Récompensé au dernier festival de Venise, et couronné de 4 Goyas (les Césars espagnols) dont celui du meilleur film, La colère d’un homme patient débarque en France auréolé d’une belle réputation. Un plébiscite étonnant considérant la nature de ce long-métrage réalisé par un acteur connu des amateurs de cinéma ibérique, Raúl Arevalo (La Isla Minima, Ghost Graduation, Les amants passagers). Avec ce film, cogité pendant des années par un comédien qui souhaitait plus que tout passer derrière la caméra, Arevalo exprime un désir de cinéma presque à contre-courant des modes en vigueur, y compris dans son propre pays, pourtant très friand de polars ces dernières années.

Huit ans de sursis

La colère d’un homme patient : vengeance et perdition

Les premières images sont trompeuses, car chargées d’une adrénaline qui laissera sa place à une sourde tension pendant les 85 minutes suivantes. Installée à l’arrière d’une voiture, la caméra suit en plan-séquence l’évasion catastrophique d’une poignée de braqueurs de bijouterie, après un hold-up qui tourne mal. La poursuite tourne court pour le chauffeur, Curro (Luis Callejo, Mi gran noche), qui termine sa course en prison, purgeant une peine de huit ans alors que ses complices ont pris la fuite. Dehors, sa femme Ana (Ruth Diaz, À louer) l’attend patiemment, élevant toute seule leur fille avec l’aide de son frère et sa belle-sœur. La famille tient un bar que fréquente tous les jours le mystérieux José (l’excellent Antonio de la Torre, que l’on verra aussi cet été dans Que dios nos perdone). Celui-ci attend de pied ferme la libération de Curro : cachant ses intentions de tout le monde, le barbu taciturne a un compte à régler avec ce dur à cuire, et il a patienté toutes ces années pour enfin passer à l’acte…

[quote_center] »Le mécanisme de la vengeance est décrit avec une attention particulière et une acuité douloureuse. »[/quote_center]

Tourné en 16 mm, et cela se sent instantanément sur un écran de cinéma, La colère d’un homme patient fait honneur à son titre : l’œuvre est méticuleuse, dégraissée au maximum, et n’informe pas plus que nécessaire le spectateur sur l’état d’âme des ses personnages. L’un des aspects intrigants, c’est qu’Arevalo a cosigné le script avec un ami psychologue : le mécanisme de la vengeance, au centre du film, est ici décrit avec une attention particulière, et une acuité douloureuse. José est un homme brisé, c’est évident : dans ses yeux ne figure aucune étincelle de vie, juste un peu de compassion pour la belle Ana, femme de tête, fragile et indépendante à la fois, qu’il approche pour mieux faire chanter Curro. Le temps, nous disent les auteurs, n’a en rien fait oublier la douleur dans l’esprit de José. Elle s’y est au contraire développée, jusqu’à oblitérer tout autre notion, tout autre but.

Chronique d’un homme borné

La colère d’un homme patient : vengeance et perdition

Pas étonnant, alors, que l’apprenti cinéaste adapte sa mise en scène à cette trajectoire en ligne droite, chaotique, maladroite, mais qui ne dévie jamais de son objectif. La colère d’un homme patient nous soumet à des cadres étouffants, à de longs plans de dos à l’inéluctabilité stressante, à des accès de colère soudains imprévisibles. Dans son troisième acte, le film s’échappera loin des quartiers populaires de Madrid, où il situe son action, vers une ruralité qui fascine, à l’en écouter, le jeune Arevalo. Ce changement de décor radical lui permet de confirmer à l’écran l’influence manifeste qu’ont eu sur lui le cinéma de Sam Peckinpah (impossible de ne pas penser fugitivement aux Chiens de paille) et de son compatriote Carlos Saura (Cria Cuervos). L’élargissement des enjeux, qui concernent l’identité des complices de Curro, réduit à l’état de mouchard impuissant formant un duo on ne peut plus mal assorti avec José, ne signifie pas qu’Arevalo cède au besoin impérieux d’enchaîner les péripéties spectaculaires.

La colère d’un homme patient reste par essence un film mortifère, viril mais peu glorieux : ces règlements de comptes entre hommes blessés, entre ceux qui ont tenté de faire la paix avec leur conscience et ceux qui ont ruminé leur besoin de justice, nous glacent par leur côté dérisoire. Acteur caméléon, transformé ici en silhouette désincarnée que l’on nous charge de décrypter séquence après séquence, Antonio de la Torre incarne un anti-héros parmi les moins aimables que l’on ait vu récemment. La force du récit d’Arevalo, c’est qu’on ne peut malgré tout le détester, car son comportement est explicable, à défaut d’être excusable. Autour de lui, Luis Callejo et Ruth Diaz incarnent avec pas mal d’aplomb et de sensibilité à fleur de peau un couple restant étrangement uni au cœur de la tempête, malgré les années qui les ont séparées. Leur alchimie cabossée servira de point d’ancrage émotionnel à un dénouement sec et évasif, qui laisse volontairement quelques questions en suspens. Comme par hasard, celles-ci concerneront toutes la part de sentiment qui règne encore dans la tête de José. Un homme patient, mais impossible à apaiser.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatresurcinq
La colère d’un homme patient (Tarde para la ira)
De Raúl Arevalo
2016 / Espagne / 91 minutes
Avec Antonio de la Torre, Luis Callejo, Ruth Diaz
Sortie le 26 avril 2017
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