Il y a pire dans un festival que de passer plusieurs heures en compagnie d’un réalisateur de légende. S’il a une réputation,
assez peu usurpée, d’être difficile et caractériel, William Friedkin n’en est pas moins une sacrée personnalité, un cinéaste atypique qui a su durant son passage au Bifff, mettre le public et les journalistes dans sa poche, à coup d’anecdotes, de connivence sincère et de blagues bien senties. Au petit jeu de la chanson (demandée en force par le public à chaque invité qui passe ici à Bruxelles), Friedkin a même gagné des points à l’applaudimètre en reprenant à pleins poumons le classique Anything goes. Du petit lait pour le public, qui a rempli comme un œuf la grande salle du Tour & Taxis pour y découvrir son petit dernier, le malpoli Killer Joe. Avant cela, le metteur en scène américain, qui a prévu de tourner son prochain long-métrage en Europe, aura passé toute la matinée avec les journalistes pour une discussion à bâtons rompus dont vous pourrez goûter la richesse d’ici peu sur www.iletaitunefoislecinema.com.

William Friedkin était hier au Bifff, débutant sa journée par une conférence de presse / discussion marathon de presque trois heures avec la presse.

Après avoir discuté Magritte, Exorciste et opéra, la première projection de la journée a permis de découvrir en quasi-exclusivité mondiale le dernier opus du stakhanoviste Takashi Miike, à nouveau représenté à Bruxelles un an tout juste après son 13 Assassins. Toujours là où on ne l’attend pas, Miike s’attaque ici à une adaptation à gros budget du jeu vidéo Phoenix Wright : Ace Attorney (ici appelé juste Ace Attorney), grand succès Nintendo de la DS, avec ses procès interactifs en forme de match en trois manches, où l’on peut diriger soi-même les interrogatoires des témoins et hurler si besoin dans le récepteur de la console le culte « Objection ! ». Saga aux codes désormais bien connus, Ace Attorney ne pouvait trouver meilleur illustrateur que Miike. Contrairement aux Américains, les Japonais ne prennent pas de haut le medium vidéo-ludique (ce qui paraît logique) lorsqu’ils transforment en film leurs grands succès. Maitre ès décalage comique, Miike reprend en live tous les particularismes du jeu, avec ses procès futuristes où les preuves s’affichent sur écran géant. Plus impressionnant, il s’applique à récréer les cadrages de la console, les témoins étant présentés par des bancs-titres. Les procès gagnés par le novice Phoenix Wright (le très expressif Hiroki Narimiya) sont, comme dans le jeu, soulignés par une pluie de confettis. Cette incongruité stylistique, cette opposition entre le sérieux imperturbable des protagonistes et les ressorts – visuels, scénaristiques, sonores – tout droit sortis du jeu fait d’Ace Attorney un objet étrange, mais irrésistible, qui adapte avec un sens consommé du suspense les meilleurs enquêtes du premier épisode. On se souviendra longtemps de l’interrogatoire d’un perroquet bavard par un Wright au pied du mur.

Ace Attorney, de Takashi Miike, une adaptation fidèle et savoureuse du jeu Nintendo.

On en reparlera très bientôt lors d’une critique complète, mais Killer Joe a été également l’une des belles surprises de la quinzaine. Approfondissant les recherches de son précédent opus, Bug, Friedkin s’attaque à nouveau à une pièce de Tracy Letts, dramaturge auréolé du Prix Pulitzer. Après le motel infesté du huis-clos avec Michael Shannon et Ashley Judd, place au « trailer park » (parc à mobil-homes) avec Emile Hirsch et Matthew McConaughey, dans un rôle-titre savamment étudié pour l’employer à contre-emploi. Dans les deux cas, il s’agit d’observer, avec un recul assez cynique, la destruction méthodique d’une petite communauté de culs-terreux texans dont l’horizon se résume à la prochaine bière et la culture aux Monster trucks quotidiens. Personnages veules et auto-destructeurs, action confinée à quelques décors claustrophobiques, ambiance de film noir où le grippage de l’engrenage se renifle dès les premières minutes, Killer Joe trace un sillon familier, notamment emprunté par les frères Coen. Mais son style se repère à trois kilomètres, notamment dans sa fascination pour l’ambivalence psychologique, les personnages étant tous sujets à de brusques changements de tempéraments, ou contraires aux apparences. Voir le frêle mais vindicatif Emile Hirsch menacer son couard de père, interprété par le massif Thomas Hayden Church (Sideways), suffit à résumer l’inquiétante étrangeté de ce Killer Joe aussi absurde que jouissif, et qui a le bon goût de se terminer sur une fin ouverte. Là aussi, une trademark de mister Friedkin.

Le trailer de la bête :

Direction Cuba maintenant, avec Juan of the Dead, d’Alejandro Brugues. C’est officiellement le premier film de zombies tourné à la Havane, ce qui suffit à en faire un objet de curiosité. Le résultat ne casse pas des briques, mais l’exotisme, si on peut employer le mot, qu’implique une invasion de morts-vivants (surnommés « dissidents à la solde des impérialistes » par le pouvoir en place !) en terre marxiste, aide à passer outre les clichés plus qu’usés propres à ce sous-genre actuellement surexploité. Le héros y est un sosie de Smaïn (ça en devient même ahurissant, comme Julien Lepers avec Michael Keaton) qui décide avec quelques amis survivants d’ouvrir un service d’élimination des morts-vivants, moyennant finances. L’idée est forte, mais sous-exploitée, le réalisateur préférant multiplier les gags plus ou moins réussis (soyons honnêtes, il y en a de très bons) et les allusions métaphoriques simplistes à la situation politique de son pays. Visuellement terne, Juan of the dead se rattrape donc par son côté fourre-tout, et une véritable envie de bien faire.

Le trailer :

[tube]http://www.youtube.com/watch?v=dOquktXvkT4[/tube]

Fin de soirée les yeux mi-clos, avec la diffusion de la mini-série télé Bag of Bones, dont la séance a débuté avec une bonne heure de retard. Un peu dommage lorsqu’on parle d’une production de trois heures, adaptée d’un roman méconnu (et pour cause) de Stephen King par le sympathique téléaste Mick Garris. La seule surprise de ce looooong film de fantômes, avec un veuf isolé dans sa maison qui voit des petits enfants surgir de sa baignoire et fait des cauchemars le renvoyant dans un passé mystérieux, c’est de retrouver Pierce Brosnan dans le rôle principal. L’ancien James Bond est de tous les plans, souvent seul à l’écran pour animer un téléfilm qui aurait été original s’il était sorti en 1989. En l’état, c’est une adaptation léthargique (et létale pour les spectateurs qui se sont endormis un par un durant la nuit) d’un opus mineur du King, un naufrage auquel même la star, qui n’a pas autant cabotiné depuis The Matador, semble ne pas croire une seule seconde.

Vendredi, la journée est consacrée au cinéma belge, avec la projection notamment de courts-métrages « locaux »… Mais ça ne nous empêchera pas de nous intéresser au coréen Hindsight et au prometteur The Incident, production… franco-belge, justement. A suivre !