Detour : retour en trompe-l’œil
Jouons un peu avec Christopher Smith qui, avec Detour s’attaque au film noir en s’amusant à réinventer sa forme et sa narration. Réjouissant !
Un décor sec de désert Californien, des acteurs jeunes, glamour et forcément attachants, un scénario en apparence simple et violent rejouant les codes éprouvés du néo-noir post-Tarantino : une recette que le cinéma bis américain sait nous resservir à la pelle. Le menu semble à première vue connu et reconnu. Sauf que dernière ces images d’Épinal (héros pris au piège, femme fatale, gangsters hauts en couleur), se cache la dernière livraison de l’un des réalisateurs les plus imaginatifs du cinéma britannique, qui effectue ici un retour attendu. Après nous avoir fait flipper dans le métro avec Creep, nous avoir fait perdre le Nord dans Triangle, transformé notre vision de la vie au bureau dans Severance, joué aux Templiers dans Black Death tout en faisant briller le père Noël dans sa commande Get Santa, Christopher Smith change à nouveau de genre, pour notre plus grand plaisir.
Origami meurtrier
Detour s’intéresse à Harper (le sympathique Tye Sheridan, découvert dans Mud et qui jouera bientôt dans Ready Player One), un jeune étudiant en droit dont la mère est dans le coma suite à un accident de voiture. Il est dévoré par la haine à l’encontre de son beau-père (Stephen Moyer, True Blood), qu’il juge responsable de l’accident et dont le comportement frôle l’indifférence. Un soir, dans un bar, il rencontre un voyou (Emory Cohen) accompagné de sa petite amie (Bel Powley) et lui demande de l’assassiner… avant de regretter dès le lendemain matin sa décision. Detour, pur polar noir, n’est pas dépourvu d’humour et de sex appeal et n’entend pas réinventer le genre. Mais les amateurs d’expérimentations narratives apprécieront sans aucun doute les savants coups de ciseaux apportés à cette histoire, qui lui confèrent tout son intérêt : split-screen, récit gigogne, flash-backs, twists en pagaille… C’est un véritable festival. Cependant, ceux qui ne raffolent pas des agissements déstructurés et des films de « petit malin » devront passer leur chemin. La star dans ce genre de long-métrage, c’est bien le réalisateur.
« Les amateurs d’expérimentations narratives apprécieront les savants coups de ciseaux apportés à cette histoire. »
Magicien du montage, Smith s’amuse à éclater son intrigue pour en défaire les nœuds, petit à petit. Il s’amuse également avec la continuité temporelle du récit, en nous menant très consciemment par le bout du nez. Ce numéro de prestidigitation suscite un plaisir ludique, basique, inévitable. En s’appuyant sur un point de bascule narratif, symbolisé par le sas d’entrée de la maison de Harper, placé devant un dilemme douloureux, il déroule une multitude de pistes alambiquées, aux niveaux de lectures différents, mais sommes toutes assez simples à suivre. Placée dans des mains moins expertes, cette expérience visuelle pourrait tourner au désastre. En évitant les écueils de la complexification excessive, sans prendre pour autant le public par la main, Smith atteint humblement une maîtrise parfaite de son exercice.
À condition d’accepter de perdre ses repères, Detour est particulièrement agréable à suivre, en raison de la capacité de Smith à ne jamais trahir le regard de son spectateur : tout ce qu’il doit savoir est bien là, devant lui. Son jeu narratif amusant et élégant renforce de surcroît l’impact dramatique de l’intrigue, dans laquelle les personnages voient également leurs repères moraux brouillés. Vivement un nouveau jeu !