars 2012
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