Les jeunes générations ne connaissent sans doute pas le nom de Walter Hill, et c’est bien dommage. Le réalisateur californien n’est pas seulement le créateur du buddy-movie moderne (avec 48 heures) et un amoureux transi du western, qu’il a décliné sous toutes ses formes pendant sa carrière, de la plus classique à la plus post-moderne. C’est aussi un cinéaste possédant une vista imparable, aujourd’hui anachronique, pour filmer l’action : calculer chaque angle, chaque raccord pour donner à chaque scène un maximum d’efficacité. Hill est resté dix ans loin des écrans de cinéma (depuis le très macho Un seul deviendra invincible, avec Wesley Snipes, qui a donné lieu à une improbable saga mettant en avant Scott Adkins), signant seulement, comme par hasard, une mini-série western nommée Broken Trail dans l’intervalle. Atteint de cécité partielle, on ne donnait pas cher de son futur cinématographique, jusqu’à ce que le projet Du plomb dans la tête, sa première collaboration avec Stallone, voit le jour.
Tourné en 2011, le film n’atterrit qu’aujourd’hui sur les écrans, et par une étrange coïncidence, se retrouve au même moment dans l’actualité que Le dernier rempart et Die Hard 5, avec ses amis « expendables ». Une triple salve qui nous ramène plus de 15 ans en arrière, quand les séries B du samedi soir, généralement produites par Joel Silver et farcies de filtres bleutés, inondaient nos cinémas de quartier sans se soucier d’un quelconque sous-texte artistique. Ça tombe bien, Du plomb dans la tête, c’est exactement ça : un buddy-movie à l’ancienne (même Silver est de la partie), old school en diable, loin d’être parfait mais exhalant un parfum d’autrefois assez étrange.
Du poing dans la face
D’une certaine manière, la philosophie de Hill, aussi anachronique qu’elle paraisse à l’époque d’Avengers, peut se résumer dans le personnage de James Bonomo, que Stallone interprète avec le minimum possible de rictus faciaux : il n’a jamais entendu parler des téléphones portables (sic), il préfère frapper son prochain que balancer un bon mot, et n’hésite pas à truffer de balles un client qui l’a doublé pour bien s’assurer qu’il est mort. Bonomo, tueur à gages vieillissant, est à l’image du cinéma de Walter Hill : linéaire, laconique, naturellement badass et brutalement réaliste. Malgré tout, son retour sur le devant de la scène ne s’est pas déroulé sous les meilleurs auspices. Du plomb dans la tête démarre par un générique flashy, première empreinte reconnaissable des producteurs qui ont tenté, par tous les moyens, de donner une patine branchée à une histoire qui s’en serait bien passé. On imagine mal Walter Hill, dont les relations avec ses producteurs se sont avérées plutôt houleuses sur le tournage (ne parlons même pas de la post-prod : le film n’est pas resté inédit deux ans pour rien), se satisfaire des innombrables cut rougeoyants qui parsèment le film, ou des inserts à la Google Maps, aussi inutiles que laids.
Ces fautes de goût n’handicapent que partiellement un récit qui file droit à l’essentiel, au prix de quelques longueurs et d’énormes facilités de scénario, concentrées dans le personnage de Kwon (Sung Kang, des Fast & Furious) : le flic de Washington, venu enquêter sur un meurtre à La Nouvelle-Orléans, se retrouve à faire équipe avec Bonomo, et s’avère particulièrement utile lorsqu’il s’agit de retrouver tous ceux qui ont doublé ce dernier et tué son « collègue », Louis. Un coup de téléphone, et hop !, Bonomo et Kwon vont du point A au point B, remontant la piste vers les criminels en col blanc à la manière de Lee Marvin dans Le point de non-retour. L’occasion de croiser quelques seconds couteaux comme Christian Slater, qui navigue depuis maintenant une dizaine d’années entre DTV fauchés et séries télé avortées, ou sous-estimés, comme Jason « Khal Drogo » Momoa, colosse faussement inexpressif qui volerait presque la vedette à Sly en surjouant chaque réplique comme s’il était le héros. L’occasion aussi d’admirer un mixage sonore qui en rajoute dans l’effet « pain dans la tronche douloureux » ou « gros calibre qui résonne ». Il n’y a pas de surprise ou de discours nostalgique dans Du plomb dans la tête. Juste des ingrédients surannés (humour, bastons, fusillades, seins nus, et même un peu de sentiments avec la fille de Bonomo qui craque pour Kwon) rassemblés dans 90 minutes de bis richement doté (la chose a quand même coûté 55 millions de dollars), qui seraient passées inaperçues si elles étaient sorties à une autre époque.
Tel quel, Du plomb dans la tête ressemble à une anomalie de production : un polar si modeste, si franc du collier dans son refus de s’adapter aux « normes » modernes du spectacle hollywoodien (Bonomo et Kwon ne finissent même pas par devenir amis) qu’on se demanderait presque, par réflexe, si le film ne contiendrait pas une dose d’ironie. Non, non. C’est juste qu’on n’est plus habitué à ce genre de petit plaisir viril dénué de cynisme. L’exercice a ses limites (le film est d’ores et déjà un bide international), mais quel nostalgique des années « Silver » pourrait s’en passer ?
Note BTW
Du plomb dans la tête (A bullet in the head)
De Walter Hill / 2013 / USA / 92 minutes
Avec Sylvester Stallone, Jason Momoa, Sang Kung
Sorti le 27 février 2013