Private War : profession reporter… de guerre
La performance de Rosamund Pike illumine Private War, biopic de la journaliste Marie Colvin qui sonne comme un rappel à la raison à l’époque des « fake news ».
« Faire que le monde s’arrête et regarde ». C’est le credo qui a animé pendant toute sa carrière la journaliste Marie Colvin, célébrée pour ses multiples reportages en zone de conflit dans les années 90 et 2000. Dans le petit monde du journalisme, les reporters de guerre de sa trempe sont célébrés comme des héros à part entière, prêts à prendre tous les risques pour faire exister LA vérité et ne pas faire sombrer certains pans de l’Histoire dans l’oubli. Basé sur un article posthume de 2012 paru dans Vanity Fair, Private War s’attelle à retracer, ou plutôt à synthétiser avec quelques libertés la vie, privée comme professionnelle, de la journaliste américaine. Le film tombe à point nommé pour rappeler à ceux qui mettent aujourd’hui en doute le moindre reportage issu des « médias dominants », parce qu’il contredit leurs préjugés, l’importance de ces témoins objectifs de l’actualité, quand bien même ces derniers charrient aussi leurs zones d’ombre.
Private War s’ouvre sur une image des ruines de Homs, en Syrie, une « ville fantôme » dévastée par les bombardements qui sera aussi la dernière destination de Marie Colvin (Rosamund Pike, Gone Girl) en 2012. C’est le point de départ d’un récit en forme de compte à rebours –choix narratif morbide, mais classique -, qui revient sur les années de gloire de la journaliste, qui travaille au Sunday Times. Colvin est un véritable soldat de l’information, qui n’hésite pas à aller en première ligne lors d’un conflit au Sri Lanka en 2001… et y perd un œil, ce qui la force à arborer un cache-œil qui deviendra le totem de son engagement. La peur, le traumatisme d’assister à des scènes d’horreur, Colvin la garde confinée au chaud pour ses retours au pays. Entre chaque scène « sur le terrain », Private War raconte les relations amoureuses impossibles, l’alcoolisme et les cures de désintox qui ponctuent la vie de Colvin. Accompagnée du photographe Paul Conroy (étonnant Jamie Dornan), elle se rend à Fallujah sur la piste d’un charnier, interviewe un Khadafi mielleux… Avec à chaque fois cette même conversation intérieure : pourquoi risquer sa vie à ce point ? Question à laquelle Marie Colvin répondrait : « pourquoi personne ne le fait ? »
Des lignes de front aux colonnes de la Une
Pour sa première tentative dans le monde de la fiction, le documentariste Matthew Heineman (Cartel Land) s’est pris de passion pour une héroïne dont il n’a pas voulu peindre un portrait idéalisé. Comme bien d’autres films sur ce thème, de Salvador à Welcome to Sarajevo, Private War illustre les contradictions intimes d’une reporter de l’extrême, accro à l’adrénaline et au fait d’être la porte-torche des plus faibles. Le film n’est pas subtil sur ce point, avec une multiplication de dialogues sursignifiants qui renforcent son côté démonstratif (l’exemple parfait étant l’éditeur du Sunday Times joué par Tom Hollander, un peu trop philanthrope et concerné pour être vrai). Difficile aussi de comprendre l’utilité de certaines sous-intrigues inventées, autour de l’ex-mari de Colvin ou sa meilleure copine de boulot. Est-ce que ces diversions servent ne pas aliéner le spectateur confronté à un personnage buté et tout sauf aimable ?
« Private War illustre les contradictions intimes d’une reporter de l’extrême, accro à l’adrénaline et au fait d’être la porte-torche des plus faibles. «
Ces facilités ne doivent pas faire oublier le remarquable travail de reconstitution abattu par l’équipe d’Heineman (qui s’est rendu lui-même dans bon nombre de ces théâtres de guerre), que la mise en scène valorise grâce à un montage percussif et une caméra en constant mouvement. Ni la performance de Pike, qui donne de sa personne comme rarement en adoptant le look, la voix grave et la gestuelle de son modèle avec une intensité remarquable. Private War ne cherche pas, sans que se soit dommage, à percer à jour les motivations profondes qui servaient de moteur à l’engagement de Marie Colvin, que même Paul Conroy, son « sidekick » et notre principal vecteur d’identification, ne semblait pas connaître. En définitive, ses actes et ses mots parlaient pour elle : il nous suffit de continuer à les lire et à comprendre leur valeur.