Hit Man : faux tueur, vraie romance
L’expérimenté Richard Linklater ose le mélange entre thriller coenien et romcom avec ce gentillet Hit Man taillé pour Glen Powell.
C’est le propre de tout cinéaste indépendant d’être insaisissable, à la fois pour son public et ses producteurs. Propulsé tête de proue du phénomène « indé » des années 90, par la grâce d’une poignée de films (Génération Rebelle, Before Sunrise, Slacker), Richard Linklater est parvenu à naviguer depuis trente ans entre petits budgets originaux synonymes de liberté de ton et commandes plus ou moins marquantes – le tout sans jamais renoncer à son intégrité d’artiste. Il émane des films de Linklater un côté chaleureux revigorant, un faux laisser-aller rafraîchissant qui rend ses projets même mineurs dignes d’intérêt. Et on ne parle même pas de son goût pour l’expérimentation et les fictions au temps étiré, de la trilogie des « Before » à Boyhood en passant par le projet multi-décennal Merrily we roll along. Après le semi-autobiographique Apollo 10 ½, le cinéaste texan est de retour avec Hit Man, une comédie policière qui sonne définitivement moins comme un projet personnel. Un film calibré pour valoriser sa vedette montante, Glen Powell (Top Gun : Maverick, Everybody wants some !, déjà de Linklater, et plus récemment Twisters et Tout sauf toi) – ici producteur et coscénariste.
Le nerd aux mille visages
Aussi incroyable que cela puisse paraître, Hit Man est tiré d’une histoire vraie, racontée dans un article de 2011 de Texas Monthly. Gary Johnson, professeur de philosophie à Houston joua durant les années 70 pour le compte de la police le rôle de faux tueurs à gages, afin de piéger des particuliers souhaitant faire supprimer un proche. Johnson aida ainsi à boucler une soixantaine d’affaires, et s’amusait pour chacune de ses rencontres à inventer une personnalité et un déguisement approprié à chacun de ses suspects. Hit Man transpose cette histoire de nos jours à La Nouvelle-Orléans, mais en conserve farouchement la déroutante invraisemblance. Fringué comme un nerd asocial à la coupe de cheveux affreuse, Powell incarne ce prof existentialiste fan de technologies et fin connaisseur d’oiseaux, auquel une équipe de policiers sortie d’une sitcom demande de prendre la place d’un collègue au pied levé. Pas de badge ? Visiblement, pas de problème !
« Le film est visuellement solaire, agréable, mais jamais brillant techniquement. »
Johnson joue si bien sa partition d’assassin sur commande que ce job secondaire devient une obsession : à chaque mission son rôle, son accent ou son déguisement farfelu. La partie comédie de Hit Man s’exprime ici, dans ces séquences où tout ce que l’Amérique compte d’ambitieux et d’éconduits revanchards tombe dans le piège tendu par ce caméléon amateur, avec un Powell nous éclairant en voix off sur ses routines et sa philosophie de vie. Car évidemment, les cours qu’il donne en parallèle portent sur les questions d’identité et d’apparence, sur la lutte entre moi et surmoi. C’est quand Johnson choisit d’inventer un alter ego chic et sûr de lui, fringué comme un Sonny Crockett des beaux jours – un Glen Powell à l’état naturel, donc – que la partie romantique du scénario, la plus fictive bien sûr, prend le dessus.
Sexy et invraisemblable
Johnson craque lors d’une mission sur la belle Madison Masters (Adria Arjona, Six Underground, Andor), une jeune femme au bout du rouleau qui veut éliminer son mari possessif et violent. Plutôt que de la piéger, il lui fait changer d’idée – et se retrouve à mesure que leur relation devient muy caliente piégé dans son personnage de tueur cool et détaché. Hit Man trouve alors son rythme de croisière, dans une ambiance pas très éloignée des polars gentiment sexy et drôles des années 80 et 90 (le souvenir d’Étroite Surveillance, avec sa romance interdite et son double jeu joué par le héros, remonte notamment à la surface).
Linklater emballe cette histoire parfaitement hollywoodienne, avec son personnage impossible d’asocial aux mille talents transformé sans explication valable en serial tombeur et improvisateur génial, sur un rythme jazzy pépère. Le réalisateur, en retrait (le film est visuellement solaire, agréable, mais jamais brillant techniquement), laisse l’alchimie de son brûlant couple vedette porter l’action, jusqu’à une conclusion encore plus invraisemblable. Certains crient au génie devant le film, sans doute parce qu’il semble débarquer d’une époque révolue, moins prude et plus amorale, où le genre était omniprésent dans nos salles et vidéoclubs. Hit Man n’est pourtant pas passéiste, mais il est difficile de le voir autrement que comme une récréation sophistiquée pour ses géniteurs – et une bande démo imparable pour son acteur principal, quasiment de tous les plans et jamais ou presque dans le même costume.