Les amateurs de beaux mots n’ont pas oublié l’adaptation fleurie de Kenneth Branagh dans les années 90 de Beaucoup de bruit pour rien. Difficile d’ailleurs d’éviter la comparaison avec cette adaptation de référence de l’œuvre de William Shakespeare. Pourtant, Joss Whedon, entre le tournage et montage de The Avengers, s’est pris au jeu de créer sa propre version de l’histoire. Il tourne chez lui, en noir et blanc, et filme ses amis, sa garde rapprochée, des fidèles de ses précédents séries et films. Ce long-métrage à très petit budget ne devait jamais sortir au cinéma et représentait semble-t-il une soupape de décompression pour le réalisateur, durant le tournage du mastodonte de Marvel. Contre toute attente, Much Ado About Nothing reçoit les honneurs d’une diffusion internationale et débarque dans l’hexagone. Contre toute attente également, ce petit film de potes trouve finalement une place réaliste en salles et rencontre un public qui n’a pas besoin d’être initié aux créations du showrunner surdoué pour apprécier son travail.

Une mise en scène à double tranchant

Beaucoup de bruit pour rien : Whedon and Co

Beaucoup de bruit pour rien figure parmi les pièces les plus célèbres du dramaturge britannique. Écrite en 1600, l’action se déroule en Sicile, où le prince Don Pedro, fraîchement victorieux sur les champs de bataille, revient accompagné de ses chevaliers Benedict et Claudio rendre visite à son ami, le gouverneur Leonato. Chez Leonato, Benedict retrouve Beatrice, la nièce du maître de maison, une vieille connaissance avec qui il échange de multiples sarcasmes. Claudio tombe fou amoureux de Hero, à qui il demande la main. Dans leur sillage, le frère bâtard du prince, Don Juan, conspire pour empêcher cette union. Ce conte intemporel contient une bonne dose de féminisme, chose encore rare à cette époque.

Bien que Joss Whedon reprenne le texte d’origine à la virgule près, ses choix de mise en scène diffèrent radicalement de la version de 90. Tournée dans un beau noir et blanc numérique, il met en valeur une maison (la sienne et celle de son épouse) qui possède à la fois un charme ancien et contemporain. Ce mélange de modernisme, teinté de vintage, se retrouve dans la décoration et les costumes, puisés dans une inspiration à mi-chemin entre 1600 et 2014. Plus qu’une esthétique, Whedon puise dans ce contraste une belle dose d’humour. Le mélange absurde entre la diatribe poétique de Shakespeare et l’ambiance « week-end entre potes » déclenche de beaux gags. La scène de la chambre d’enfant, où Benedict et Claudio en smoking discutent du célibat à côté d’une maison de Barbie fonctionne à merveille.

Si, comme Kenneth Branagh, Joss Whedon joue volontiers avec le rire, la douceur et la tendresse du texte, il se sert également de son absence de couleur pour renverser l’atmosphère au tournant de l’histoire de manière plus lourde, plus marquante et plus cruelle encore. Bénédict et Béatrice se trouvent nettement plus mis en avant, laissant le plus jeune couple de l’histoire en retrait. Il prouve que le superbe répertoire de Shakespeare peut s’interpréter de plusieurs manières différentes.

Un air de déjà-vu

Beaucoup de bruit pour rien : Whedon and Co

[quote_left] »Il prouve que le superbe répertoire de Shakespeare peut s’interpréter de plusieurs manières différentes. »[/quote_left]Au casting, Joss Whedon a sonné le rappel de ses plus proches acteurs pour étudier et interpréter cet énorme script. La superbe Amy Acker (Angel, Dolhouse et La Cabane dans les bois) incarne une Beatrice forte et fragile à la fois, quoiqu’un peu trop portée sur la bouteille. Alexis Denisof, l’inoubliable Wesley dans Buffy et Angel, fait déblatérer son personnage, Benedict, à propos de la femme idéale, en jogging dans un escalier. Clark Gregg (Marvel’s Agents of S.H.I.E.L.D., The Avengers), le Leonato de l’histoire, joue parfaitement l’homme bon et généreux décrit dans la pièce. Fran Kranz (La Cabane dans les bois, Dollhouse) se débarrasse de son statut de geek pour épouser celui du prince charmant un peu nigaud et naïf qui lui va comme un gant. Enfin, Nathan Fillion (Serenity, Firefly) et Tom Lenk (Buffy) cabotinent à mort dans des rôles de Dupond et Dupont, quelque peu agaçants.

Preuve que ce touche-à-tout de génie s’implique à fond dans l’ensemble de ses entreprises, Joss Whedon parvient, sans vraiment sans rendre compte, à transformer une lecture entre amis en une véritable réinterprétation cinématographique, véritablement unique, de cette comédie dramatique séminale. Sans toutefois transcender le genre, il signe une version très agréable visuellement et plaisante à suivre.


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Troissurcinq
Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado About Nothing)
De Joss Whedon
USA / 2014 / 108 minutes
Avec Amy Acker, Alexis Denisof, Clark Gregg
Sortie le 29 janvier 2014
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