Il y a maintenant un peu plus d’un an, Conjuring a surpris son monde en devenant l’un des plus gros succès commerciaux de l’histoire pour un film d’épouvante. Ses qualités intrinsèques n’y étaient pas étrangères, mais ce succès a surtout confirmé le retour en force de l’épouvante dans les salles, et l’appétit véritable du public pour ce type de train fantôme sur grand écran. Comme Saw et Insidious avant lui, le film de James Wan est devenu une franchise profitable pour ses producteurs, qui se sont empressés de lui appliquer la même recette, à savoir la mise en chantier rapide d’un nouvel épisode prévu pour sortir à Halloween. Et nous voilà douze mois plus tard, avec une préquelle intitulée Annabelle, du nom de la poupée hantée mise précieusement sous clé par les époux Warren dans le film original.

Le réalisateur, occupé à tenter de finir Fast & Furious 7, est devenu ici producteur, laissant son fauteuil au directeur de la photographie qui l’a accompagné sur ses cinq derniers films, John R. Leonetti. S’il peut s’estimer ravi de la promotion, Leonetti a dû néanmoins composer avec un budget moins confortable que celui de Conjuring, ce qui explique sans doute la sécheresse visuelle d’Annabelle, qui se déroule essentiellement dans deux ou trois décors sommairement décorés pour nous replonger dans les années 70.

La poupée du démon

Annabelle : frissons à bon marché

C’est à cette période, un an avant les événements du premier film, que nous découvrons donc le « passé » d’Annabelle, poupée king size aux yeux exorbités, qui pour une raison qui nous échappe toujours, semble ravir ses différents propriétaires nostalgiques de leur enfance. Docteur à Pasadena, John (Ward Horton) est en tout cas persuadé d’avoir fait plaisir à sa femme enceinte, Mia (l’actrice Annabelle – ah ah – Wallis, vue dans Peaky Blinders et à l’affiche du prochain Louis Leterrier, Grimsby), en lui offrant cette flippante cousine de Chucky pour garnir sa toute aussi glauque collection qui ornera la chambre de leur futur enfant – hey, bonne chance, gamin. Coïncidence funeste, le même jour où Annabelle est installée dans leur maison, les voisins se font trucider dans leur chambre par un couple de cinglés échappé d’une secte à la Charles Manson, et qui passe ensuite faire une visite à John et Mia. Les deux assassins sont maîtrisés, mais un mal insidieux (sic) a toutefois pris possession de la poupée, désormais très attirée par le sort de Mia et son bébé…

[quote_center] »Annabelle se déroule essentiellement dans deux ou trois décors sommairement décorés pour nous replonger dans les années 70. »[/quote_center]

Y avait-il vraiment besoin de consacrer un film entier à une poupée (en apparence) inanimée, sur laquelle tout ou presque avait été dit dans Conjuring ? C’était la première, et logique question qui venait à l’esprit à l’annonce du projet. Wan, Leonetti et le scénariste Gary Dauberman (qui a plusieurs fois fait honneur à son patronyme en signant les scripts de séries Z comme Blood Monkey ou Le monstre des marais) y répondent de manière détournée, en présentant ce jouet du diable pour ce qu’il est véritablement : un portail permettant à des esprits malfaisants d’interagir avec le monde des vivants. Annabelle n’est finalement que le second rôle de son propre film, car malgré tous les plans insistants, accompagnés d’une lourde musique d’ambiance, sur sa bonne bouille, jamais elle ne cligne de l’œil ou tourne la tête en riant comme un Pinocchio dérangé. C’est une poupée, point, et le film a les mains libres pour l’utiliser en tant que prétexte pour concocter un énième film de possession démoniaque, qui renvoie à beaucoup de classiques datant de la décennie où il se déroule.

Rosemary es-tu là ?

Annabelle : frissons à bon marché

Si l’on échappe à un nouvel exorcisme qui aurait été bien drôle avec une poupée (Tony Amendola et son visage parcheminé sont malgré tout là pour endosser la robe du prêtre impuissant face aux forces obscures, et souligner le côté gentiment catho conservateur du film), Annabelle n’hésite toutefois pas à parsemer son intrigue de références peu subtiles à Rosemary’s Baby. Du nom de ses héros (John et Mia, comme John Cassavetes et Mia Farrow) au landau caractéristique du film de Polanski qui fait son apparition dans une stressante séquence d’ascenseur, en passant par le thème de la psychose maternelle et l’architecture même de l’immeuble, le classique des sixties est pillé sans scrupules pour les besoins de cette séance frissons.

Si le film ne réinvente pas la poudre dans la gestion de ses jump scares, il se montre toutefois relativement efficace, notamment durant son très glauque premier quart d’heure (où deux humains semblent ainsi être les méchants les plus effrayants de l’histoire) et toutes les séquences faisant intervenir le fameux démon, qui doivent beaucoup à Insidious, ont très visiblement été plus soignées que le reste. Là encore, Annabelle fait le boulot mais sans l’audace technique, ni l’expertise visuelle des films de James Wan. Pas manchot derrière sa caméra, Leonetti ne se révèle pas pour autant un grand directeur d’acteurs, le casting étant tout aussi anémique et éteint que la poupée, la mimi Annabelle Wallis mise à part. Les personnages sont peu attachants, les clichés trop nombreux, et le dénouement trop crétin pour crier à la réussite. Mais la principale surprise est là : Annabelle fait moins honte que les suites de Saw et Insidious. C’est une série B oubliable, qui a comme maigre ambition de faire frissonner le plus large public possible avec des recettes éprouvées et, comme souvent dans le genre rappelons-le, de capitaliser sur un succès récent pour en reproduire le succès – c’est de ce côté-là réussi au-delà même des espérances des producteurs. Espérons toutefois, pour éviter la lassitude, que Conjuring 2 fasse preuve de plus d’inventivité formelle et narrative…


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Deuxsurcinq
Annabelle
De John R.Leonetti
2014 / USA / 98 minutes
Avec Annabelle Wallis, Ward Horton, Tony Amendola
Sortie le 8 octobre 2014
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