Premier retour aujourd’hui sur l’édition 2016 de l’Étrange Festival ! Une série de projections qui ont mis à l’honneur des auteurs attendus comme l’incontournable Sono Sion, ou le Mexicain Amat Escalante, fraîchement revenu de Venise pour présenter avec ses actrices son dernier-né, La région sauvage. Un détour s’imposera enfin par la Chine populaire, avec un film d’arts martiaux judicieusement présenté par le journaliste Julien Sévéon comme une série B « où il faut surtout vous réveiller pendant les scènes de combat ». Sans plus de tergiversations, entrons dans le vif du sujet !


Antiporno : Sono Sion en vase clos

breves-2

À peine est-il parti sur un tournage, que l’on voit débarquer en festival « l’ancien/nouveau » Sono Sion. L’infatigable réalisateur japonais a envoyé pour cette édition 2016 d’un festival qui l’a adopté très tôt, le bien nommé Antiporno, un petit exercice de style gorgé de couleurs et de rage commandé par la Nikkatsu. Le studio centenaire a en effet demandé à l’auteur de Cold Fish une sorte de film-hommage au genre du « roman porno » (ou pinku eiga), populaire dans les années 70. Bien évidemment, Sion a détourné la demande pour en faire une œuvre fidèle à ses obsessions et son style imprévisible. L’histoire, si l’on peut dire, est celle d’une star de la mode (et du roman), Kioko, qui meurt d’ennui dans son appartement jaune et rouge, et se plait à humilier son assistante et les fashions reporters qui la vénèrent.

Hystérie, débauche, et renversement extrême des rôles sont au menu de ce huis-clos qui déconstruit toute notion de narration et d’interprétation au profit d’une étude cinglante de l’image de la femme dans la société moderne. Sono Sion, il faut le rappeler, est un poète et un agitateur multi-cartes qui s’est fait remarquer dans les années 90 avec des happenings furieux, et son cinéma s’est souvent fait l’écho de ces formes d’expression. Antiporno ressemble ainsi à un cadavre exquis où les dialogues, les mises en abyme, la bande-son et même les décors sont susceptibles de faire passer son message, qui s’avère cette fois un peu simpliste (en gros, la femme japonaise est condamnée à être une pute imbuvable ou une sainte nitouche sans relief). Qui plus est, le film se borne durant sa courte durée à rejouer ou à ressasser des thèmes déjà amplement explorés par le réalisateur dans sa prolifique carrière : de la démolition du quatrième mur à la femme aux deux visages, du cri de rage hurlé face caméra aux flash-backs décrivant une enfance bien glauque, il n’y a rien que les aficionados du cinéaste n’auront déjà vu avant. Pour les néophytes, bien entendu, ce sera une autre histoire… mais dites-vous bien que Sono Sion a fait mieux ?


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq

Antiporno
De Sono Sion
2016 / Japon / 76 minutes
Avec Ami Tomite
Sortie prochainement
[/styled_box]


La Région  Sauvage : la tentation des tentacules

breves-3

Cinquième film déjà pour le Mexicain Amat Escalante, chouchou de la Croisette, reparti de Cannes avec le prix de la mise en scène pour Héli, et lauréat du même prix à Venise pour son successeur : La région sauvage. La mutation du cinéma brutalement réaliste, et pour certains, complaisant, d’Escalante, s’opère cette fois au niveau du genre abordé. Dès son premier plan, qui observe un météorite dérivant lentement dans l’espace, le cadre macroscopique du film est planté. Car le retour sur Terre, au fil d’un premier quart d’heure pas avare en scènes de sexe crapoteuses (une spécialité semble-t-il chez Escalante), n’incite pas non plus à la contemplation. Au gré de séquences oniriques – dont l’une, en plan-séquence s’échappant d’une cabane perdue dans le brouillard, est particulièrement stupéfiante -, il apparaît qu’un lieu perdu cache une entité d’un genre nouveau. Un monstre cronenbergien, dont l’apparence rappellera bien des souvenirs aux amateurs d’anime pour adultes, type Urotsukidodji. Une « chose » visqueuse qui symbolise à de nombreux regards une libération attendue pour tous les personnages du film. Soit une mère de famille, Alejandra, qui veille avec amour sur ses deux fils et se lasse de son mari Angel. Celui-ci ne peut refréner une homosexualité jugée honteuse et couche avec son beau-frère. Tous voient leur destin basculer lorsqu’ils rencontrent la jeune Veronica, qui s’est enfuie, blessée, de la fameuse cabane dans les bois…

