Avant d’arriver sur le bureau du Canadien Jean-Marc Vallée (réalisateur du sensationnel C. R. A. Z.Y. , puis des plus conventionnels Café de Flore et Young Victoria), l’histoire méconnue de Ron Woodroof sera restée dans l’ombre pendant 20 ans. En 1992, le scénariste Craig Borten pose son dictaphone à Dallas et écoute le créateur du premier « Dallas Buyers Club » au crépuscule de son existence. Le destin de cet antihéros américain se scelle un jour de 1985. Électricien de métier, fêtard invétéré, drogué et accro au sexe, Ron Woodroof présente également une fâcheuse tendance au racisme et à l’homophobie, comme la plupart des membres de son entourage typiquement redneck. Sa vie bascule lorsqu’il apprend qu’il est séropositif. Les médecins ne lui donnent pas un mois à vivre.

Sept ans de combat

Dallas Buyers Club : rodéo de la vie et de la mort

À partir de cet instant débute un véritable rodéo avec la mort pour ce cowboy de 35 ans qui va s’instruire sur cette maladie effrayante et méconnue à l’époque, et perdre très vite son job et son entourage. Très vite aussi, il s’oppose à la FDA (agence américaine du médicament) qu’il accuse de dégrader la santé des malades avec un médicament expérimental très dangereux. Le fier Texan parcourt le monde à la recherche de traitements plus efficaces et plus sains et les rapporte chez lui pour sauver sa vie, mais aussi celle de centaines de malades malgré l’opposition des médecins, des forces de l’ordre et enfin du Fisc. L’ex-macho s’associe avec un frêle et fragile transsexuel qui lui ouvre, contre toute attente, la porte de la communauté gay.

[quote_center] »Le duo Matthew McConaughey et Jared Leto est responsable pour une bonne part de la claque émotionnelle que ce film nous offre. »[/quote_center]

Ensemble, ils créeront, sur le modèle de San Francisco, le « Dallas Buyers Club », un lieu où, moyennant un abonnement mensuel de 400 dollars, les séropositifs ont accès à des médicaments qui ne figurent pas dans le système médical américain. Désormais, l’électricien peu instruit devient un homme d’affaires philanthropique et admiré par ceux qu’il dénigrait autrefois, continue à rechercher de nouveaux médicaments qui lui permettraient de survivre. Ce qu’il fit, durant sept ans. Le plus étonnant n’est pas de savoir pourquoi Craig Borten a consacré un scénario à ce personnage flamboyant, mais pourquoi le film n’a pas vu le jour plus tôt : le script tournait en effet à Hollywood depuis la fin des années 90, et Woody Harrelson, Brad Pitt et Ryan Gosling ont successivement été tentés d’entrer dans la peau du charismatique et controversé Ron.

Un duo mémorable

Dallas Buyers Club : rodéo de la vie et de la mort

Pour l’incarner, Matthew McConaughey a donc été choisi, un pur Texan, qui a joué cette fois la carte du « Robert de Niro » en se transformant petit à petit jusqu’à obtenir la silhouette squelettique et ce visage anguleux aperçu dans Le Loup de Wall Street. Tout comme Jared Leto, la perte de plus 20 kilos a sensiblement modifié la façon de jouer de l’acteur. Deux rôles de composition, deux challenges physiques et artistiques brillamment relevés. McConaughey se fond dans son personnage, attachant malgré ses défauts, et réalise sans doute la meilleure performance de sa carrière, la plus impressionnante sûrement. Face à lui, Jared Leto (qui n’est pas étranger aux performances physiques puisqu’il avait fait le chemin inverse pour les besoins de Chapitre 27, le biopic sur Charles Chapman), crève l’écran de justesse et de délicatesse. Le duo, auquel on peut ajouter la très discrète Jennifer Garner (Alias), est responsable pour une bonne part de la claque émotionnelle que ce film nous offre.

Premier spectateur de l’intensité dramatique de ses acteurs, Jean-Marc Vallée parvient à garder la maîtrise de son biopic, sans jouer la carte de l’histoire trop documentée, ni tomber dans le pathos facile. Le dispositif est minimaliste, à l’image des moyens employés pour tourner le film (25 jours de tournage, une seule caméra à l’épaule). Tout en offrant une entière liberté à ses acteurs, il inscrit intelligemment le film dans sa reconstitution des années 80 et permet délicatement au spectateur de comprendre les enjeux politiques et juridiques qui ne sont abordés qu’en filigrane dans le film. Plus que la réalité, Jean-Marc Vallée rapproche sa caméra de ses personnages pour montrer à quel point leur instinct de survie repousse les limites des préjugés et de l’intolérance. Le metteur en scène dose à la perfection son émotion pour ne la faire éclater qu’à l’instant le plus juste, sans s’apitoyer inutilement sur le sort de ses personnages. Tournée entièrement en lumière naturelle, selon le choix de Vallée et son chef opérateur, Yves Bélanger, l’image crée dans Dallas Buyers Club une atmosphère aussi étrange que familière. Danny Elfman (Charlie et la chocolaterie, Les Noces funèbres) signe pour l’occasion une bande originale folk au charme canaille qui définit parfaitement Ron.

Dallas Buyers Club est nominé six fois aux Oscars pour le meilleur film, meilleur acteur, meilleur acteur dans un second rôle, meilleur scénario, meilleur maquillage et meilleur montage. Dallas Buyers Club sera-t-il couvert d’Oscars ? Aux vues des émotions qu’il provoque, des questions éthiques et sociales qu’il soulève et de l’antihéros magnifique qu’il met en lumière, ce ne serait en tout cas que justice.


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Cinq sur cinq
Dallas Buyers Club
De Jean-Marc Vallée
USA / 2014 / 119 minutes
Avec Matthew McConaughey, Jennifer Garner, Jared Leto
Sortie le 29 janvier 2014
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