On a déjà parlé en octobre de la looongue liste des candidats à l’ Oscar du meilleur film étranger, révélée à Los Angeles par l’Académie. 71 pays en compétition dans ces mini-Jeux Olympiques de la culture, soit près d’un pays sur deux représenté, pour seulement cinq places sur le podium. Le nom des heureux vainqueurs sera révélé le 10 janvier 2013, après une première pré-sélection de neuf long-métrages, et dans le camp des favoris se distingue déjà la dernière Palme d’Or en date, Amour. Michael Haneke est un habitué de la course à l’Oscar, puisque son Ruban blanc avait déjà été en lice pour obtenir la statuette : sa présence à Los Angeles est une quasi-certitude. D’autres titres déjà bien connus des cinéphiles (le Pieta de Kim Ki-Duk, Au-delà des collines, le belge A perdre la raison, le danois A royal affair et bien sûr, Intouchables, parrainé par nul autre qu’Harvey Weinstein) pourraient l’y rejoindre.
Dans cette sélection de My trailer is rich, nous avons décidé de retenir cinq autres films, cinq outsiders qui pour certains ne risquent pas de brandir le petit bonhomme doré en 2013, mais que leur sélection nationale a d’ores et déjà mis en avant. Parce qu’il y en a, des titres improbables, « couillus » ou obscurs dans la liste de l’Académie : on y trouve du drame existentiel en cuisine, certes, mais aussi du film d’aventures, du thriller pur et dur et du film de guerre à tendance mélodramatique, bref le genre de choses qui récolte assez rarement les honneurs des votants à l’heure de départager les candidats. Comme d’habitude, n’essayez pas de comprendre : regardez !
A Croatian Film
A tout seigneur, tout honneur : on débute donc le tour d’horizon avec le meilleur titre (dans le sens de meilleur titre, hein, pas de meilleur film) de cette sélection, à savoir le Croate Vegetarian Cannibal, de Branko Schmidt. Oh la belle oxymore que voilà ! De quoi peut bien parler un film au titre aussi non-sensique ? Contre toute attente, il ne s’agit pas d’une histoire de militants écologistes revenant d’entre les morts, mais d’un éprouvant récit sur la corruption et la prostitution, tournant autour d’un personnage de gynécologue bien pourri. Ambitieux, amoral, le docteur Babic est en plus accro à la drogue, et ami avec un maquereau qui lui « sous-traite » des avortements illégaux pour ses prostituées. Bref, un univers bien glauque, guère plus réjouissant que celui des voisins serbes, filmé qui plus est dans un style épileptique, rentre-dedans et caméra à l’épaule. Voilà, voilà. Vegetarian Cannibal, Oscar du meilleur film étranger ? Voilà le genre de phrase que n’importe quel cinéphage déviant rêverait d’entendre une fois dans sa vie.
Le nouveau Millenium ?
Le succès de la trilogie Millenium, en librairie comme au cinéma, a été tel qu’il est aujourd’hui évident de guetter la moindre nouvelle sensation littéraire en provenance de ce beau pays qu’est la Suède. L’excellent Headhunters a encore prouvé récemment le savoir-faire des Scandinaves en matière de polar glacé et roublard, et le petit nouveau, The Hypnotist, semble suivre la même ligne. Basé sur le roman de Lars Kepler (pseudonyme pour un couple d’écrivains, Alexandra et Alexander Ahndoril), ce thriller parle, vous l’aurez sûrement deviné, d’un hypnotiseur, en l’occurrence un psychiatre auquel fait appel l’inspecteur Linna. Ce dernier pense que le seul moyen de sauver la fille d’une famille assassinée par un serial killer est d’hypnotiser son petit frère, rescapé de la tuerie. Un résumé simple d’une intrigue qui s’annonce tortueuse (peut-être à cause de l’absence de sous-titres), pour un film esthétiquement léché, qui ô surprise est réalisé par l’enfant du pays Lasse Hallström, jusque-là plus connu pour ses épais mélos hollywoodiens tels que Le Chocolat, Terre Neuve ou l’inénarrable Hatchi (avec Richard Gere et un chien). Il profite de ce retour dans sa terre natale pour diriger devant la caméra sa propre femme, la toujours charismatique Lena Olin – c’était la minute tapis rouge de cet article. Après tout, on reste dans la thématique, là, non ?
