[quote_right] »Nicolas Bary dirige ce foutoir scénaristique avec rigueur, soin et soif du détail. »[/quote_right]À l’idée d’adapter la littérature française foisonnante et extravagante, nombre de réalisateurs tremblent face à des projets aussi ambitieux que casse-gueule. Gondry et Jeunet s’y sont déjà cassé les dents. Dans une indifférence générale mêlée de cruels sarcasmes, Nicolas Bary, réalisateur du conte pour adulte Les Enfants de Timpelbach, adapte fidèlement le livre de chevet de milliers d’adolescents des années 90, Au bonheur des ogres de Daniel Pennac. Les mauvaises langues se plaisent à rappeler que le roman, loin d’être un chef-d’œuvre, est peuplé, dixit, de personnages « sans relief ». Faut-il, pour autant, cesser d’apprécier ce « classique » et en oublier ses qualités indéniables illustrant l’imagination incroyable de son auteur ? Car à l’heure où la (trop ?) médiatique Palme d’Or de Kechiche remplit les salles pour rappeler à notre inconscient collectif les cicatrices de notre adolescence, n’est-il pas plus salutaire de se plonger dans le souvenir heureux d’une lecture de jeunesse ? Car il fut un temps où, oui souvenez-vous, bien avant Twitter et Facebook, vous aimiez vous retrouver au sein de tribus imaginaires, comme la famille Malaussène, pour ceux qui l’ont lu, et vous évader, page après page. Cet automne, cette tribu s’efface malheureusement face à l’attention générale qui se porte sur La Vie d’Adèle, drame par essence très déprimant. Loin de cet univers morne et peu fantaisiste, l’adaptation d’Au bonheur des ogres préfère de loin réveiller notre conscience d’enfant.

Ça pue le bouc

Au bonheur des ogres : fantaisie à la française

Sentez-vous cette odeur ? L’odeur du bouc, bien sûr ! Raphaël Personnaz épouse les traits, un peu forcés de Benjamin Malaussène, bouc-émissaire de métier dont la caractéristique principale demeure d’attirer indéniablement les ennuis. Souffre-douleurs des clients d’un grand magasin le jour, frère de famille de soir, Benjamin mène une existence incommensurablement bordélique. Jour après jour, Benjamin encaisse les remontrances des clients mécontents. En rentrant chez lui dans une ancienne quincaillerie de Montmartre, il laisse libre cours à son imagination pour distraire sa famille Louna, l’aînée enceinte (mélange des personnages de Clara et de Louna, dans le roman), Le Petit, enfant au sommeil perturbé, Jérémy, pyromane à ses heures perdues, Thérèse qui n’arrête pas de lire le malheur de son frangin dans les cartes et Julius le chien épileptique. Benjamin mène sa petite tribu tant bien que mal en absence de la mère et des pères inconnus au bataillon. Il fait la connaissance de tante Julia, journaliste très têtue qui va remuer le magasin de fond en comble pour en déterrer ses secrets les plus sombres. Lorsque de mystérieuses bombes explosent sur son lieu de travail, les soupçons se reportent bien entendu sur Benjamin, dont l’odeur de bouc n’échappe pas au nez de la police.

Mêlant habilement l’humour et le drame, ce conte moderne fait intervenir des ogres pédophiles, une girafe ou encore un bolide antique. Un running gag avec un corps déchiqueté, un piège mortel dirigé par une voiture télécommandée, des suicidés en extase, le scénario prend le spectateur à rebrousse-poil. De nombreuses surprises l’attendent au tournant, et même les familiers de l’univers Malaussène ne verront rien venir. Notons que les effets spéciaux signés par les frenchy de la société Buf se montrent aussi à la hauteur de l’imagination Maulausséniene. Nicolas Bary dirige ce foutoir scénaristique avec rigueur, soin et soif du détail. La mise en scène quelque peu lisse trahit parfois une certaine crainte, inspirée par cet univers fantaisiste, si difficile à transposer sur grand écran. Mais le réalisateur s’en tire toutefois avec des honneurs mérités.

Des personnages hors-normes

Au bonheur des ogres : fantaisie à la française

Au casting, Raphaël Personnaz (Marius, Quai d’Orsay) se transforme en perdant professionnel tout en créant un personnage attachant et cultivé. Guillaume de Tonquédec (Le Prénom) s’illustre dans un jeu absurde et décalé. Bérénice Bejo, Emir Kusturica, Youssef Hajdi (Platane) et Thierry Neuvic (Sherlock Holmes 2) complètent ce casting aussi éclectique que talentueux, qui forge un bestiaire de personnages tendres et loufoques et aux répliques cultes.  Le caméo final d’Isabelle Hupert sous les traits arides la Reine Zabo, laisse entrevoir une possible adaptation de la suite de la saga, La Petite Marchande de prose.  Au bonheur des ogres, perle aussi foutraque que jubilatoire, mérite amplement de réveiller la nostalgie de nos jeunes années.


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Quatresurcinq
Au bonheur des ogres, de Nicolas Bary
France / 2013 / 92 minutes
Avec Raphaël Personnaz, Bérénice Bejo, Guillaume De Tonquédec
Sortie le 16 octobre
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