L’après-Dexter semble donc se jouer pour l’acteur Michael C. Hall sur le ton du contre-emploi. Celui qui a incarné pendant huit saisons le serial killer le plus chanceux de Floride (100 morts, aucune garde à vue, chapeau) doit, comme il l’avait fait après Six feet under, faire oublier un personnage rentré dans l’inconscient collectif, tout en trouvant des rôles basés sur d’autres réflexes de jeu, pour le sortir d’une certaine routine dans laquelle le show de FX l’avait enfermé. Après un petit rôle dans le biopic littéraire Kill your darlings, Hall a donc trouvé chaussure à son pied en acceptant le rôle principal du nouveau film de Jim Mickle. Le réalisateur, ancien technicien éclairagiste devenu metteur en scène prometteur par la force de sa débrouillardise (et le soutien éclairé de quelques producteurs comme Larry Fessenden), s’est imposé en trois films – Mulberry Street, Stake Land et le remake We are what we are, qui sortira enfin en vidéo en septembre 2014 – comme un talent à suivre, efficient et de plus en plus ambitieux à chaque proposition.

Mickle s’est une nouvelle fois associé à son compère Nick Damici, acteur et scénariste fidèle, pour adapter le roman de Joe Landsdale, prolifique auteur célèbre chez les amateurs de fantastique pour avoir notamment inspiré le Bubba Ho-Tep de Don Coscarelli. Cold in July est ce qu’on pourrait appeler une pulp fiction à l’ancienne, dont l’originalité ne se situe pas dans la nature de ses ingrédients, tous très classiques, mais dans la manière dont ils sont agencés. Le résultat est un thriller gigogne surprenant, présenté avec succès à Cannes, et sans doute le film de Mickle le plus abouti jusqu’à présent. Est-ce pour autant une réussite incontestable ?

Un inconnu dans la nuit

Juillet de sang : justice vintage

Texas, 1989, l’année où est paru le roman de Landsdale. Richard Dane (Michael C. Hall, affublé d’une moustache de champion et d’une incroyable et très vintage coupe mulet) exerce la profession d’encadreur dans une petite ville de campagne, et mène une vie bien rangée avec sa femme (Vinessa Shaw) et sa fille. Celle-ci bascule pourtant la nuit où un cambrioleur pénètre dans sa maison. Prenant son courage à deux mains, ou presque, Richard abat l’intrus sans trop le vouloir, mais d’un seul coup. Une balle dans l’œil, terminé. Devenu soudain une sorte de héros dans sa bourgade, Richard veut malgré tout reprendre une vie normale, « nettoyer » dans tous les sens du terme les traces de cet incident. Mais tuer un homme n’est pas sans conséquence : bientôt, Richard se trouve confronté au père de sa victime, l’inquiétant Ben Russell (un patibulaire Sam Shepard), tout juste sorti de prison. La police fait tout pour protéger l’innocent père de famille, mais là encore, quelque chose cloche : la photo de l’avis de recherche du cambrioleur tué par Richard n’a rien à voir avec le visage de celui qu’il a tué…

À tous ceux qui n’auraient pas encore vu Cold in July : épargnez-vous les révélations dispensées sans ménagement par la bande-annonce. Car si l’on doit résumer le film sans en dire trop, disons qu’il renferme au moins deux histoires complètement différentes, avec des rythmes, des ambiances et même des choix musicaux pratiquement opposés. Ce renversement complet, s’il donne une bonne partie de son originalité au film, menace aussi de totalement le déséquilibrer : le premier acte, sorte de remake accéléré des Nerfs à vif, laisse la place à une sorte d’enquête-vendetta où se mélangent corruption, complot d’État, vétérans de la guerre de Corée et mafia sudiste, avec une redistribution des cartes entre les différents personnages qui n’a parfois rien de cohérent. Cela n’empêche toutefois pas Cold in July d’être fréquemment réjouissant.

Retour en première classe

Juillet de sang : justice vintage

Mickle marque d’une part des points par son assurance manifeste en terme de mise en scène pure : décidé à reprendre à la lettre les codes des années 80, il rend explicitement hommage au cinéma de Walter Hill et John Carpenter en optant pour des lumières crues ou bleutées, un Scope ravageur, une angoisse sourde et des cadres ciselés qui font mouche, surtout dans la première partie. La musique de Jeff Grace, collaborateur régulier de Mickle, qu’il associe aux morceaux de Dynatron, artiste dans la lignée de Kavinsky et Lazerhawk, constitue une profession de foi manifeste, avec ses nappes de synthés entêtantes et ses pulsations inquiétantes approfondissant la psyché de ses héros durant certaines séquences muettes, qui auraient leur place dans un épisode de Deux flics à Miami.

[quote_center] »Le premier acte, sorte de remake accéléré des Nerfs à vif, laisse la place à une sorte d’enquête-vendetta où se mélangent corruption, complot d’État, vétérans de la guerre de Corée et mafia sudiste. »[/quote_center]

Ce qui nous amène de manière tout à fait opportune à l’autre atout maître de Cold in July : Don Johnson, qui débarque dans l’intrigue à mi-parcours dans le rôle de Jim Bob (sic), et menace à chaque scène de rafler complètement la vedette à l’ami Dexter, plus ou moins condamné à jouer en sourdine un homme refréné par ses émotions. À moitié détective privé, à moitié éleveur de cochons, habillé comme un Bronco Billy de seconde classe et conduisant une décapotable ornée de la plaque « Red Bitch », Jim Bob est l’élément exubérant, mémorable et haut en couleur d’un polar par ailleurs noir comme la pluie, où sont travaillées les notions de sacrifice, de quête de masculinité et de loi du Talion.

Des mystères inachevés

Juillet de sang : justice vintage

Un programme chargé que Cold in July exécute avec une vraie maîtrise, et un regard affûté pour les détails qui font mouche (le métier de Richard qui devient une métaphore de son état de pensée, le plan sur les toilettes évacuant ce sang que Richard souhaiterait effacer sa mémoire, qui fera écho à un autre où il remplit d’une balle une pièce de liquide rouge). Regrettable dans ces conditions que le film laisse sur sa route ensanglantée autant d’impasses narratives : omniprésent (et omnipotent) au départ, le shérif incarné par Nick Damici disparaît d’un seul coup sans raison. L’identité réelle de la victime de Richard n’est finalement jamais vraiment affirmée. Et comment celle, secrète des véritables méchants de l’histoire peut-elle si facilement être révélée ? Plus important surtout, quelles sont les vrais motifs qui poussent Richard à risquer sa vie, alors qu’il n’a plus aucune raison de s’impliquer dans l’histoire ?

Ces incohérences dramaturgiques, associées à l’implacable constat de la prédominance progressive du personnage de Jim Bob (il ne fallait pas engager un comédien en pleine renaissance artistique !) handicapent malheureusement tout le dernier acte, par ailleurs brutal, de Cold in July, l’empêchant de devenir cette série B exemplaire qu’elle aspire à être. Le film n’en reste pas moins très recommandable, ne serait-ce que pour les émotions contradictoires qu’il dégage, pour son solide trio d’acteurs principaux et son impressionnante réalisation, qui rappelle sur un mode plus redneck et malpoli le tout aussi évocateur (et nostalgique des années 80) Drive de Winding Refn.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Cold in July
De Jim Mickle
2014 / USA-France / 109 minutes
Avec Michael C.Hall, Don Johnson, Sam Shepard
Sortie le 26 décembre 2014
[/styled_box]