Le fabuleux destin de Barfi
Bon là, on l’avoue, il est possible de miser quelques billets sur ce Barfi ! venu tout droit de Bollywood, tant le trailer très « musette et bons sentiments » évoque immanquablement une autre « oscarisable » bien de chez nous, une certaine Amélie Poulain. Rien ne dit donc que Barfi !, du nom du héros sourd-muet, espiègle et irrémédiablement optimiste qui illumine la vie des gens autour de lui, soit un film mémorable. Néanmoins, ce grand feel-good movie récréant la vie à Darjeeling dans les années 70, qui place l’amour et les sentiments au-dessus de tout (Barfi n’a que faire de son handicap, et s’attache à changer la vie d’une autiste dont il tombe amoureux), a remporté un énorme succès en Inde, et on parle déjà d’une adaptation en anglais. La réjouissante bande-annonce, sans dialogues (of course) et regorgeant de couleurs chaleureuses, promet en tout cas une comédie romantique pas comme les autres, qu’on peut espérer voir débarquer un jour en France. Avant le remake. Si possible.
La matador et les sept nains
Difficile de savoir si Pablo Berger (Torremolinos 73) a pu voir The Artist avant ou pendant qu’il tournait en Espagne Blancanieves, ou Blanche-Neige en français. Il faudrait le lui demander, car vu d’ici, les similitudes sont trop nombreuses pour être passées sous silence. Le film se déroule à Séville dans les années 20, est en noir et blanc (avec un gros effet grindhouse pour vieillir artificiellement l’image et la rendre tremblante) et surtout… muet, avec intertitres en sus. Sauf qu’ici, nous ne sommes pas à Hollywood à l’aube du cinéma parlant, mais en Andalousie, dans le monde de la corrida, où se joue une version moderne du célèbre conte des frères Grimm. On y croise même des toreros nains ! On peut rire bêtement, et aussi grincer des dents au vu du traitement élégiaque de « l’art » de la corrida, mais il est indéniable que Blancanieves a de la gueule dans le genre hommage romantique à l’école expressionniste. Le réalisateur a eu aussi le bon goût de caster l’envoutante Maribel Verdu (Tetro, Le labyrinthe de Pan) dans le rôle de la blanche matador objet de nombreuses jalousies. Pour info, le film sortira chez nous le 23 janvier prochain.
Un tigre dans le moteur
Il est bien dommage que la production russe, en dehors des films du chouchou de la critique Alexander Sokurov, soit si rarement mise à l’honneur dans les pays occidentaux. Pas que la dramaturgie ou les relents révisionnistes des gros budgets locaux soient faciles à assimiler, mais il n’est pas rare de tomber, au gré des faméliques sorties dvd made in Moscou, sur de bonnes surprises, comme Le 9e Escadron. Cette année, la mère Patrie a envoyé au casse-pipe de la sélection un film… de tank, nommé White Tiger. Une péloche guerrière, forcément, qui se déroule de plus durant la Seconde Guerre Mondiale, période sur-représentée dans les films russes, mais qui se pare ici d’une ambiance plutôt mystique. L’histoire se déroule dans les derniers jours de la guerre, le « white tiger » du titre étant décrit comme une sorte de machine infernale détruisant les chars soviétiques sans jamais être endommagé. Le héros, Ivan, aux commandes d’un engin de mort tout neuf, devient obsédé par la traque de ce « tigre » convoquant forcément le fantôme de Herman Melville et sa baleine géante. Un war flick méditatif et onirique sur une quête intérieure désespérée, ça fait plutôt envie, non ?