Escape from Mogadishu : panique à l’ambassade

par | 9 novembre 2022

Escape from Mogadishu : panique à l’ambassade

Le réalisateur de Battleship Island plonge Coréens du nord et du sud en pleine guerre civile somalienne. Efficace.

Sans être le secret le mieux gardé du cinéma coréen (après tout, la quasi-intégralité de ses films est disponible légalement dans l’Hexagone), Ryoo Seung-wan reste l’un de ses représentants les moins connus chez nous. La faute peut-être à une exploitation systématique de ses titres sur petit écran uniquement, à l’exception du récent et extraordinaire Battleship Island – qui s’est contenté notons-le d’une sortie technique dans 2 salles. Gros succès dans son pays au sortir du Covid, Escape from Mogadishu ne vient pas rompre cette tradition. Sorte de croisement tendu entre Joint Security Area, Argo et La chute du faucon noir (qui se déroule lui aussi pendant la guerre civile en Somalie), ce thriller guerrier sacrifie parfois sa complexité sur l’autel du spectaculaire, même si le savoir-faire du cinéaste est rarement pris en défaut.

Courage, camarade, fuyons

Escape from Mogadishu : panique à l’ambassade

Quelques plans aériens suffisent pour immerger le spectateur dans les dédales ensoleillés de Mogadiscio, capitale de la Somalie (le film a en réalité été tourné au Maroc). En cette année 1991, le pays est au bord d’un soulèvement armé contre le gouvernement génocidaire et répressif du président Barre. Ce contexte n’empêche pas les luttes diplomatiques de se dérouler en coulisses. La Corée du Sud, représentée par son ambassadeur Han Sin-seong (Kim « The Chaser » Yun-seok, pour une fois moins gromelant) tente de s’attirer les faveurs du président pour qu’il soutienne la demande d’intégration du pays à l’ONU. Problème, leurs efforts sont constamment réduits à néant par leurs homologues nord-coréens, menés par l’ambassadeur Rim Yong-su (Heo Joon-ho). Ce jeu d’influence devient futile le jour où le conflit éclate au cœur de la capitale. Désormais piégés dans une zone de guerre où les intérêts étrangers sont particulièrement visés par les rebelles, les deux ambassadeurs et leur personnel vont devoir s’allier pour trouver un pays ami en mesure de leur garantir un échappatoire…

« Escape from Mogadishu se base sur des faits réels pour déployer
un pur stratagème de film à suspense.
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Le dépaysement sied bien à Ryoo Seung-wan, qui depuis The Agent, délaisse régulièrement les artères familières de Séoul pour conférer à son cinéma exubérant, chirurgical et excitant une dimension géopolitique plus marquée. Tout comme Battleship Island, Escape from Mogadishu se base sur des faits réels pour déployer un pur stratagème de film à suspense : une alliance entre des personnages aux intérêts contraires (et contrariés) dans le but de survivre et s’échapper d’une prison à ciel ouvert en plein embrasement. Seung-wan prend son temps pour exposer les stratagèmes retors et jamais couronnés de succès de l’arriviste Han et son maigre personnel administratif. La corruption du gouvernement Barre est évidente, et justifie des scènes caustiques d’intimidation entre Han et Rim, sa némésis avec qui il partage, sans s’en douter, bien plus de points communs et de valeurs qu’il ne croit. Ce premier acte est une longue introduction nécessaire pour identifier les forces en présence, avant que le chaos s’installe et que le montage de Ryoo Seung-wan se recentre sur ce qu’il sait faire de mieux : générer la tension et la faire exploser dans des scènes d’action d’anthologie.

Le meilleur pour la fin

Escape from Mogadishu : panique à l’ambassade

Le cinéaste n’y va pas par quatre chemins pour dépeindre les exactions commises par les deux camps. En quelques scènes, les palaces exotiques laissent la place à des rues désertes jonchées de carcasses de voitures et de cadavres. Des enfants soldats ricanants menacent les personnages à bout portant. D’autres exécutent des anciens gardes sous les huées de la foule. Les lieux de pouvoir sont mis à sac et les étrangers pourchassés. Bref, c’est le chaos, un chaos capté par une mise en scène toujours collée au point de vue paniqué des ressortissants coréens. Escape from Mogadishu choisit d’atténuer en partie ce côté rude, difficile à digérer de la violence frontale de la guerre civile, en se concentrant tout autant sur les interactions compliquées entre les deux camps coréens forcés de collaborer mais aussi de découvrir le fonctionnement et les réflexes conditionnés de « ceux d’en face » (superbe idée notamment des enfants nord-coréens aux yeux recouverts par la main de parents inquiets de l’influence du mode de vie sudiste). Le duo improbable Han / Rim a presque des allures de buddy movie improvisé, le film ne perdant jamais de vue son ambition de divertissement secouant à gros budget.

Ces moyens confortables, Escape from Mogadishu les met à contribution dans la reconstitution de la capitale somalienne, la photo chaude et acérée de Choi Young-hwan (déjà à la caméra sur Veteran et The Agent) et dans plusieurs moments spectaculaires, comme cette course effrénée en voiture qui sert de climax pétaradant à l’aventure. Confinés dans des voitures protégées avec les moyens du bord, les Coréens tentent le tout pour le tout en traversant une ville remplie de tireurs armés jusqu’aux dents. Ryoo Seung-wan déploie dans ce moment de bravoure tout son arsenal de metteur en scène, démontrant son sens de la spatialisation de l’action, son amour des plans impossibles (ici un plan-séquence traversant successivement l’intérieur des trois voitures) et son refus de céder à l’héroïsme béat de dernière minute. Il n’y pas de triomphe aisé dans le cinéma de Seung-wan. Un adage qui ne peut être énoncé plus clairement que dans l’épilogue d’Escape from Mogadishu, où les différences ressurgissent comme une fatalité éternelle, refermant comme une parenthèse dans l’Histoire ce moment de réconciliation à hauteur d’homme, cette unité face à un conflit rendant les oppositions de principe dérisoires.