The Incident : panique à l’asile

par | 16 mai 2020 | Rétroaction

The Incident : panique à l'asile

Huis-clos sous haute tension, The Incident propose une heure et demi de pur suspense par un digne émule (frenchy !) de John Carpenter.

George, Max et Ricky sont trois musiciens qui grattent plutôt bien leur guitare (ok et leur batterie aussi) et espèrent sortir le disque rock parfait qui leur permettra d’enrayer la routine des concerts de deuxième zone. Surtout, ça leur permettra de quitter leur boulot alimentaire dans tous les sens du terme de cuistots à l’asile psychiatrique du coin, rempli jusqu’à ras bord de patients sous haute sécurité. Enfin, jusqu’à cette dramatique soirée où une tempête cause une panne d’électricité, permettant aux plus dangereux des illuminés de s’évader de leurs chambres et de commencer à décaniller tout ce qui bouge… Pitch minimaliste, aux vagues relents de déjà-vu, unité de lieu, de temps, de personnages (donc budget réduit) : manifestement, le réalisateur Alexandre Courtès a bien potassé son guide du « premier film facile », qu’on pourrait croire de prime abord destiné à remplir les soirées canapés de W9. Mais, déjà, l’attelage artistique et les conditions de productions font penser que The Incident (aussi connu sous le nom d’Asylum Blackout) a quelque chose de particulier : c’est une œuvre battant drapeau franco-belge, tournée intégralement à Bruxelles et dans la campagne proche, signée par un français, donc, avec un casting majoritairement british et censé se dérouler aux USA en 1989 !

Vol au-dessus d’un nid de tarés

The Incident : panique à l'asile

La première réussite du film est donc de masquer ses origines européennes, tout en nous plongeant, sans excès de reconstitution mais par le moyen de petites touches originales (l’équipement audio de l’asile nous rappelle par exemple que nous sommes bien dans l’ère analogique), dans un passé proche permettant de limiter les possibilités d’échapper à ce lieu clos – pas de portables, pas d’Internet, pas de portes automatiques, bref, pas de chichis. Loin de verser dans le torture porn aux excès de violence gratuite, Courtès, clippeur émérite (son palmarès comprend des clips pour les White Stripes, Justice ou encore U2), préfère déployer un gros savoir-faire technique pour transcender son scénario de série B – signé à l’époque par un inconnu qui ne l’est plus tout à fait, Craig S. Zahler (Traîné sur le bitume, Bone Tomahawk). Du travelling avant inaugural nous faisant pénétrer dans l’univers mental (le studio de répétition) des trois héros, aux jeux de lumières accentuant l’étrangeté d’un asile faussement tranquille soudainement plongé dans l’obscurité, en passant par l’utilisation pleine d’assurance du format large 2 :35, The Incident rappelle à chaque instant qu’une vraie sensibilité de metteur en scène est ici à l’œuvre, visiblement sous influence de John Carpenter, mais jamais déférent. Quand on voit le récent The Ward, qui se déroulait également dans un asile, on aurait presque envie que le vétéran américain ait signé cet Incident rappelant son début de carrière, plutôt qu’une énième et paresseuse ghost story à la Gothika.

« Défilé de trognes inquiétantes, le film donne la part belle
à un trio de héros dépassés par les événements. »

Courtès peut remercier son directeur artistique, qui lui a permis de surmonter ses limitations financières pour donner un tel cachet plastique à son film, mais le casting de The Incident n’est pas en reste. Défilé de trognes inquiétantes dont l’étendue des noires pensées est laissé à notre imagination, le film donne la part belle à un trio de héros dépassés par les événements, éloignés des clichés habituels accolés à l’univers des jeunes musiciens (en gros, de jeunes écervelés toujours un pétard à la main et adeptes du second degré). Dans le rôle principal, on assiste presque à la renaissance d’un acteur, Rupert Evans, qu’on avait appris à détester à l’époque d’Hellboy (il y jouait Myers, le bleu-bite énervant qui suivait le démon cornu partout) et ici méconnaissable. Il habite un personnage, George, à la fois moteur de l’action et figure psychologiquement ambiguë, tombant régulièrement en empathie avec les patients qui le défigurent à chaque repas.

Une dernière folie

The Incident : panique à l'asile

En rendant attachant son groupe de cuistots-rockeurs et en construisant patiemment le paysage fictionnel où il situe son intrigue (ne riez pas, c’est devenu très rare de nos jours), Courtès rend d’autant plus efficace la partie survival qui s’ensuit, dès lors que le jeu du chat et de la souris entre des locataires dangereusement cintrés et le personnel apeuré, commence. Le film n’est pas avare en scènes chocs, aussi graphiques que fulgurantes (pas de quoi faire s’évanouir les spectateurs, comme le prétendaient au cours de la tournée des festivals les producteurs du film), mais l’accent est majoritairement mis sur une froide tension, sur la construction d’une atmosphère d’inexorable menace, jusqu’à un twist final qui brouille violemment les pistes, ouvrant le film, sans prévenir, à plusieurs interprétations. Sans faire tanguer jusqu’au naufrage l’intégrité de l’histoire, en provoquant le rejet d’un spectateur qui se sentirait floué (comme pouvait le faire le Haute Tension d’un autre Alexandre), cette pirouette stylistique et narrative nous fait toutefois nous gratter la tête pendant longtemps.

Présenté à Sitges, Gérardmer, puis à Bruxelles, The Incident aurait mérité de poursuivre son parcours sur grand écran, le format pour lequel il a été avant tout pensé. Que cela n’empêche pas les amateurs de sensations fortes et de suspense de se jeter sur le film, en streaming ou en Blu-Ray, comprenant un entretient passionnant avec l’ami Courtès.