Le rideau est tombé dimanche soir sur la 21e édition de l’Étrange Festival, et comme prévu, nous avons eu chaque jour ou presque l’occasion de nous abreuver de films inédits venus des quatre coins du monde. Des objets parfois non identifiés, inidentifiables, et pour certains en quête désespérée d’identité (poétique, non ?). Des réussites, comme Moonwalkers, ont côtoyé des propositions plus décevantes. Bref, il y a eu un peu de tout, et notamment les nouveaux films de réalisateurs confirmés comme Hideo Nakata et Takashi Miike.


Ghost Theatre : la poupée de trop

Brèves de l’Étrange : Ghost Theatre, Yakuza Apocalypse, The Dark Below

Présenté en avant-première mondiale (oui, quand même) au Forum des Images en sa présence, le nouveau film de Hideo Nakata, Ghost Theatre est d’autant plus attendu qui s’agit d’une forme de remake de son premier long-métrage, Ghost Actress, et donc un retour à l’ambiance J-Horror qui a fait sa gloire à l’époque de Ring et Dark Water. Seulement, soyons francs, Nakata vit justement un peu sur le fantôme de sa gloire passée. Son dernier vrai bon film remonte à 2007 (Kaïdan, un bon film d’épouvante en costumes), et depuis, le réalisateur a enchaîné le moyennement acceptable (Monsterz, vu au dernier BIFFF, TV Show), et le franchement mauvais (l’affreux The Complex). Et malgré son côté direct et modeste, Ghost Theatre n’a malheureusement les épaules pour être un classique du genre.

L’histoire se passe dans le milieu du théâtre, où naviguent metteurs en scène à l’ego surdimensionné et jeunes actrices avides de reconnaissance. Sara (la chanteuse pop Haruka Shimazaki, au visage très expressif) est l’une de ces aspirantes stars : gentille, douée pour mémoriser ses lignes, elle va malheureusement être victime, comme l’ensemble de la troupe de la pièce où elle joue, d’une malédiction perpétuée… par un mannequin possédé ! Hé oui : après Chucky, après Annabelle, Nakata tente à son tour de faire peur avec une poupée de cire, habitée par une âme en peine et surtout furibarde. Il s’amuse (et nous avec) en jouant constamment la carte de la mise en abyme – la pièce est consacrée à la comtesse sanglante Elizabeth Bathory -, et en observant les petites mesquineries de son microcosme artistique. Mais sur le terrain du genre pur, Ghost Theatre s’avère peu imaginatif, et rarement « incarné ». S’inspirant pour la photo des ambiances criardes et saturées de Dario Argento, le cinéaste duplique sans se fouler la progression narrative de son Ring, et délaisse la suggestion pour montrer plein pot son mannequin maléfique et contorsionniste, notamment lors d’un dernier acte moins effrayant qu’involontairement risible. Le temps des chefs d’œuvre paraît désormais loin pour Nakata…


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Deux sur cinq

Ghost Theatre
De Hideo Nakata
2015 / Japon / 105 minutes
Avec Haruka Shimazaki, Rika Adachi, Riho Takada
Sortie prochainement
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Yakuza Apocalypse : le WTF se porte bien

Brèves de l’Étrange : Ghost Theatre, Yakuza Apocalypse, The Dark Below

Si Takashi Miike n’enchaîne plus les tournages comme à sa grande époque (le trône dans ce domaine est occupé en ce moment par Sono Sion), il n’en garde pas un rythme soutenu. Yakuza Apocalypse, l’un de ses deux films de 2015 – les huit précédents sont encore inédits en France -, se veut être un retour aux sources, un grand n’importe quoi décontracté qui nous ramènerait à la belle époque des Dead or Alive. C’est que Miike, avec ses sélections cannoises, ses drames d’époque, ses polars très contemporains, est devenu, contre toute attente, un cinéaste respectable. Ceux qui découvriront Yakuza Apocalypse sur la foi de son remake de Hara-Kiri, par exemple, en seront pour leurs frais : ce film-là attrape tous les ingrédients à sa portée pour les enfermer de force dans un mixeur, et observer en ricanant le mélange des couleurs en servant le résultat.

