Baby Ruby : dans l’enfer du post-partum

par | 14 mai 2024 | À LA UNE, Critiques, VOD/SVOD

Baby Ruby : dans l’enfer du post-partum

Noémie Merlant joue une jeune maman chamboulée par l’arrivée de son bébé dans l’angoissant, mais monocorde Baby Ruby.

Ah, avoir un bébé, un beau rêve, une grande aventure, l’aventure d’une existence, finalement ! Mais comptez sur le cinéma de genre pour vous dégoûter à vie de faire des enfants ou, dans le cas de Baby Ruby, d’accueillir un nourrisson dans votre vie bien rangée. Car si le premier long-métrage de la dramaturge Bess Wohl aurait tout aussi bien pu être un drame psychologique classique, la cinéaste a choisi d’emprunter les codes et l’ambiance du film d’angoisse pour décrire l’abîme dans lequel s’enfonce une maman confrontée à une sacrée dépression post-partum. Une maladie trop peu médiatisée et donc abordée au cinéma, qui s’apparente de fait souvent pour celles qui la vivent à une expérience cauchemardesque.

Parano dans le berceau

Baby Ruby : dans l’enfer du post-partum

La vie de Joséphine, dite « Jo » (Noémie Merlant, qui débute sa carrière anglo-saxonne), ne pourrait pas être plus parfaite. Mariée à Spencer, un boucher « éthique » qui a la tête de Jon Snow (normal, c’est Kit Harington), installée dans une ferme rénovée du plus bel effet, cette influenceuse en ligne a le vent en poupe avec ses chroniques lifestyle – la recette de son soufflé au fromage a, nous dit-on, « cassé Internet ». Pour couronner le tout, le couple attend un bébé qui complètera, c’est sûr, à merveille ce tableau idyllique. Mais l’accouchement n’a rien d’une sinécure et la suite non plus. La petite Ruby, en plus d’avoir un faux air de l’elfe de maison Dobby, est une pleureuse compulsive. Sous l’effet conjugué de la fatigue extrême, d’un allaitement douloureux, de l’isolement social, Jo vient à penser que son bébé lui veut du mal, ou que sa belle-mère envahissante (Jayne Atkinson) complote avec son conjoint pour éloigner le nourrisson d’elle. Même les autres mamans qu’elle croise semblent vivre un bonheur qui se refuse à elle. Jo vit-elle un remake campagnard de Rosemary’s Baby, ou est-elle à deux doigts boudinés de perdre totalement pied ?

« Il s’agit d’un film d’horreur mental, dont le principal intérêt consiste pour le spectateur à faire la part des choses entre ce qui relève de la vérité et des hallucinations de Jo. »

La peur de ne pas être une bonne mère, de ne pas recevoir l’amour attendu de son propre enfant, de ne pas être à la hauteur de ces responsabilités est un carburant universel pour n’importe quel drame psychologique. Bess Wohl pousse dans Baby Ruby ce principe à l’extrême, en proposant un récit soumis à la vision subjective de son héroïne (même son accouchement traumatisant est vu, brièvement, à la première personne), dont la maternité problématique la plonge dans des abîmes de paranoïa et d’obsessions maladives. Car oui, perçons l’abcès : si Baby Ruby peut s’avérer malaisant, angoissant, il s’agit d’un film d’horreur mental, dont le principal intérêt consiste pour le spectateur à faire la part des choses, une scène après l’autre, entre ce qui relève de la vérité et des hallucinations de Jo. Bien qu’entourée de proches et de connaissances qui lui apportent tout leur soutien, la dépression qui couve chez elle l’empêche de s’extraire de cette spirale négative. Ce qui nous vaut quelques séquences pesantes ou surréalistes, comme cette parade de mamans joggant avec leurs poussettes.

Bien que soigné dans sa façon d’orchestrer ce délitement progressif, culminant dans un délire de persécution renvoyant étrangement à l’obsession complotiste américaine autour des trafics et sacrifices de bébés, Baby Ruby tourne en rond. Bess Wohl multiplie les astuces visuelles et de montage pour épouser la condition mentale de Jo, mais le but de la démonstration est si évident, le diagnostic si clair et implacable que le film en devient lourdaud et longuet malgré sa courte durée – on a même droit à une ébauche de sous-intrigue sur une relation bisexuelle de Jo qui n’ira nulle part. En retrait, Kit Harington tire son épingle du jeu en papa pas si impliqué dans sa vie de parent, mais c’est surtout Noémie Merlant, à nu émotionnellement et au jeu intense et halluciné, qui tient à bout de bras ce petit film au thème important, mais abordé de manière trop monocorde.