Grand Piano : la note qui tue !

par | 24 avril 2014 | À LA UNE, BLURAY/DVD, Critiques, VOD/SVOD

Grand Piano : La note qui tue

Elijah Wood en pianiste menacé de mort s’il joue une fausse note ? Pourquoi pas : Grand Piano traite ce pitch idiot avec un enthousiasme parfois communicatif.

Le 7e art a ceci de grandiose qu’il permet de rendre littéral même l’idée de scénario la plus absurde, la plus inconcevable sur le papier. Exemple parfait avec ce Grand Piano, production espagnole que l’on doit au réalisateur Eugenio Mira (Agnosia) qui aurait un intérêt plus que limité si elle avait été contée au sein d’un roman. Car, outre le fait que la musique joue bien sûr un rôle prépondérant au sein de l’intrigue, le caractère invraisemblable de celle-ci ne peut être toléré que parce qu’elle prend la forme d’un thriller opératique faisant fi de tout réalisme.

Jugez plutôt : le scénario de Grand Piano, imaginé par Damien Chazelle (passé à la réalisation avec le tout aussi musical Whiplash) enferme au bout de cinq minutes notre héros, Tom Selznick (Elijah Wood), dans un auditorium cossu de Chicago et dans ses coulisses. Pianiste de génie, reconnu en son temps comme « le nouveau Rachmaninov », Selznick s’est tenu éloigné des salles de concert pendant cinq ans, depuis qu’une représentation ratée a fait de lui la risée du public. Avec l’aide de sa femme Emma (Kerry Bishe, vue dans Argo), actrice mondialement connue, Tom doit vaincre son trac lors d’une représentation à guichets fermés, en jouant notamment l’impossible morceau « La Quintette » sur le piano Bösendorfer de son mentor. Pas de bol : alors qu’il monte sur scène, il trouve sur ses partitions un message inscrit en lettres rouges : « Ne rate aucune note ce soir ou tu es mort ». Tom est la cible d’un tireur embusqué, qui pour une raison mystérieuse tient à ce qu’il fasse le concert de sa vie. L’unité de lieu, de temps et de personnages est installée, place à la musique. Maestro ?

Un concerto sous influence

Si ce pitch hautement improbable vous rappelle quelque chose, c’est tout à fait normal : en remplaçant la scène du concert par une cabine téléphonique, il s’agit en gros d’une version alternative de Phone Game, la série B de Joel Schumacher que l’excellent Larry Cohen, spécialiste des scripts « high concept », destinait à l’origine à nul autre qu’Alfred Hitchcock. L’ombre du maître du suspense plane de fait énormément, et consciemment, sur Grand Piano. Eugenio Mira cligne ouvertement de l’œil à L’homme qui en savait trop, entre autres, et place de manière générale son film sous le patronage des grands stylistes de la caméra, en tentant de transformer ce huis-clos musical en exercice de style survolté.

« Panoramiques circulaires, travellings compensés, variations brutales d’éclairages, plan-séquence ambitieux : Mira a bien révisé ses classiques. »

Après tout pourquoi pas ? L’idée de passer une heure et demie – en fait beaucoup moins, Grand Piano se terminant au bout de 75 petites minutes – derrière l’épaule d’Elijah Wood, de plus en plus fan de cinéma de genre (son Open Windows, autre production espagnole, demeure très attendu), n’a à la base rien de très excitant. C’est pourquoi, passée une introduction remplie de dialogues d’exposition, le metteur en scène se lâche littéralement pour transcender l’inanité de son script – on va y revenir. Panoramiques circulaires endiablés, travellings compensés, variations brutales d’éclairages, jeux sur les surfaces réfléchissantes, et même plan-séquence ambitieux se terminant par un split-screen : Mira a visiblement bien révisé les classiques de Brian de Palma et Dario Argento, Snake Eyes et Terreur à l’opéra en particulier, pour en reproduire aussi fidèlement l’atmosphère ; et il ne recule devant rien pour dynamiser chaque micro-événement de l’intrigue. Elijah Wood passe ainsi autant de temps à courir dans les recoins de l’auditorium qu’à marteler frénétiquement son clavier (ou son portable), le tout sans jamais se départir de son regard mi-exorbité mi-paniqué, parfait pour ce genre de rôle.

Terreur à l’auditorium

Grand Piano : La note qui tue

L’éternel Frodo assure dignement le spectacle, en créant l’illusion qu’il est un prodige du piano à queue, capable de converser en plein concert via une oreillette avec son bourreau, de taper des SMS en jouant de l’autre main, ou de quitter quinze fois la scène en revenant toujours à l’heure pour ses parties de piano (sic). On ne peut pas forcément en dire autant de ses partenaires, qui ont autant de personnalité que des silhouettes en carton, et semblent parachutés dans l’histoire uniquement pour servir de relief comique ou de chair à canon (parfois les deux en même temps). C’est que le script de Chazelle, aussi culotté qu’il soit dans son parti-pris de suspension d’incrédulité, s’autorise quelques largesses – lire : incohérences grosses comme un tuba – qui font parfois tomber Grand Piano dans le comique involontaire.

Entre le point rouge du fusil qui défile au mépris de toute logique spatiale sur la partition de Tom, la sécurité des lieux qui se résume à un seul agent (corrompu), ou pire, le « plan » machiavélique mais soumis à tellement d’inconnues qu’on peut se demander comment il a pu réussir (comment le tueur peut-il espérer que Tom joue parfaitement bien sous pression alors qu’il a déjà naturellement le trac sur scène ?), les ficelles sont assez hénaurmes pour excuser du coup les mouvements de caméra survoltés de Mira. Lequel profite de cette occasion pour truffer tout son film de références cinéphiles, de Robert Aldrich à Luis Bunuel en passant par John McTiernan (les premières scènes sont littéralement les mêmes que dans Piège de cristal).

Le capital sympathie de Grand Piano s’étiole quelque peu lors du dénouement, abracadabrantesque, avec son actrice se transformant subitement en chanteuse étoile (sans micro !), l’apparition d’un John Cusack bouffi et transparent, et une invraisemblance ultime tellement grossière qu’elle en devient presque insultante. Mais malgré tout, comme avec le Buried de Rodrigo Cortés, ici au poste de producteur, la force primitive du concept de départ, avec lequel ses créateurs s’amusent plus ou moins humblement, permet de passer un bon moment, soutenu heureusement par une partition orchestrale, signée Victor Reyes, de haute volée.