Depuis plusieurs années, le studio Pixar et plus précisément le réalisateur de Là-haut, de Wall-E, Monstres & Cie, Pete Docter, affirme travailler sur un mystérieux projet : mettre en scène des émotions, abstractions ô combien difficiles à visualiser à l’écran. Il y a quelques mois, les premières images de cette incroyable réalisation ont pris vie, permettant de prendre la mesure de son ambition. Plus qu’un simple film d’animation, le spectateur s’apprête à assister à un grand film qui réalise la prouesse de manier avec fluidité et clairvoyance des notions complexes dans une aventure dans laquelle petits et grands se retrouveront. Après plusieurs opus dispensables, quand ils n’étaient pas véritablement décevants, Vice-versa reprend en main toutes les obsessions du studio Pixar : l’universalité, la quête identitaire prise dans son sens le plus psychologique, et la multiplication des idées brillantes imbriquées dans un scénario peaufiné à l’extrême.

Un esprit en ébullition

Vice-versa : l'animation s'élève au firmament

La petite Riley, âgée de 11 ans, originaire du Minnesota s’apprête à vivre un instant décisif de sa jeunesse : le déménagement de ses parents pour San Francisco. Si, jusqu’à présent, son existence se conjuguait avec simplicité, quitter sa maison, ses amis et ses habitudes bouleverse la jeune fille et la confronte à des émotions nouvelles. À l’intérieur de sa tête, dans son « Quartier Général », les Émotions, chargées de son bien-être et de sa protection, tentent de gérer les changements le mieux possible, alors que des événements étranges viennent bouleverser le fragile équilibre de sa mémoire. Joie s’efforce de mener la petite équipe de manière à rendre l’enfant heureuse et optimiste. Colère fait régner la justice, Peur la protège et Dégoût la préserve des poisons de la vie. Enfin, Tristesse, timide et gaffeuse, n’a pas encore trouvé de place prédéfinie dans le cerveau de Riley et surtout l’estime de ses collègues.

[quote_center] »Vice-versa exprime visuellement ce que des années d’études sur le psyché ne font qu’effleurer à coups de mots savants. »[/quote_center]

C’est alors que Joie et Tristesse se perdent dans les recoins éloignés de l’esprit de la petite fille. Dégoût, Colère et Peur prennent alors les manettes, en attendant que les deux émotions si essentielles retrouvent le chemin du Quartier Général. Débute alors un périlleux voyage au cœur de la Mémoire à long terme, au Pays de l’Imagination, de la Pensée Abstraite, ou de la Production des Rêves. Comment Pete Docter (Là-haut) est-il parvenu à transposer à l’écran des concepts aussi insensés ? Le scénario de Vice-versa, malgré son très haut niveau conceptuel (et très casse-tête) s’avère étonnamment fluide, disséminant au gré de cette aventure intérieure une large palette d’émotions et  faisant intervenir chez le spectateur des souvenirs parfois douloureux, pour mieux expliquer visuellement les mécanismes qui animent chacune de nos pensées. Non seulement le nouveau Pixar se veut, par ce biais, pédagogique, transformant l’intellect en un monde merveilleux, mais il ne craint pas non plus d’aborder frontalement la noirceur de l’être, la solitude, le deuil de l’enfance et la dépression. Si Pete Docter s’accorde autant de libertés, c’est parce qu’il s’adresse aux enfants avec un humour irrésistible, un sens du rythme épique et un optimisme à toute épreuve.

La force du visuel

Vice-versa : l'animation s'élève au firmament

Le quintet d’Émotions, remarquablement composé (il y en avait plus dans les premières versions du scénario), exprime visuellement ce que des années d’études sur le psyché ne font qu’effleurer à coups de mots savants. L’inspiration sans limite de Pixar, qui n’avait pas signé de film si imaginatif et osé depuis Wall-E, s’attaque aussi, avec une efficacité redoutable, à l’inconscient, à l’abstraction, au psychédélisme, à l’étrange et au grotesque, à travers une galerie de personnages secondaires étonnants. Les deux héroïnes du film, Joie et Tristesse arpentent ainsi le « Studio des Rêves » et font découvrir au spectateur l’envers du décor de nos cauchemars. Elles croisent des créatures profondément enfouies dans notre subconscient, volontairement « enfermées ». Elles affrontent également la mort, au sens littéral : nos souvenirs effacés par le temps, comme autant d’êtres qui cessent tout à coup d’exister. Vice-versa s’attarde également, grisé par ce ressort comique, dans les QG des adultes et des enfants qui côtoient Riley. Lors de la scène du dîner, les décisions du Quartier Général de la jeune fille sont directement confrontées à celles des émotions de ses parents, illustrant parfaitement la capacité du film d’alterner avec clairvoyance les registres les plus inattendus, du comique au sérieux, de la private joke à la cruauté, du subjectif à l’objectif, comme autant de manières d’enrichir un peu plus un film au pouvoir d’évocation infini.

S’il a pêché par fainéantise avec Jurassic Word, Michael Giacchino signe une bande-son emballante, parfaitement à la hauteur pour l’aventure que représente Vice-versa. Présenté hors compétition à Cannes, le film d’animation de Pete Docter contribue à extraire, si cela n’était pas déjà le cas, le genre de ses limites académiques, en touchant à la fois à l’universel et au sublime, le tout dans un cadre de divertissement parfaitement calculé par ailleurs. De fait, gageons qu’en 2016, le producteur John Lasseter pourrait bien soulever un Oscar, amplement mérité, de meilleur film. Ça ne serait, à tous les niveaux, que justice.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Cinq sur cinq
Vice-versa (Inside out)
De Pete Docter
2015 / États-Unis / 94 minutes
Avec les voix d’Amy Poehler, Bill Hader, Mindy Kaling
Sortie le 17 juillet 2015
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Crédits photos : © The Walt Disney Company France