Detective Dee l’annonçait avec faste, Dragon Gate, la légende des sabres volants le confirme avec fracas : Tsui Hark, le mogul de Hong-Kong ayant régné sans partage sur le box-office de la péninsule dans les années 90, est bel et bien de retour. Le réalisateur-producteur-scénariste signe avec ce remake de Dragon Inn emmené par Jet Li son premier « vrai » film 100 % chinois, à très gros budget donc, son premier en Imax 3D aussi. Autant dire que pour un génie créatif aussi bouillonnant que Hark, ce projet ressemblait fort à l’ouverture précoce d’un magasin de friandises au moment de Noël. Un peu d’histoire tout d’abord : pour ceux qui l’ignoreraient, l’histoire de Dragon gate, la légende des sabres volants (ouh, le joli retitrage opportuniste et non-sensique !) a été déjà été plus moins racontée de la même manière à deux reprises. En 1967 tout d’abord, avec le classique Dragon Inn de King Hu, puis en 1992 avec L’auberge du dragon, production supervisée de très près (on va même dire réalisée)… par Tsui Hark, alors à l’origine d’un véritable revival du film de capes et d’épées chinois, autrement dit le wu xia pian, grâce entre autres à Il était une fois en Chine.

Une nouvelle dimension

Wan (Gordon Liu !) et Zhao (Jet Li) s’affrontent durant la virevoltante scène d’ouverture.

En décidant de revisiter cet univers à l’aune de la révolution numérique, Hark revient clairement à ses racines pour mieux se relancer, son étoile s’étant progressivement ternie après la rétrocession de 1997, sa carrière évoluant alors entre fulgurances (Time & Tide, Seven Swords en bonne partie) et cuisantes déceptions (les horribles Black Mask 2 et Missing, entre autres).

L’histoire de ce Dragon Gate se déroule au XVe siècle, à une époque où le royaume est contrôlé par des eunuques impériaux réprimant sans pitié toute contestation. Zhao (Jet Li) est l’un des combattants de la liberté qui s’opposent au régime en place, suscitant la colère du chef du bureau de l’Ouest, Yu Huatian (Chen Kun). Ces deux-là sont voués à régler leurs comptes en bonne et due forme, mais avant cela, l’action va se déplacer dans l’auberge dite de « la Porte du Dragon », située à la frontière, et où vont converger une dizaine de protagonistes poursuivant tous un but différent. Une bande de bandits tartares, deux escrocs à la petite semaine, une artiste martiale qui a à cœur de protéger une servante échappée de la cour royale, ainsi qu’un contingent de soldats font partie de ce microcosme au bord de l’explosion. La tension monte à l’auberge, alors qu’une tempête cataclysmique, qui n’arrive qu’une fois tous les 60 ans, approche inéluctablement…

Le nouveau Tsui Hark a donc la particularité d’avoir été tourné en 3D, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il a dû calmer le jeu et changer son fusil d’épaule. Dragon Gate est en effet, dès son premier plan (un travelling aérien survolant un port médiéval en passant au-dessus et à travers les mâts des bateaux), une œuvre virevoltante, toujours en mouvement, bourrée de dutch angles, de raccords magiques et propulsée par un montage fulgurant. Manifestement à l’aise avec le format, Tsui Hark, qui s’est adjoint les services de Chuck Comisky, superviseur des effets visuels sur Avatar, investit pleinement les potentialités de la 3D, qu’elle soit ludique (épées, flèches, poignards, cordes, rochers et même troncs sont projetés vers le spectateur) ou esthétisante (les compositions martiales et nombreux duels profitent d’une profondeur de champ accrue capitale dans la gestion de l’espace).

