Le grand public français ne vouant dans son immense majorité pas un culte à Swingers, le nom de Jon Favreau n’est pas aussi évocateur chez nous qu’outre-Atlantique. Favreau est avant tout, dans l’esprit des fans de la Marvel, le réalisateur d’Iron Man 1 et 2, deux des premiers gros cartons du super-studio, dans lesquels ce sympathique nounours jouait aussi le rôle du chauffer Happy Hogan. Le parcours de cet artiste complet (en plus d’être réalisateur et acteur, il est également scénariste et producteur, notamment sur la série Evolution) ne peut pourtant se résumer à ces deux expériences lucratives, mais aux fortunes diverses. Favreau vient de la scène indépendante, un passé d’ailleurs brillamment raconté dans le fameux Swingers. Après la désastreuse expérience SF de Cowboys et envahisseurs, l’envie de retourner à ses racines s’est faite présente, et ce #Chef, qu’il a écrit en solo, s’est présenté comme un exutoire idéal pour montrer qu’il n’était pas un yes man de plus, mais un artiste avec du cœur et des idées.

Casper le gentil cuistot

#Chef : à déguster… avec #moderation

Et de fait, c’est peu ce que #Chef (oui – soupir –, c’est bien le titre français du film, pas Chef… #aquandhashtaglefilm) raconte, en filigrane : l’histoire d’un cuistot à succès confronté à un échec – enfin, à UNE critique négative – qui l’oblige à reconsidérer ses priorités et à se remettre à une cuisine artisanale, proche de ses clients. Toutefois, il est clair en voyant le film, qui étire clairement au-delà du raisonnable une intrigue tenant sur un post-it, que les temps ne sont plus les mêmes qu’avant : la cuisine que l’artiste pratique est devenue plus digérable, plus clinquante aussi. Depuis le (petit) succès du film, Favreau est d’ailleurs parti tourner une nouvelle adaptation animée du Livre de la jungle chez Disney, preuve que la remise en question artistique tenait plus de l’envie de se faire plaisir que du besoin de changer, hum, de menu.

Direction donc Los Angeles, cité à la gastronomie réputée (si, si) où exerce le chef Carl Casper, coqueluche des médias employés dans un restaurant à succès. Le jour où un critique culinaire de renom, équivalent live de l’Anton Ego de Ratatouille dont les réparties peuvent faire ou défaire une cuisine, décime dans un billet son menu habituel, Casper voit rouge. Ses instincts créatifs bridés par son patron (le trop rare Dustin Hoffman), il explose en direct et en public dans la salle du restaurant. Désormais sans argent et sans emploi – difficile à croire lorsqu’on est un grand chef, mais passons -, Casper décide avec l’aide de son ex-femme (Sofia Vergara, Modern Family) de repartir en Floride avec son fils Percy (Emjay Anthony) et son fidèle ami Martin (John Leguizamo), et de créer son propre food truck. Le trio va s’embarquer dans un road trip à travers l’Amérique, et retrouver le sacro-saint plaisir des choses simples.

La famille sandwich

#Chef : à déguster… avec #moderation

Comme tous les films culinaires, du Festin chinois jusqu’à Soul Kitchen, #Chef s’applique avec déférence à donner faim au spectateur par le simple biais de l’image et du montage. Les émissions culinaires qui se multiplient à la télévision l’ont bien compris : avec une bonne présentation, une lumière idéale et un montage rythmé, montrer la préparation d’un plat peut donner envie à n’importe quel mangeur de pizza surgelée de se mettre aux fourneaux. La plupart des spectateurs de #Chef seront bien plus mis en appétit par les quelques séquences où Favreau et ses assistants-cuistots font la popote, que par la profondeur du scénario ici proposé. Encore qu’il faille bien comprendre ce qu’on entend ici par « saveurs d’antan » : la cuisine idéale de #Chef, celle vers laquelle Casper retourne lorsqu’il se fait saquer pour ses expérimentations, consiste basiquement en de bons gros morceaux de viande grillée entourée de cheddar fondu ou des beignets sortis d’une friteuse bien grasse massivement arrosés de sucre glace. Dans le genre « film à déguster », #Chef donne autant envie de manger que de s’essuyer la bouche avant de partir.

[quote_center] »La cuisine que Favreau pratique est devenue plus digérable qu’à l’époque de Swingers, plus clinquante aussi. »[/quote_center]

Derrière ces considérations gastronomiques, il reste malgré tout un film, d’ailleurs pas si concerné par son arrière-cuisine que ça. Sur ses deux heures de métrage, Favreau consacre ainsi bien plus de temps à développer le rapprochement entre Casper et son fils, qu’il néglige au profit de son travail avant de réaliser, que, hey !, le gamin ferait plutôt un bon second couteau derrière les fourneaux, dis donc ! Et tant pis s’il manipule des grosses lames coupantes et des fours brûlants, l’important c’est de bosser ensemble ! Blague à part, difficile de nier le côté attachant du duo que Favreau forme avec Emjay Anthony, qui réussit à ne pas être un improbable gamin en avance sur son âge de plus. Difficile aussi de passer outre le capital sympathie d’un casting royal constitué en grande partie d’amis, même si la plupart d’entre eux sont gâchés dans des rôles clairement (sous-)écrits pour justifier leur apparition (Scarlett Johansson, c’est de toi qu’il s’agit).

Un cuistot sachant twitter

#Chef : à déguster… avec #moderation

Sans surprises, trop long et finalement très radin dans son exploration promise des traditions culinaires américano-cubano-mexicaines, #Chef irrite surtout, vous l’aurez compris, par l’omniprésence soulignée à tous les niveaux de Twitter dans l’intrigue. C’est bien simple, s’il n’explique que très rarement la manière dont il assaisonne ses petits plats, le film vous dira par contre en long et en large tout ce qu’il faut savoir sur les fonctionnalités du fameux réseau social (Vine fait aussi un petit tour dans les dialogues, et sert même de « climax » émotionnel !).

Vous ne sortirez donc peut-être pas de #Chef en sachant cuisiner – ça serait tellement beau. Mais au moins, vous saurez comment partager en 140 signes vos lacunes en matière de préparation de moelleux au chocolat.


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Troisurcinq
#Chef (Chef)
De Jon Favreau
2014 / USA / 114 minutes
Avec Jon Favreau, Sonia Vergara, John Leguizamo
Sortie le 29 octobre 2014
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