Rares sont les réalisateurs originaires de Corée du Sud, dont le travail dépasse systématiquement les frontières. Moins connu que certains de ses confrères ayant régulièrement les honneurs des sélections cannoises, Ryoo Seung-wan est pourtant un artisan particulièrement actif, qui enquille depuis une dizaine d’années les succès, principalement dans le genre du film d’action viril et plus ou moins potache. L’avantage, c’est qu’il est possible de juger sur pièces l’étendue de son talent, puisque de Crying Fist à The Agent, en passant par Arahan, City of Violence et The Unjust, sa filmographie est intégralement disponible en France. Il y manque juste son plus gros carton en date, le très énergique Veteran, encore inédit chez nous. Un manque qui pourrait être éclipsé très bientôt par la sortie de Battleship Island, sans doute le projet le plus ambitieux du réalisateur jusqu’à présent.
Les révoltés de « l’île cuirassé »
Contrairement à ce que son surnom laisse penser, Battleship Island (ou Hashima Island) n’est pas une forteresse militaire située en pleine mer, mais un petit îlot au large de Nagasaki dont la forme à l’horizon rappelle celle d’un cuirassé. Au 19e siècle, les Japonais ont investi ce bout de caillou d’une dizaine de km2 pour y ouvrir une mine de charbon, exploitée pendant pratiquement un siècle. L’île abrita jusqu’à 6 000 personnes et se transforma en petite ville surpeuplée, les puits étant creusés jusqu’à plus d’un kilomètre de profondeur. L’exploitation stoppa en 1974 et Battleship Island devint une ruine, un paysage de fin du monde désormais ouvert aux touristes, et qui servit de décor au récent Skyfall ou bien à la version live de L’attaque des Titans.
[quote_center] »Contrairement à ce que son surnom laisse penser, Battleship Island n’est pas une forteresse militaire située en pleine mer… »[/quote_center]
Pour les Coréens et les Chinois, le lieu est surtout le symbole de l’oppression japonaise : des milliers de prisonniers y furent emmenés dans les années 30 et pendant la Guerre, pour travailler de force dans la mine jusqu’à l’épuisement et la mort. Au total, on estime que 1 300 d’entre eux auraient péri sur l’île durant cette période. Ryoo Seung-wan a choisi de sortir cette page sombre de l’oubli avec de très gros moyens, dans un film au croisement de la reconstitution historique, du film de prison et du film d’évasion. Battleship Island contera le destin croisé de trois infortunés prisonniers coréens, qui ont chacun un but précis (libérer un leader de la Résistance, protéger sa fille…), mais ont en commun de vouloir s’évader de cette « île de l’enfer ». Tout plutôt que mourir !
Une terrible aventure humaine
Pour les besoins du film, la production a bâti un immense décor en Corée du Sud, sur une ancienne base militaire américaine, pour nous replonger dans cet environnement étouffant et battu par les vents. Le casting compte en tête d’affiche un fidèle collaborateur du cinéaste, Hwang Jeong-min (au générique de The Strangers l’an passé, et aussi de Veteran), ainsi que des jeunes pousses dans le vent, comme Song Joon-ki et So Ji-sub. Après un premier teaser (disponible ci-dessous en sous-titré en anglais) qui rappelait les conditions de travail impossibles des prisonniers de l’île, une nouvelle bande-annonce laisse entrevoir l’ampleur incroyable du film à venir. Malgré l’absence, pour l’heure, de sous-titres, on sent passer en quelques images le souffle de cette terrible aventure humaine, dans laquelle des hommes, femmes et enfants innocents luttent, avec les moyens du bord et sans aide extérieure, contre des éléments déchaînés, les coups de grisou et des geôliers sans pitié.
Battleship Island est annoncé pour une sortie dans son pays natal en juillet prochain, mais d’ores et déjà, le film peut se vanter d’avoir été vendu pratiquement dans tous les pays du monde. Fait étonnant, le Japon fait partie de ces acheteurs, malgré la peinture qu’on imagine négative qui y sera faite de l’armée d’occupation. En France, ce devrait être Metropolitan Filmexport qui s’occupera du long-métrage, dont on peut espérer, après les beaux succès de Dernier train pour Busan et Mademoiselle en 2017, qu’il saura intéresser aussi les exploitants de cinéma. Affaire à suivre !