Les femmes de Tsui

Ling (Zhou Xun), une pure héroïne « harkienne »…

À l’instar de Martin Scorsese trouvant dans ce gimmick à la mode un outil parfait pour établir une réflexion sur le pouvoir d’immersion du cinéma dans Hugo Cabret, Hark semble retrouver une rage de filmer et un besoin irrépressible d’en donner pour son argent au spectateur. Les multiples combats qui émaillent le film, de l’ouverture dans le chantier naval aux ultimes joutes se déroulant dans un désert balayé par une tornade (qui joue ici un rôle prépondérant au cœur de l’action), sont chorégraphiées par le fidèle Yuen Bun, et mélangent adroitement affrontements câblés et doublures numériques. Par leur opulence visuelle, leur inventivité – chaque protagoniste dispose de ses armes de prédilection – et leur côté aérien, ils rappellent plus l’époque des Il était une fois en Chine que la fureur chaotique de The Blade.

Traditionnel, Dragon Gate l’est jusque dans sa structure feuilletonnante, avec sa myriade de personnages source de multiples intrigues touffues et basées sur le mensonge, le complot et l’alliance de fortune. Passée une première demi-heure ébouriffante, le film prend en effet le temps de mettre ses différents enjeux en place, Jet Li disparaissant même purement et simplement de l’histoire pendant un bon tiers du film. On retrouve là l’ébullition jouissive et le sens acéré du récit qui ont toujours fait de Tsui Hark, malgré ses méthodes de travail bordéliques, un conteur unique en son genre. À cela s’ajoute sa faculté jamais prise en défaut à créer des personnages féminins multidimensionnels : ce sont elles qui conduisent ici l’action, qui cachent le mieux leur jeu et prennent leur destin en main, quand les protagonistes masculins sont uniquement là pour brandir leurs épées. C’était également une des composantes de l’histoire de Detective Dee, et qui manquait ces dernières années au cinéma de Hark.

En bonne compagnie

Les méchants sont aussi soignés que mortellement dangereux…

En tant que grand spectacle, Dragon Gate remplit donc parfaitement son contrat, le réalisateur s’étant entouré pour l’occasion de collaborateurs qu’il connaît bien : Jet Li, qui n’avait pas tourné sous sa direction depuis 1993, Yuen Bun… Le compositeur Wai Lap Wu, avec qui Hark n’avait pas travaillé depuis The Blade, s’est pour sa part associé à Xin Gu et Li Han Chiang pour créer une partition épique à cheval entre plusieurs continents, et qui évoque plus d’une fois dans ses envolées le Jerry Goldsmith de La Momie (le décor désertique aidant à faire le rapprochement). Production chinoise oblige, de nombreuses stars nationales figurent enfin en bonne place au générique, de Zhou Xun (True Legend et bientot Cloud Atlas) à Chen Kun (Mulan et Painted Skin), en passant les idoles pop Mavis Fan et Li Yuchun. Tous se voient confier des rôles à multiples facettes – le moins bien loti à ce niveau étant, de manière assez révélatrice, Jet Li -, et tous sont moteurs d’un récit naviguant entre intrigues politiques, mélodrame à la Tigre et Dragon, et pur récit guerrier d’aventures exotiques, une chasse au trésor venant se mêler in fine à la foire d’empoigne de l’auberge.

Cette dernière finissait déjà mal dans le film de 1992, et son sort sera encore plus radical dans ce remake/séquelle (reboot ?). Cette envie d’en faire plus, d’en donner plus, en dit long sur le résultat, véritable festin esthétique, grisé par sa propre vitalité au point de multiplier des rebondissements un peu vains (notamment la révélation d’une traîtrise qui arrive comme un cheveu sur la soupe) et d’imposer de nombreux CGI pas toujours à la hauteur du modèle hollywoodien. Des scories qui, couplées à une fin trop abrupte et des péripéties convenues, font que le film surprend et réjouit moins que Detective Dee. Qu’importe, que le film ait été un énorme succès en Chine et qu’il puisse trouver, malgré ses spécificités narratives typiquement chinoises, le chemin de la France (en Blu-Ray seulement, malheureusement) permet de l’affirmer cette fois sans l’ombre d’un doute : le Maître est de retour, et ça fait du bien !


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatre sur cinq
Dragon Gate, la légende des sabres volants
(Flying Swords of Dragon Gate)

De Tsui Hark
2011 / Chine / 122 minutes
Avec Jet Li, Zhou Xun, Chen Kun,
Sortie en Blu-Ray et DVD 3D en mars 2013
[/styled_box]