Disney+ : un mastodonte dédié aux nostalgiques et aux (grands) enfants
La fermeture des cinémas due au coronavirus pousse le CNC à autoriser l’arrivée massive de films français inédits en VOD. Une situation sans précédent.
C’est peu dire qu’elle se sera faite attendre. Annoncée de longue date par le groupe Disney, devenu en une décennie le rouleau compresseur le plus intimidant de la pop culture mondiale, lancée officiellement en novembre dernier aux USA (et dans une partie du monde, dont les Pays-Bas), repoussée de quelques semaines en raison du confinement français (et des craintes des opérateurs quant à la saturation de la bande passante que cela provoquerait), la plateforme de streaming Disney+ est enfin là. Prête à être téléchargée en quelques clics depuis ce 7 avril, sur tous les supports imaginables, et à être testée illico – 7 jours gratuits sont offerts. Le lancement ne s’est pas effectué sans heurts, des bugs mineurs s’ajoutant à des problèmes d’accès pour certains abonnés de Canal+ (qui propose de multiples formules pour profiter de Disney+ en plus de ses chaînes, dont l’une regroupe également Netflix et OCS). Mais dans l’ensemble, l’arrivée du mastodonte américain s’avère fidèle aux prévisions : tout le monde veut la découvrir, tout le monde veut parcourir son catalogue et se jeter sur ses programmes.
Avec près de 600 films et 144 séries (et non pas 300, comme annoncé par la firme) proposés pour 6,99 € par mois (70 € pour un an, la première année est offerte chez Canal+), ce qui autorise le partage sur 7 profils et l’utilisation de 4 écrans en simultané, Disney+ a les arguments qu’il faut pour s’installer à la même table que Netflix et Amazon Prime Video. Comme ses concurrents, la plateforme compte déjà plusieurs millions d’abonnés, a mis les moyens sur la table (près d’1,4 milliard de dollars) pour produire des contenus originaux… et dispose surtout d’une série de « marques », puisque c’est ainsi que les studios réfléchissent, au pouvoir d’attraction immense. L’univers Marvel, les Star Wars et leur innombrables déclinaisons animées, les documentaires National Geographic, les succès, courts et longs, de Pixar, quelques perles du catalogue 20th Century Fox (honteusement sous-exploité), et bien sûr, la quasi-totalité des classiques animés et live de Disney, de Steamboat Willie jusqu’à La Reine des neiges… En surface, « c’est du lourd », comme disent les influenceurs.
Une richesse de façade
Sauf que. Pour peu que vous ne soyez pas le géniteur d’une petite famille, pressé de faire découvrir vos madeleines de Proust disneyiennes à vos enfants (et qu’ils vous rendent fous en retour en lançant pour la 45e fois Cars 2), un fan complétiste des Simpson (tout est là, c’est vrai, même si la moitié des épisodes sont pour l’instant honteusement recadrés), ou un nostalgique invétéré, Disney+ montrera rapidement ses limites. Qui n’a pas encore vu, et revu la Guerre des Étoiles, les Avengers, Avatar, Wall-E ou Le roi Lion ? Qui a envie de se farcir les (télé)films familiaux produits à la chaîne par Disney entre les années 60 et 2000, du Gang des Chaussons aux pommes à Underdog, chien volant non identifié, si ce n’est pour voir ici et là les bouilles juvéniles de Kurt Russell, ShiaLaBeouf, Jodie Foster ou Elijah Wood ? Avoir « tout » Disney sous la main serait encore une belle promesse, si le but du portail n’était pas de proposer exclusivement des programmes familiaux, inoffensifs, pas trop violents. Ne vous étonnez donc pas de ne pas croiser Le dragon du lac de feu ou La foire aux ténèbres, sombres « dérapages » des années 80, sur le portail par ailleurs très fluide, mais aux classifications bizarres, de Disney+. Ni des films d’après 2016, chronologie des médias française oblige – exit Coco, Avengers Endgame ou Les derniers Jedi, entre autres.
« Ne vous étonnez pas de ne pas croiser Le dragon du lac de feu ou La foire aux ténèbres, sombres « dérapages » des années 80. »
Le catalogue attirera surtout l’œil des cinéphiles pour les « seconds couteaux » qu’il permet de remettre en avant (les beaux films d’aventures Huckleberry Finn et Natty Gann, le méconnu James et la pêche géante d’Henry Selick, réalisé après L’étrange Noël de Monsieur Jack, le jouissif Rocketeer, la suite maudite du Magicien d’Oz, le bide cosmique A la poursuite de demain), et pour la profusion de bonus (interview, making of) proposés en complément de nombreux titres, un véritable atout par rapport à Netflix qui proposait précédemment un bon nombre de titres Disney. La plateforme propose aussiquelques programmes originaux. Les films Togo, Star Girl et le remake live de La Belle et le Clochard (retiré des salles, le blockbuster Artemis Fowlles rejoindra cet été), l’émission documentaire Le monde selon Jeff Goldblum, la série de docs Il était une fois les Imagineers… et bien sûr la tête de gondole The Mandalorian, à la diffusion inexplicablement morcelée. Un produit d’appel si puissant qu’outre-Atlantique, Disney a enregistré une chute des abonnés après la mise en ligne du dernier épisode de la saison 1.
Et après ? Des dizaines de projets sont en cours, à 90 % des remakes de grands succès Disney (ou Fox), donc peu de raisons de s’exciter. Disney+ reste une plateforme patrimoniale par essence, parfaite pour entretenir notre syndrome de Peter Pan obsédé par les films qui ont formé notre enfance. Pour exciter votre cinéphilie et votre besoin de nouveautés, il faudra sûrement, et rapidement, aller voir ailleurs. Ce n’est pas l’offre qui manque…