Séance de rattrapage : Zack Snyder’s Justice League
D’une durée rédhibitoire, le director’s cut de Justice League fascine parfois à défaut de transformer le plomb en or.
De l’eau a coulé sous les ponts depuis la sortie sur OCS, en mars dernier, de la version intégrale (c’est peu de le dire) du Justice League version Zack Snyder, suivie quelques semaines après par une version monochrome encore plus charbonneuse que l’original. Tout a été dit, y compris dans nos pages (voir notre preview) sur la genèse de ce director’s cut pas comme les autres, qui permet à un réalisateur de réparer publiquement, et avec l’appui bruyant d’une communauté d’internautes loyaux, les errements coupables d’un studio, en proposant « sa » vision mutilée et escamotée en salles. Justice League, version salles, version Joss Whedon, rappelons-le, était un affreux et hideux navet. S’il n’en efface pas toutes les traces, loin de là, Justice League, version « DC », est évidemment un tout autre film, qui a comme principal défaut d’être aussi long que Ben-Hur tout en ayant moins de choses intéressantes à raconter.
242 minutes. 4 heures de métrage et 2 minutes, en comptant bien entendu le générique. Quatre heures et cent vingt secondes bien évidemment découpées en chapitres, histoire que même les plus motivés des spectateurs sachent où ils en étaient au moment où le sommeil les a inévitablement rattrapés. Pourquoi Snyder a-t-il jugé que cette durée marmoréenne, qui fait ressembler son film à une mini-série à très gros budget, était nécessaire pour raconter le rassemblement d’un groupe de superhéros contre un super-méchant ? Mystère, mais après tout, les derniers Avengers n’étaient pas exactement des modèles de concision, et Batman V Superman dans sa version intégrale n’était pas le genre de film à lancer en fin de soirée. Quoiqu’il en soit, cette version extra-longue a au moins un mérite : elle donne à chaque personnage le temps d’exister à l’écran, même si cela ne débouche pas sur des révélations extraordinaires.
Plus c’est long… plus ça dure
Relégué au cinéma au rôle de bouche-trou mutique derrière le trio Batman (Ben Affleck, toujours à fond, mais toujours monolithique), Wonder Woman (Gal Gadot, bien mieux iconisée ici que dans le triste 1984) et Superman (Henry Cavill, enfin débarrassé de sa moustache invisible), Cyborg (Ray Fisher) devient par exemple un personnage pivot, tragique, car dénué d’empathie de par sa nature semi-robotique, mais pas de sentiments. Toujours aussi peu drôle, Flash (ce gros forceur d’Ezra Miller, qui a fini par avoir droit à son film, à sortir en 2022) est toutefois plus attachant, Snyder lui réservant notamment une excellente scène de sauvetage romantique en extrême ralenti (il y a BEAUCOUP d’extrêmes ralentis dans « ZSJL » – une raison comme une autre pour allonger la durée du film). Quant à Aquaman (Jason « bro dude » Momoa), il gagne surtout le droit de papoter avec son peuple sous-marin (enfin, surtout Willem Dafoe et Amber Heard) et de prendre une ou deux raclées sous l’eau. De manière générale, la durée du film permet d’équilibrer l’importance donnée à cette galerie de demi-dieux, évoluant dans un monde toujours aussi délavé, aseptisé et dépeuplé (les ultimes films DC de Snyder donnent toujours cette impression de prendre place dans un univers où tout n’est que mythe et allégorie, vus un jour de pluie). Il est toujours question d’empêcher la découverte par un méchant annihilateur de planètes cornu et ambitieux (et ridicule) de grosses boîtes d’énergie protégées depuis des siècles par les Amazones, les Atlantes et les Humains. Mais cette fois, ce scénario-prétexte n’est pas survolé à la vitesse d’un TGV : Justice League a, là aussi, le temps de faire de chaque défaite successive des Terriens face à la menace un morceau de bravoure à grande échelle, notamment sur l’île des Amazones – clairement la meilleure scène du film -, renforçant ainsi la dimension intimidante de son antagoniste. Ce qui n’était pas gagné au vu de son look de chevalier du Zodiaque passé du côté obscur.
« Le film n’est, en fait, pas fait pour plaire à tout le monde,
mais bien pour tourner la page. »
De l’équilibre, donc, mais bien entendu, il faut en contrepartie se farcir des tunnels et des tunnels de scènes secondaires qui dans n’importe quelle autre circonstance (c’est-à-dire avec un œil extérieur et sévère) auraient terminé dans les chutes du banc de montage. La Ligue des Justiciers est faite de six héros, ce sont donc six univers différents que Snyder se plaît à explorer, encore et encore, sans calculer le fait que l’urgence nécessaire à un récit de fin du monde s’accorde mal avec des papotages sans fin entre Martha (Martha ! Martha Kent !) et Lois Lane, entre des Atlantes, des Amazones, des braqueurs sortis de nulle part pour faire briller Wonder Woman (moment aussi spectaculaire qu’inutile), Lex Luthor et lui-même, Batman et Alfred, le méchant et son boss encore plus hideux… Cela n’en finit pas de ne pas finir, et Snyder n’est définitivement pas le plus fin des dialoguistes (même s’il n’a pas écrit le bouzin tout seul). Le premier degré assommant de toutes les répliques, des métaphores, des doubles sens religieux, des tunnels explicatifs, qui alourdissait déjà tellement Batman V Superman s’étale ici au grand air avec la grâce d’un Saint-Bernard alcoolique.
L’ultime catharsis
Si le cinéaste n’avait pas cet œil de styliste un peu vulgos pour créer à intervalles réguliers des plans iconiques, des cadres complexes et inspirés qui font s’élever ce feuilleton pachydermique au-dessus de la moyenne des séries télé super-héroïques, Justice League serait tout simplement imbuvable. Car après tout, cette approche en mode « dieux descendus sur Terre » où chaque exploit de nos héros est filmé, joué, mis en musique comme l’un des dix travaux d’Hercule (témoin ce moment psychédélique où Flash remonte littéralement le temps pour annuler la fin du monde), ce discours sur la dimension christique, mystique des superhéros, comme idoles d’un monde moderne dénué d’espoir et de croyance, tout était déjà exposé et exploité dans les précédents exploits DC de Snyder.
Justice League devait être une apothéose, mais est devenu par la force des choses une catharsis personnelle, que Snyder dédie d’ailleurs à sa fille disparue – apposant même sa chanson préférée, Hallelujah, sur le générique de fin. Le résultat est un film tout-en-un bourratif, conçu pour contenter des fans insatiables avides d’easter eggs – à quoi sert sinon cet épilogue sans queue ni tête où Jared Leto rejoue comme un fanzouze sous Zanax sa version du Joker ? -, pesant, mais sincère, impressionnant, mais déroutant, notamment par son utilisation du format carré 1:33, qu’on pourrait aussi appeler « pseudo Imax ». Une aberration dans le monde du blockbuster fantastique, qui trouve parfois sa raison d’être (les plans de dialogues à plusieurs, fatalement, sont plus efficaces), mais qui, au vu de l’abondance de plans numériques soudainement étriqués, donne plus souvent cette bizarre impression de regarder une copie de travail en attente d’un nouvel étalonnage (mais que c’est sombre, encore une fois). Le film n’est, en fait, pas fait pour plaire à tout le monde, mais bien pour tourner la page : Snyder est depuis parti tourner le bien plus beauf Army of the Dead, et aucun hashtag ne suffira cette fois à concrétiser une suite pour cette « séquelle parallèle », ce film pirate plus vraiment maudit, mais pas vraiment canon non plus.