Le premier quart d’heure stimule notre imagination en révélant que le scénario mélange yakuzas et vampires. Le boss Kamiura est en effet un suceur de sang immortel, enchaînant ses ennemis dans un sous-sol pour s’en servir comme réserve (pour s’occuper, ces derniers prennent des leçons… de couture !). L’un de ses hommes de main, Kageyama, rêve de lui ressembler, mais ne peut même pas avoir de tatouage (il a la peau trop sensible – il a pourtant tout essayé, même les baumes apaisants !). Á la faveur d’une attaque en traître d’un prêtre guerrier et de son bras droit à lunettes – joué par le « Mad Dog » de The Raid ! -, Kageyama devient lui aussi un vampire. Il doit faire face à ses ennemis, à une population désormais transformée elle aussi (et qui peut donc se passer des services des yakuzas !), et à l’arrivée d’un tueur impitoyable : un homme-grenouille, au regard qui tue. Sérieusement.

Comme tous les films cintrés jouant constamment la carte du « what the fuck ? », Yakuza Apocalypse n’est jamais aussi bon que lorsqu’il parvient à surprendre le spectateur avec une idée tordue, mais imbriquée logiquement dans son scénario. S’il prend plaisir à ridiculiser les rites et les attitudes des gangs de yakuzas, Miike s’amuse surtout à pondre un cadavre exquis passant en permanence d’une ambiance à une autre. Forcément, l’équilibre est délicat à atteindre, et passée une première heure plutôt réjouissante, riche en scènes fortes et surréalistes, Yakuza Apocalypse peine un peu à maintenir le rythme. Les meilleurs gags deviennent redondants, certains délires ne mènent nulle part (comme le « yokai » à bec de canard, ou la femme gangster au cerveau qui fuit…), et le dénouement ressemble à un gros bras d’honneur jmenfoutiste qui peut énerver vu la longueur excessive du film. Enfin bon. Il est possible de pardonner beaucoup de choses à un long-métrage où figure un homme en costume de grenouille qui fait du kung-fu !


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Trois sur cinq

Yakuza Apocalypse
De Takashi Miike
2014 / Japon / 125 minutes
Avec Hayatao Ichihara, Yayan Ruhian, Riri Furanki
Sortie prochainement
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The Dark Below : sous l’eau, personne ne vous entend ronfler

Brèves de l’Étrange : Ghost Theatre, Yakuza Apocalypse, The Dark Below

Se définissant comme un thriller expérimental « en temps réel », The Dark Below est à n’en pas douter l’une des grosses douches froides du festival, sans mauvais jeu de mots. Comme dans Buried, le réalisateur Douglas Schulze prend le pari d’enfermer son héroïne paniquée dans un seul décor, à savoir l’eau glacée d’un lac gelé. La pauvre est plongée sans ménagement dans ces « sombres profondeurs » par son mari, un psychopathe avec lequel elle gère un magasin de plongée au bord du dit lac. Pour maintenir une atmosphère particulière, The Dark Below se passe pendant pratiquement l’intégralité du film de dialogues. Un survival pur et dur, donc ! Oui, sauf que d’une part, la bande originale n’a rien de transcendant, et son caractère générique a plutôt un effet anesthésiant que stimulant ; et que de l’autre, Schulze n’a visiblement pas les moyens de ses ambitions.

Truffé d’incohérences, de facilités (l’héroïne parvient à écarquiller les yeux sans lunettes dans une eau à – 5°, pas mal), joué dans un état perpétuel de stupeur par un trio d’acteurs obligé de forcer ses émotions – sans dialogues, c’est parfois un peu dur d’être crédible ou de faire passer un message précis -, The Dark Below est surtout handicapé par sa réalisation pataude et limite amateur, Schulze se reposant pour l’essentiel sur la qualité de sa photographie. Le film dure 1 h 15, mais paraît en durer 2, peut-être parce que la quasi-intégralité du métrage est tournée au ralenti. Vendu comme une expérience « physique », The Dark Below est pourtant complètement dénué de tension, à cause d’une abondance de flashbacks servant sans doute à masquer le fait que le scénario, rachitique, aurait plutôt convenu à un court-métrage.


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Un sur cinq

The Dark Below
De Douglas Schulze
2015 / USA / 75 minutes
Avec Lauren Mae Schafer, Veronica Cartwright
Sortie prochainement
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