C’était une ouverture parfaite pour l’Étrange Festival. Découvert avec un premier film dans la lignée des « french frayeurs » de l’époque, Frontière(s), Xavier Gens était venu présenter sa maladroite mais énervée série B au Forum des Images. On sentait, derrière le scénario stupide et l’interprétation en roue libre, une rage de filmer plutôt encourageante, mal maîtrisée, sans doute un peu inconsciente aussi. Poussé par ses financeurs à jouer la carte de la provoc’ sanglante, jusque dans sa péremptoire affiche, Gens a alors peut-être renvoyé la mauvaise image d’un cinéaste opportuniste, touchant au genre uniquement pour s’offrir une belle carte de visite pour Hollywood.

Comme si ça n’était pas suffisant, il a ensuite embrayé sur Hitman, adaptation foirée dans les grandes largeurs d’une licence un temps promise à Vin Diesel (qui a gardé le titre de producteur exécutif). Bridé par ses financeurs, Gens renie à demi-mot cette première tentative hollywoodienne, mais, déjà, sa crédibilité paraissait avoir pris un coup fatal.

Alone in the dark… ou presque

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Quatre ans après, Gens semble avoir trouvé la bonne formule : The Divide, petite production indépendante, a un pied en Europe et en Amérique de par son financement. Le réalisateur a tourné au Canada, carburant parfois au système D pour boucler son budget (témoin cette anecdote sur son stagiaire régie, dont les parents ont apporté deux millions de dollars de financement !), rassemblant une petite équipe d’acteurs confirmés autour d’un scénario à la fois prometteur visuellement (c’est du post-apocalyptique en huis-clos) et narrativement : il s’agit d’observer la descente en enfer d’une communauté de survivants se terrant dans le sous-sol d’un immeuble après l’explosion d’une bombe atomique à New York – eh oui, toujours elle.

Gens remporte à l’arraché son pari : tendu, nerveux, occasionnellement malsain, The Divide s’impose comme une entrée solide dans un sous-genre particulièrement casse-gueule. Dès son ouverture « akiresque », le film cloue le spectateur à son fauteuil, lui interdisant de respirer par le biais d’un montage aussi frénétique que douloureux : aucun plan ne respire, seule compte l’énergie de l’accumulation des coupes, qui crée sa propre pulsation rythmique – voire pour exemple Requiem for a dream. Ça peut faire tiquer, voire énerver, mais le traitement est pour une fois conforme à l’atmosphère d’urgence impérieuse de l’histoire. La tension retombe un peu par la suite, et l’histoire prend son temps pour véritablement démarrer, avec l’apparition de soldats en combinaisons (très classes), qui jouent le rôle du deus ex machina empêchant une bonne fois pour toutes notre casting de se faire la malle.

Performances en tous genres

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Outre l’occasion pour le réalisateur de montrer tout son talent dans la gestion de l’espace (il s’octroie même un petit plan séquence à la Panic Room pour le plaisir), The Divide est aussi, fatalement, le théâtre de performances d’acteurs tous en grande forme. Si l’on regrette la disparition prématurée de l’un d’eux, second rôle charismatique qui insuffle une vraie tension dans la bande, on applaudit des deux mains au choix de mettre en valeur la tronche burinée et sarcastique de Michael Biehn. Surmotivé, à fond dans son rôle, l’ex-Kyle Reese fait rudement plaisir à voir dans un rôle taillé sur mesure pour lui, entre folie latente et badass attitude. Face à ce vétéran du genre, Milo « Heroes » Ventimiglia et Lauren German se taillent la part du lion. Le premier, notamment, saisit cette opportunité de casser radicalement son image de gentil garçon, grâce à un rôle à ambiguïté fascinante. Bien qu’il soit en retrait, le reste du casting est tout aussi marquant, chacun ayant l’occasion de défendre des personnages certes caricaturaux, mais dont la trajectoire personnelle reste toujours crédible (seule Rosanna Arquette détonne un peu, par l’énormité de son destin).

Pas exempt de défauts, des affèteries stylistiques parfois totalement inutiles de Gens au manque de rythme patent du deuxième acte en passant par les trous béants dans la narration (à quoi servent les enlèvements d’enfants ?), The Divide réussit à marquer les esprits, notamment grâce à son final, sanglant comme il se doit (le film menace à tout moment de verser dans le torture porn, et évite heureusement ce piège fatal), mais aussi curieusement philosophique. Sans trop en dire, l’opposition de caractères s’y transforme en réflexion sur l’opposition des sexes, Gens et ses scénaristes apportant une réponse un brin radicale à la question « qui doit survivre ? ». Une digression inattendue, puissante et joliment amenée, qui conclut avec force un film que l’on sent, cette fois, maîtrisé de bout en bout.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
The Divide
De Xavier Gens
2011 / USA-France-Canada / 110 mins
Avec Lauren German, Michael Biehn, Milo Ventimiglia
Sortie le 6 janvier 2014 en DVD et Blu-ray
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 Voir aussi la présentation du film par Xavier Gens