Présenté comme un hommage à Pasolini, La région sauvage expose les travers d’une société oppressante, où le machisme comme l’épanouissement de la femme sont soumis à d’intenses pressions (professionnelles, patriarcales, sociales). La démonstration est affaiblie par un dispositif qui fait tourner l’intégralité de son propos autour du sexe. C’est à cela qu’Escalante réduit l’expression de « la nature primitive » de l’homme et même de l’animal. Jusqu’à l’absurde, La r&gion sauvage décrit des personnages rongés par leur frustration, amorphes jusqu’au bout. Son monstre, à la fois omniprésent (même lorsqu’il est absent du cadre) et relégué dans l’ombre, y apparaît aussi impressionnant qu’impalpable, car réduit à un subterfuge narratif. Le choc entre le soap miséreux (renforcé par le jeu inexpressif du casting) et le surnaturel déviant produit en tout cas son effet, et la réalisation effectivement impressionnante de précision d’Escalante assume, jusque dans une chute abrupte – et cynique – ce côté provocateur. Mais le propos du réalisateur n’en reste pas moins confus.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq

La Région Sauvage (La Region Salvaje)
D’Amat Escalante
2016 / Mexique – Danemark / 98 minutes
Avec Ruth Ramos, Simone Bucio, Jesus Meza
Sortie le 19 juillet 2017
[/styled_box]


The Bodyguard : pieds de fer et main lourde

breves-1

L’expérience nous a appris à nous méfier des réalisateurs qui auto-proclament leur œuvre « le meilleur film d’arts martiaux de l’année » (voir des 20 dernières années, pourquoi se priver). Yue Song, maître d’œuvre et star de ce The Bodyguard, a visiblement décidé de construire lui-même sa propre légende, et quoi de mieux pour cela que de s’écrire un rôle de combattant invincible dans un film où il donnerait douloureusement de sa personne ? Oui, un peu comme Jackie Chan, en fait, et en plus, Song lui ressemble un petit peu. D’où une impression de déjà-vu devant ce gros film bis, qui raconte l’histoire archétypale de Wu-Lin, prodige de la castagne qui se balade en ville avec les pompes en fer (25 kilos aux pieds chacune !) de son ancien maître. Engagé comme garde du corps grâce à un frère d’armes, Wu-Lin va évidemment devoir tataner tout ce qui bouge quand sa cliente, la fille d’un riche homme d’affaires, va être kidnappée.

Voilà pour l’histoire, dont chaque spectateur normalement constitué se fout un peu, malgré la volonté de Song de complexifier son scénario avec des à-côtés dispensables (il y a un tigre domestique, une histoire de cœur déplacé à droite… bref). Song, c’est rapidement évident, a digéré les évolutions récentes du genre, et les régurgite toutes en même temps : Yue Song tente d’être Jackie Chan, donc, mais aussi Donnie Yen, Tony Jaa, un héros de manga et une superstar de Bollywood à la Shahrukh Khan. The Bodyguard, par la grâce d’un montage hasardeux et de séquences de comédie ou de « traumatisme » ridicules, penche souvent vers le nanar involontaire, pas aidé par l’égocentrisme maladroit de sa star, qui filme le tout avec un anachronique premier degré (et un zeste de mauvais goût visuel). La naïveté touchante du produit final incite toutefois à la clémence, et quelques bagarres généralisées, par leur outrance cartoonesque, parviennent presque à être mémorables. Quant à être le « meilleur quoi que ce soit », l’ami Yue a encore du chemin à parcourir…


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Deuxsurcinq

The Bodyguard
De Yue Song
2016 / Chine / 92 minute
Avec Yue Song, Collin Chou, Xhing Yu
Sortie prochainement
[/styled_box]