Jericho Ridge : une jouissive nuit au poste
Marchant dans les traces de l’Assaut de Carpenter, Jericho Ridge exploite avec assurance ses petits moyens. Résultat : un bonheur de série B !
Battant pavillon anglais, tourné au Kosovo même si l’action se déroule dans l’Etat forestier de Washington (l’illusion est parfaite), réalisé par le scénariste de Poursuite Mortelle (vu en 2011 !), Jericho Ridge est l’une de ces productions sorties de nulle part, aux références intrigantes, dont la maîtrise et la cohérence font figure d’oasis dans un océan de séries B moyennes. Réaliser un film d’action en huis-clos, et en particulier dans un commissariat, place immédiatement le premier long-métrage du scénariste Will Gilbey sous le patronage intimidant de l’Assaut de John Carpenter. Et pourtant, à la manière du sous-estimé (et plus inégal) Copshop de Joe Carnahan, Jericho Ridge montre les muscles sans honte et procure un plaisir sincère de spectateur, tant la machine huilée tient en moins de 90 minutes ses promesses.
Un siège en petit comité
La bourgade de Jericho Ridge, nichée dans les confins montagneux du nord-ouest des USA, sert donc de décor à une nuit de tension et de confrontation, dans un commissariat aux allures de diner en préfabriqué, sur le bord d’une route nationale quelconque. Un lieu isolé que va tenir comme une guerrière l’officier de police Tabby Temple (une impressionnante Nikki Amula-Bird, vue dans Old et Knock at the cabin), de retour au poste avec une jambe déboîtée et un plâtre encombrant. Rétrogradée pour une raison mystérieuse, Tabby apprend que la salle des coffres et l’armurerie ont été cambriolées la nuit passée. Ses collègues partent enquêter sur plusieurs pistes possibles et la mère de famille se retrouve seule au standard, alors que le jour tombe. Soudain, un, puis deux hommes armés commencent à prendre le lieu d’assaut, cherchant à tout prix à pénétrer à l’intérieur sans faire de prisonniers…
« Jericho Ridge est un modèle d’exposition : chaque plan et dialogue trouve une utilité et une justification. »
Il faut moins d’un quart d’heure à Gilbey pour établir l’ensemble de ces enjeux et des relations entre les différents (et rares) personnages de Jericho Ridge. Voilà un polar qui n’est pas que ramassé dans la durée : c’est aussi un modèle d’exposition, dont chaque plan et dialogue trouve une utilité et une justification lorsque l’action pointe le bout de son nez. Un tel pragmatisme – même s’il s’accompagne de rebondissements du coup prévisibles, car annoncés à l’avance, comme ce pistolet de fortune accueillant le mauvais type de balles – est une bénédiction en ces temps de films de plateforme à rallonge. L’exploitation du décor du commissariat, bâti de toutes pièces par la production est également exemplaire : Tabby doit pendant toute la nuit (malgré sa jambe) passer d’une entrée à une autre pour stopper les tireurs, et jamais le spectateur ne se retrouve perdu dans cet espace à cause d’un angle mal choisi.
Une héroïne immédiatement attachante
Huis-clos pur et dur, Jericho Ridge utilise aussi des moyens détournés (échanges radio et téléphoniques, caméras embarquées) pour étendre l’univers du film au-delà des fragiles portes de la station de police. Une manière de renforcer l’immersion du public dans une histoire qui présentée de manière plus classique, aurait sans doute moins d’impact. L’intrigue liée à la difficile relation entre Tabby et son fils, par exemple, n’est pas la plus convaincante et naturelle du film, mais parce qu’elle est organiquement reliée au siège du commissariat, passe plus facilement. Il ne faudrait pas passer sous silence l’attention aux détails et l’élégance atmosphérique de la photo – assurée par Ruairi O’Brien (Sea Fever, Vigil) – cruciale pour faire ressortir le côté oppressant de cette nuit d’autant plus haletante qu’une femme forte mais affaiblie (de manière physique, psychologique, professionnelle, pratique) en est l’unique héroïne. Impossible de ne pas entrer en empathie avec cette fliquette résiliente, imparfaite mais jamais à court de ressources (mais souvent de cartouches).
Jericho Ridge exploite aussi bien ses limites que son potentiel, le fait sans se moquer de l’intelligence de son audience et de celle de ses personnages. Cela devrait être la norme, mais force est de constater que ces qualités plutôt rares dans les productions indépendantes de ce type suffisent à en faire une découverte mémorable !