Le sauvetage ubuesque de ressortissants américains durant la crise des otages iranienne de 1979, nous apprend Argo, a été réussi grâce à la plus improbable des couvertures : un équipe canadienne en repérage pour un film SF post-Star Wars. L’histoire était à la fois si folle et si irréfutablement vraie qu’il fallait bien en faire un film. L’opération « Argo », déclassifiée en 1997, aura donc attendu une quinzaine d’années pour servir de matrice à un film comme on en voit peu : une histoire d’espionnage positive, à la fois pleine de suspense, mais aussi d’humour et de dérision. Une anecdote à l’échelle de l’histoire des relations entre USA et Iran, dont le propos est moins de commenter la paranoïa post 9/11 ou l’actualité politique, comme La guerre selon Charlie Wilson par exemple (1), que de démontrer le pouvoir libérateur, dans tous les sens du terme, de la fiction et partant, de l’industrie du rêve hollywoodienne.
Espionnage vintage
Ce parti-pris que s’impose Ben Affleck, géniteur omnipotent de ce film promis à un vrai hold-up oscarisable, peut faire sourire, lorsqu’on connaît les relations que le golden boy a entretenu avec la Mecque du cinéma, qui a été aussi prompte à le porter aux nues qu’à le descendre en flammes. Le comédien, qui masquait à peine son dédain pour les nanars familiaux dans lesquels il échouait, s’est acheté une rédemption en tant que réalisateur, avec deux polars : Gone baby gone et The Town. Il y a démontré de solides aptitudes de storyteller, un amour inconditionnel pour Boston et les performances d’acteurs, ainsi que pour un cinéma de genre soigné mais socialement engagé, dans la lignée des films de Richard Fleischer et Sidney Lumet.
Le projet Argo, co-produit par une autre star-réalisateur nostalgique du Nouvel Hollywood, George Clooney, a été abordé avec le même sérieux. On retrouve dès les premières minutes cette volonté de l’Affleck cinéaste de plonger le spectateur dans l’histoire, cette fois par le biais d’un montage pédagogique retraçant 30 ans de relations américano-iraniennes. Deux heures plus tard, le générique de fin nous montrera avec quel soin Affleck et son équipe de décorateurs et costumiers ont tenu à reproduire au poil de moustache près l’environnement de cette période historique tumultueuse, qui voit l’Iran basculer sous la coupe de l’ayatollah Khomeini, tandis que Ronald Reagan profite de l’échec des négociations avec les preneurs d’otages de l’ambassade pour remporter l’élection présidentielle. De fait, au niveau esthétique, Argo est un pur régal de production design vintage, impossible à prendre en défaut, le scénario prenant un malin plaisir à glisser quelques indices caractéristiques de l’époque où se déroule l’action – comme les lettres d’Hollywood en ruines.
L’agence sans risques
Mais ce souci de réalisme et de pédagogie, bien que sincère, reste soumis à la simplification d’un script qui, Hollywood oblige (beau paradoxe), résume une crise politique majeure à l’invasion d’une population uniformément vue comme des extrémistes religieux barbus et fanatiques. De même, puisque l’incongruité du plan concocté par la CIA doit rester la partie essentielle de l’histoire, le rôle réel de certains protagonistes (le gouvernement canadien en particulier) est purement et simplement éludé, réduit à une note – un brin cynique – en fin de parcours. Devant la caméra, Affleck se garde, avec intelligence, le rôle de l’organisateur du subterfuge, un « exfiltrateur » de la CIA se servant de ses contacts à Los Angeles pour mettre en route une fausse production de film de science-fiction afin de pouvoir pénétrer puis sortir d’Iran avec sa bande de fugitifs.
L’évocation simultanée du Hollywood des seventies et d’un Téhéran sous haute tension, deux mégapoles semblant vivre dans une galaxie différente, fournit un prétexte idéal à un montage parallèle inspiré, entre la lecture de scénario du fameux faux film (une histoire de rebelles se soulevant contre un Empire galactique avec l’aide de la population agricole !) et les discours télévisés des preneurs d’otages fustigeant la décadence occidentale. C’est sans doute la séquence la plus limpide et réussie d’un film par ailleurs trop sûr de ses effets, dans la peinture de seconds rôles hauts en couleur (l’occasion pour Alan Arkin, John Goodman et Bryan Cranston d’étaler avec une aisance écœurante leur savoir-faire) ou l’orchestration de ses rebondissements.
Certes, on tremble et on frémit à l’unisson des fugitifs contraints d’apprendre au débotté le métier de producteur ou de chef décorateur, et de subir des contrôles d’identités tombant comme autant de couperets. Mais Argo dramatise à outrance, pour les besoins du spectacle, une opération qui reposait avant tout sur la discrétion, sur la préparation laborieuse d’une exfiltration devant passer sous le radar de l’administration. La mise en abyme qui s’opère avec le faux film dans le film donne un panache incontestable à l’histoire, mais au-delà du gimmick séduisant et de la mécanique bien huilée, Argo se révèle un peu trop sage et routinier pour être mémorable. Cela dit, on voit désormais mal le débrouillard Affleck repartir bredouille de sa prochaine opération « Oscar ». Car c’est bien connu, Hollywood adore les sauvetages inattendus…
(1) Un plan montrant une réfugiée découvrir l’Irak comme on arrive en terre promise est malgré tout loin de passer inaperçu.
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Argo
De Ben Affleck
2012 / USA / 120 minutes
Avec Ben Affleck, Bryan Cranston, Alan Arkin
Sortie le 7 novembre 2012
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