Sous la Seine : piège en eaux usées
Film de requin bourré de défauts, Sous la Seine peut au moins s’appuyer sur un concept inédit, exploité ici jusqu’à l’absurde.
Pour le meilleur et le plus souvent pour le pire, Steven Spielberg a livré il y a un demi-siècle avec Les dents de la mer un classique indémodable, mais aussi créé un sous-genre, le film de requins, dont les rejetons se sont avérés de plus en plus déplorables. La « sharksploitation », qui a donné récemment son titre à un documentaire dédié à ce phénomène, a transformé ces impressionnants animaux marins en croquemitaines des profondeurs, mis à toutes les sauces par des producteurs fauchés adeptes de concepts saugrenus. Mais si Sous la Seine, descendu par une presse impitoyable en même temps qu’il séduisait les critiques anglo-saxons et devenait le film Netflix le plus regardé du moment à l’international, coche aussi la case du pitch improbable (des requins à Paris ! Dans la Seine !), il y a un monde à l’écran qui sépare le film de Xavier Gens (capable du meilleur, comme l’ont prouvé Cold Skin et la série Gangs of London) de navets cyniques comme Sharknado, Mega Shark vs Giant Octopus, ou encore Cocaine Shark ou Sharkula (oui, c’est réel).
Ça boulotte pas mal à Paris
L’histoire de Sous la Seine est bien connue (à tel point que ses producteurs sont accusés de plagiat par le scénariste Vincent Dietschy) : alors que la capitale s’apprête à accueillir les championnats du monde de triathlon sur la Seine (cela fait bien sûr penser aux JO, et d’ailleurs les dialogues les mentionnent), la biologiste Sophia Assalas (Bérénice Bejo, un peu perdue), est alertée par la militante écolo Mika (Léa Léviant) qu’un requin mako a atterri dans le fleuve – à cause, entre autres, du dérèglement climatique. Sophia reconnaît à sa balise l’animal qui a causé la mort de son équipe lors d’une attaque dans une mer de plastique. La scientifique collabore avec la police fluviale parisienne et le brigadier-chef Adil (Nassim Lyes, beau gosse déjà dans Farang, précédent film de Gens) pour neutraliser la bête, qui peut se reproduire sans mâle et a investi les catacombes pour y faire son nid. Pendant ce temps, la maire de Paris (Anne Marivin dans une caricature mémorable de Valérie Pécresse ou d’Anne Hidalgo, selon le bord politique où vous penchez) nie la gravité du problème et refuse d’annuler la compétition…
« Le long-métrage se veut sérieux alors qu’il est invraisemblable
et s’autorise parfois à être cartoonesque
alors qu’il faisait monter la tension deux minutes avant. »
Nanti d’un budget assez confortable pour assurer la formation à la plongée de ses acteurs, permettre un tournage en surface à Paris le long du fleuve (l’occasion de voir la capitale, de nuit et de jour, sous un autre visage) puis à Bruxelles et Alicante dans des bassins géants pour les scènes sous-marines, Xavier Gens s’est fait plaisir à tourner Sous la Seine, et livrer un film d’exploitation qui n’attend même pas cinq minutes pour montrer son bestiau et débuter son jeu de massacre. La suspension d’incrédulité ne marche pas une seconde (il faut voir comment le scénario évacue en quelques lignes les raisons de la présence du requin en Île-de-France), mais il faut aussi se rendre à l’évidence : voir des ailerons flotter d’un air menaçant sous le pont des Arts, ou les souterrains de la cité servir de décor à une énorme scène de panique aquatique a quelque chose du plaisir déviant cinématographique, du mariage des contraires débouchant sur une forme de plaisir coupable. Les VFX solides – malgré quelques énormes et bien visibles couacs numériques – associés à des animatroniques soignés donnent vie à un puis à une myriade de requins amoureusement mis en valeur par le cinéaste, pas avare en plans iconiques dans la lignée des meilleurs titres du genre.
Naufrage à l’horizon
Mais cette générosité technique – contrecarrée par une photo suréclairée digne d’une salle d’opération – et des séquences d’attaques ambitieuses – quand elles ne sont pas gâchées par un montage aux fraises – ne doivent pas faire oublier des défauts et carences béantes, qui ont suscité moqueries et consternation sur Internet dès sa diffusion. L’interprétation bancale (tout le monde ne joue dans le même film, visiblement), pas aidée par des dialogues le plus souvent affreux et une musique balourde surlignant chaque effet, coule Sous la Seine dans ses passages les plus calmes. Le mélange des tons prête aussi à sourire : le long-métrage se veut sérieux alors qu’il est invraisemblable, et s’autorise parfois à être cartoonesque alors qu’il faisait monter la tension deux minutes avant (voir ces séquences de « croquage » au ralenti dignes d’une production Asylum). Une incohérence globale qui culmine lors d’un final à la fois spectaculaire et précipité, qui sort véritablement de nulle part – et pompe au passage La planète des singes : les origines.
Il n’est pas interdit de pouffer, enfin, face à la manière dont le script dépeint la police (courageuse, prête à se sacrifier pour la population, qui vient en aide aux SDF et leur donne même des vêtements… bref, de la science-fiction) face aux activistes écolo (des inconscients aux cheveux décolorés qui lancent des hashtags #jesuisrequin très sérieusement), avant de renvoyer tout le monde dos à dos dans un cataclysme sportif rigolard visuellement très approximatif. Et l’aspect satire de la politique parisienne tombe lui comme un cheveu sur la soupe, un vague prétexte à des intermèdes comiques entre deux clins d’œil (bien trouvés) à Spielberg. Avec sa facture visuelle très inégale, ses problèmes évidents d’écriture, son casting meilleur pour l’apnée que pour les performances d’acteur, Sous la Seine évite souvent de très peu le naufrage intégral – car au moins, et dans l’ensemble, les requins sont réussis, et c’est ce qui fait défaut à 90 % des films de requins qui peuplent l’univers du DTV.