Oddity : angoisse minimaliste, mais redoutable
Une médium aveugle exerce sa vengeance dans Oddity, film horrifique qui tire le meilleur de ses trois décors et de son scénario cristallin.
Le réalisateur irlandais Damian McCarthy est arrivé, discrètement, sur nos radars en 2020 avec le DTV Caveat. Une curiosité lynchienne bricolée avec les moyens du bord, qui déployait une imagerie dérangeante et un folklore surnaturel donnant envie de voir où irait ensuite la carrière de son auteur. Avec son second long-métrage, McCarthy confirme les espoirs placés en lui : Oddity signifie littéralement « bizarrerie », « curiosité », des termes ô combien adaptés à son univers empreint de cette inquiétante étrangeté qui caractérise le (bon) cinéma fantastique. Moins cryptique et plus linéaire (lire « grand public ») que son prédécesseur, Oddity a été l’une des petites sensations du genre en 2024 aux USA (où il est sorti sur Shudder). Il débarque en ce mois de février sur la plate-forme Insomnia auréolé du Prix du Public au festival de Gérardmer. Une récompense peu étonnante au regard de la maîtrise le cinéaste à installer une angoisse communicative en partant d’un décor minimaliste et d’un casting ultra-réduit, mais sans fausse note.
L’éternelle nuit du crime
Oddity ne prend pas longtemps pour exercer son pouvoir d’attraction : quelques plans suffisent pour dire l’isolement géographique (celui de la campagne irlandaise) dans lequel se trouve la maison de Dani (Carolyn Bracken, Samhain). Un ancien corps de ferme qu’elle rénove avec son mari Ted (Gwilym Lee), qui dirige l’asile local et travaille de nuit. Laissée seule dans la baraque vide, Dani est assassinée pendant la nuit par un ex-patient, venu frapper à sa porte pour lui dire qu’elle était en danger – l’occasion d’installer en quelques secondes un suspense intenable : y a-t-il un intrus dehors et dedans ? Un an plus tard, Ted a tourné la page, mais est resté sur place avec sa nouvelle copine Yana (Caroline Menton). C’est alors qu’entre en scène la sœur jumelle et aveugle de Dani, Darcy (à nouveau Carolyn Bracken, épatante dans ce double rôle). Antiquaire spécialisée dans l’occulte, Darcy se vante d’être une médium capable de tout savoir du passé des gens lorsqu’elle touche un objet qui leur est personnel. Elle est venue chez Ted et Yana accompagnée d’un mannequin en bois au visage figé dans une expression de rage flippante. Darcy est secrètement persuadée que le véritable assassin de Dani n’a pas encore été arrêté…
« Oddity est un film qui récompense notre patience, notre appétit pour le hors-champ et les formes qui se dessinent dans le noir. »
On se lamente assez souvent du manque d’originalité, voire d’inspiration, des films fantastiques à petit budget pour ne pas louer l’inventivité, la singularité et le sérieux avec lequel McCarthy emballe Oddity. Dénué de second degré – mais pas d’un intense humour noir, illustré par des dialogues vachards et une pirouette finale délicieuse -, usant à bon escient des jump scares, l’auteur parvient surtout à imposer une ambiance unique, un univers rustique et hors du temps, en s’appuyant simplement sur un demi-décor de maison à moitié vide. Bien sûr, l’action se déplace parfois ailleurs, dans les cellules et bureaux d’un l’asile affreusement archaïque, ou le cabinet de curiosités de Darcy. Mais c’est bien dans cette demeure aux allures de mini-forteresse coupée du monde (le signal téléphonique y est faible et les coins d’ombre innombrables) que le suspense, d’abord opaque puis d’une évidence absolue, s’installe principalement.
Énigmes dans les ténèbres
Car Oddity, bien qu’il relate une histoire de fantômes gothique et d’au-delà à la Conjuring, avec une héroïne revêche aux pouvoirs obscurs collectionnant les objets hantés, est tout autant pensé par McCarthy comme une enquête surnaturelle, un whodunit dans lequel la liste des suspects serait rapidement épluchée. Ce sont toutefois moins les révélations sur la mort de Dani qui l’intéressent que la manière avec laquelle elles sont amenées. Oddity est un film qui récompense notre patience, notre appétit pour le hors-champ et les formes qui se dessinent dans le noir. La terreur y est bien présente, nous faisant sursauter par le biais d’un simple appareil photo ou de ce satané golem boisé, cousin lointain de la poupée Annabelle, révélé progressivement et dont le « passage à l’action » est lontemps redouté. Mais elle existe encore plus durablement dans les moments calmes, immobiles, où un silence entre deux répliques, une porte s’ouvrant sans bruit ou un cadre décalé laissant voir l’obscurité derrière une épaule font naître de discrets frissons. C’est un exercice de minimalisme épatant, au ton distinct et sans concession, qui suffit à faire d’Oddity, pour rester fidèle à son titre, une curiosité rare et précieuse.