C’est un petit coup de tonnerre dans l’histoire généralement très calme des Césars 2018. Le 31 janvier, l’Académie qui récompense les films français a annoncé comme chaque année la liste des nominations et au moment du décompte, une évidence sautait aux yeux de tous les observateurs : concourant dans 6 catégories, Grave devenait de facto l’un des grands outsiders de cette cérémonie, aux côtés des cadors plus « prestigieux » de l’industrie comme Au revoir là-haut ou Barbara. Six nominations (dont meilleure réalisatrice pour Julia Ducournau), c’est peut-être un détail pour vous, mais pour les décideurs, ça veut dire beaucoup. Très apprécié par la critique, encensé à l’international, sans être un carton incroyable en salles (le film était, à raison, interdit aux moins de 16 ans), Grave a quoiqu’on en pense été un jalon important pour le film de genre français, et plus spécifiquement le film d’horreur / fantastique.
L’éternel parent pauvre du 7e art dans l’Hexagone, le vilain canard sur lequel les financeurs (et par extension les chaînes de télévision) ne veulent jamais parier, aurait-il commencé sa mue ? Serait-il devenu à la fois respecté et respectable, viable économiquement et crédible aux yeux du public ? L’arrivée de multiples projets ouvertement rattachés au genre nous pousse à croire que la malédiction qui pèse sur le gore tricolore touche à sa fin. Ainsi, dans les semaines et mois qui viennent, le public pourra découvrir dans son multiplexe du rape & revenge en Scope dans les règles (Revenge), un film de zombie apocalyptique qui évoque le méconnu Rammbock (La nuit a dévoré le monde), une anthologie de courts-métrages surnaturels initiée par le magazine SoFilm (Quatre Histoires Fantastiques), et même un film à grand spectacle inspiré de The Mist, avec Romain Duris en Parisien piégé par un mystérieux brouillard (Dans la brume). Et encore, c’est sans compte le retour attendu de Pascal Laugier avec Ghostland, nouveau thriller horrifique hyper-tendu et franco-canadien avec Mylène Farmer.
Public, es-tu (enfin) là ?
Bien sûr, ça n’est pas la première fois qu’on se prend à espérer que la France imite enfin ses voisins espagnols et britanniques, et embrasse pleinement l’idée d’un cinéma de genre décomplexé, de qualité, et pourquoi pas populaire. Pendant un temps, Le Pacte des loups et ses 4 millions de spectateurs a fait figure d’éclaireur, puis les années 2000 ont vu déferler une horde de séries B plus ou moins réussies, devenues pour certaines (Haute tension, Ils, À l’intérieur, Martyrs) cultes à l’étranger. Il y a eu, c’est un fait, une production notable même si marginale ces quinze dernières années, mais tous ces films ont un point en commun : ce sont tous des bides en salles. Le public n’y croit pas, ne veut pas y croire, et du coup, les exploitants non plus.
[quote_left] »Une nouvelle génération de réalisateurs a envie de se frotter au genre, tout comme celle qui l’a précédé. »[/quote_left]Mais ce complexe d’infériorité inexplicable (la France est après tout le pays de Georges Méliès, sans doute le premier réalisateur de films fantastiques de l’Histoire) n’est peut-être pas voué à durer. Une nouvelle génération de réalisateurs (et réalisatrices) a envie de se frotter au genre, tout comme celle qui l’a précédé. Et contrairement à Alexandre Aja, Pascal Laugier, Xavier Gens, Xavier Palud, ou encore Bustillo & Maury, ces nouvelles pousses n’auront peut-être à quitter le pays très tôt dans leur carrière pour voir leurs projets aboutir (ou même à abandonner le combat, comme a dû le faire le réalisateur Julien Mokrani avec son film de super-héros sur la Première guerre mondiale, Les Sentinelles). L’explosion du financement participatif, la diversification des modes de production – coucou, Netflix -, le travail de promotion acharné des festivals (qui ferment de moins en moins leurs portes à ces expériences, comme le prouve la récente édition 2018 de Premiers Plans), sont quelques-uns des critères qui peuvent faire la différence, et donner un sens et une visibilité à de la science-fiction, de l’horreur et du fantastique bien de chez nous.
Le « combat » n’est bien sûr pas encore gagné, puisque ceux qui gardent les cordons de la bourse sont toujours les mêmes, et que parmi les centaines de scénarios en cours de financement cette année, les trois quarts sont toujours des comédies et des drames (situés pour l’anecdote, pour une bonne moitié, en région parisienne…). Mais l’avenir va nous dire si ces longs-métrages, tous alléchants, tous classieux, et utilisant à leur manière des archétypes bien connus des amateurs, rencontrent leur public et se montrent à la hauteur des attentes. On y croit. Encore !