De Nick Murphy, réalisateur ayant fait ses armes à la télévision (en particulier sur la série Occupation), nous connaissions jusqu’à présent sa Maison des ombres, efficace et très beau film de fantômes gothique, dans la lignée des Autres. Une première œuvre fantastique privée de sortie en salles malgré les prix collectés en festival. Son deuxième long-métrage, Blood, a malgré les apparences des origines tout aussi télévisuelles : le scénario, signé Bill Gallagher, est en fait un remake, compressé et ramené à sa plus simple essence, d’une mini-série de 2004 en six parties nommée Conviction.

Tout comme son précédent film, Murphy explore ici un genre typiquement britannique, qui s’épanouit depuis des décennies notamment sur la BBC : le procedural torturé, du polar à l’atmosphère aussi grise et lourde qu’un manteau de brouillard matinal. Et de brouillard, il en est fortement question dans Blood, tant au niveau de son décor maritime que des détails d’une intrigue un peu trop étranglée par le format long-métrage.

Complot de famille

Blood : mornes plages

Comme dans un bon vieux James Gray (ou un Blood Ties, ah ah), Blood a pour personnages principaux deux frères qui sont aussi des hommes de loi. Fils d’un ancien patron de police désormais atteint de démence (Brian Cox), Joe Fairburn (Paul Bettany, qui semble s’être bien remis du double bide de Légion et Priest), l’aîné, domine en caractère comme en taille son cadet, Chrissie (le toujours aussi intense Stephen Graham), et ce depuis leur enfance. Malgré une bavure passée qui pèse sur leur conscience – Joe a laissé s’échapper un mari violent qui a ensuite tué sa femme -, les deux frères bénéficient d’une belle réputation dans leur district, une cité balnéaire ouvrière du nord ouest de l’Angleterre bordée d’interminables plages. Cette belle unité s’effrite inexorablement le jour où le cadavre d’une jeune fille est découvert dans un skate-park. Le suspect principal, Jason, est un pervers connu de leurs services, et Joe se persuade de sa culpabilité. Cette obsession va le conduire, avec la complicité de Chrissie, à commettre l’irréparable.

[quote_left] »Blood pâtit clairement de sa nature de script délayé au maximum. »[/quote_left]Avec son casting de haute volée (il faut également mentionner la présence, discrète mais incontournable, de Mark Strong dans le rôle de Robert, un flic moqué pour son côté solitaire mais plus perspicace que la moyenne), ses décors naturels ultra cinégéniques, sa splendide photo en clair-obscur, Blood se pare de tous les atours du film de prestige : une tragédie moderne qui interroge la force des liens filiaux, le poids de l’héritage (le vieux Fairburn était apparemment connu à son époque pour ses méthodes « expéditives »), la transmission de la violence et le risque d’une obsession aveugle pour la justice. Élevés pour reprendre le bâton laissé par leur père, Joe et Chrissie finissent par commettre l’erreur de se croire au-dessus des lois. Ils se rêvent intouchables et incorruptibles, quand ils ne sont en fait que la somme de leurs défauts : Joe semble avoir hérité du gêne brutal et alcoolique, tandis que Chrissie régresse dès qu’il est en présence de son frère à un stade infantile. C’est lui le premier qui faillira, malgré sa loyauté indéfectible envers son aîné, à garder le secret qu’ils ont scellé au large des côtes.

Frères de sang

Blood : mornes plages

Malgré la richesse de l’intrigue, le niveau élevé de l’interprétation et l’aspect à la fois déprimant et ensorcelant de son décor cadré dans un Scope inspiré (Murphy sait indéniablement composer de la belle image), Blood pâtit clairement de sa nature de script délayé au maximum. Il est par exemple difficile de comprendre ce qui pousse Robert à être aussi suspicieux envers ses collègues, quitte à être doté d’une intuition surnaturelle pour mener sa propre enquête. De même, les relations entre les fils Fairburn et leur père sont esquissées en très gros pointillés, et il faut tout le talent et la présence physique de Brian Cox pour permettre au spectateur de comprendre quel genre de relation le paternel devait entretenir avec ses garçons. Ne parlons pas enfin des personnages féminins, qui sont réduits au statut de témoins passifs et outragés de la spirale de damnation dans laquelle s’enferment leurs compagnons.

Les six heures de Conviction, ramenées à 90 minutes de film, débouchent non pas sur une fresque familiale déchirante, mais sur un polar excessivement simplifié, dont l’intrigue pourrait être paradoxalement bouclée en 45 minutes d’un épisode réglementaire, tant elle se révèle pauvre en surprises et en suspense. La prestation habitée de Paul Bettany, impeccable en fils prodigue et tourmenté passant sous nos yeux le point de non-retour sans jamais douter des conséquences de ses actes, permet de ne pas décrocher totalement du film pendant les 45 autres minutes. C’est peu, et c’est surtout frustrant.


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Deuxsurcinq
Blood
De Nick Murphy
Avec Paul Bettany, Mark Strong, Stephen Graham
Sortie le 12 mars chez Metropolitan
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