Hitcher : sur la route d’un thriller culte
Sa ressortie au cinéma et en Blu-ray collector est l’occasion de chanter les louanges de Hitcher, un idéal de série B eighties avec Rutger Hauer.
Il est rageant de constater que le grand public (et les as du marketing, bien sûr) se méprend souvent sur l’utilisation des mots « film culte ». Accolée à des titres aussi populaires que, au hasard, Retour vers le futur ou Pulp Fiction, l’expression devrait pourtant être réservée à des titres qui sont tout l’inverse de ces grands succès publics et/ou critiques. Un film culte n’est pas une œuvre que tout le monde connaît : au contraire, on parle ici de longs-métrages qui ont souvent fait un bide, été incendiés par la presse – mais dont les qualités leur ont permis de passer l’épreuve du temps, et d’être adorés par un nombre réduit, mais fidèle de connaisseurs. Comme un culte. En ce sens, Phantom of the Paradise est un vrai film culte. Sorcerer est un film culte. Hitcher en est aussi un.
Sorti en 1986 dans une certaine indifférence, malgré la présence en tête d’affiche d’un Rutger Hauer alors starisé par Blade Runner et Ladyhawke, et les prix récoltés en festival comme celui de Cognac, Hitcher est l’exemple typique d’une série B a priori basique, mais où les étoiles se sont alignées pour produire un résultat d’une qualité stupéfiante. Le film, restauré et ressorti en salles, et disponible pour la première fois en haute définition en vidéo, s’apprécie, près de 40 ans après, avec la même fascination que celle qui étreignait les spectateurs le découvrant à l’époque dans leur vidéoclub ou au détour d’une diffusion tardive.
Le passager de la pluie
Hitcher est passé en partie sous les radars parce qu’il était l’œuvre de quasi-débutants, à savoir le scénariste Eric Red et le cinéaste Robert Harmon. Le premier tente alors de percer à Hollywood et écrit le script après avoir traversé le pays en voiture de New York à Austin, Texas, pour y travailler comme chauffeur de taxi. Sous l’influence du Voyage de la peur (The Hitch-hiker en VO) d’Ida Lupino, sorti en 1953 et inspiré de l’histoire vraie d’un auto-stoppeur serial killer, et de la chanson Riders on the storm des Doors, il imagine le périple de Jim Halsey (C. Thomas Howell), étudiant convoyant une voiture à travers le désert américain, jusqu’à la Californie. Pour tromper le sommeil, un soir de tempête, il embarque un auto-stoppeur étrange (Rutger Hauer), qui dit s’appeler John Ryder (vous l’avez ?). Il ne faut pas beaucoup de kilomètres à Ryder pour révéler sa vraie nature : celle d’un psychopathe s’amusant à trucider ceux qui croisent sa route. Halsey aura beau se défendre, fuir, alerter la police, demander l’aide de la serveuse de diner Nash (Jennifer Jason Leigh, qui retrouvait Hauer après La chair et le sang), rien n’y fait : Ryder est increvable et sème mort et destruction derrière lui. L’innocent jeune homme doit répondre à la volonté perverse de ce croque-mitaine : « Je veux que tu m’en empêches ».
« Rien dans la carrière de Robert Harmon n’égalera la réputation et la longévité de cette perle des eighties. »
Auteur d’un court-métrage, China Lake, qui racontait les exactions d’un policier à moto, Robert Harmon voit dans ce script retravaillé pendant plusieurs mois par Red et ses producteurs (le premier jet avoisinait les 3 h de métrage !) l’occasion de prouver son talent. Brutal et sanglant sur le papier – et pas seulement dans la scène, fameuse, qui scelle le sort de Nash -, Hitcher effraie de nombreux studios avant que HBO et Silver Screen ne décident de produire le long-métrage pour le tourner dans le désert californien, avec un budget de 8 millions de dollars. Sur les conseils de ses producteurs, Harmon engage John Seale, directeur photo fétiche de Peter Weir (oscarisé pour Le patient anglais et nommé, entre autres, pour Mad Max Fury Road). Il a également le coup de génie de confier la musique à Mark Isham, compositeur de jazz de chambre à l’aube d’une prolifique carrière hollywoodienne. Bien qu’il n’ait plus envie à l’époque d’endosser des rôles de méchant, le Hollandais Rutger Hauer déroge à sa règle en prenant la place de Sam Elliott, initialement contacté, pour incarner le maniaque John Ryder. Face à lui, l’un des Outsiders de Coppola, C. Thomas Howell, qui sort du guerrier L’aube rouge de John Milius. Un duo charismatique et complémentaire, qui compte pour beaucoup dans la réussite du film et la richesse des interprétations que l’on peut en tirer.
Au croisement de multiples genres
Bien qu’il pourrait être décrit (et continue d’être décrit) comme un slasher dans la veine du Duel de Steven Spielberg (si le camion fou avait forme humaine, ressemblerait-il à Ryder ?), Hitcher fascine par sa capacité à s’échapper, dès ses premières minutes, des limites d’un genre, au point qu’il semble agglomérer toutes les modes de l’époque. A la fois road-movie purement américain, thriller hitchcockien ambigu, film d’horreur du samedi soir et film d’action décomplexé, le long-métrage est conçu comme une suite ininterrompue de séquences choc enrobées dans un cadre visuel et sonore hypnotique, à la frontière du fantastique. Tourné au format 2 : 35 anamorphique, Hitcher exploite avec une inventivité constante l’horizontalité de ses écrasants paysages désertiques, zébrés de bandes de bitume rectilignes sur lesquelles s’échouent de malheureux conducteurs ayant croisé Ryder.
Ce décor à la fois oppressant, cinégénique et abstrait – impression renforcée par le score synthétique, carpenterien d’Isham, à rebours là encore des attentes du genre – fait d’autant plus ressortir l’étrangeté de la relation entre Ryder et Hasley. Une relation commentée par un personnage de shérif suspicieux : « Il y a quelque chose de louche entre vous deux, et je ne veux pas savoir ce que c’est ». Les connotations homosexuelles de leurs échanges ont été largement soulignées, même à l’époque, et sont difficiles à nier (Ryder ne personnifie-t-il des pulsions, des tentations inavouées, que Halsey voudrait réprouver à tout prix ?). Plus intéressante encore, la dimension paternelle détraquée entre cet homme sans identité, possiblement démoniaque (il apparaît rarement, mais toujours sorti de nulle part, indifférent aux limites géographiques et à son environnement), et ce jeune homme perverti par la violence qu’il endure, donne un écho troublant à l’inévitable climax vengeur. Le danger a-t-il été écarté, ou un autre est-il né ?
Tous les chemins mènent à Rutger
Tous ces sous-textes symboliques, associés à la mise en scène ramassée, mais dantesque de Harmon (qui multiplie les plans déformés, travellings au ras du bitume, découpages secs et opératiques), à quelques morceaux de bravoure spectaculaires, surtout pour un petit budget, et à la prestation glaçante et jouissive à la fois de Rutger Hauer, font perdurer jusqu’à aujourd’hui la réputation de ce faux petit film bis, à la fois emblématique de la décennie qui l’a vue naître et unique en son genre. La postérité de Hitcher est d’ailleurs limitée, puisqu’il est conseillé d’oublier sa suite tardive (à laquelle participe C. Thomas Howell, qui flinguera sa carrière de tête d’affiche dès le film suivant avec la comédie Soul Man) et le remake atroce de 2007 avec Sean Bean.
Harmon, lui, n’a jamais su reproduire le coup d’éclat qui l’a fait connaître et s’est fait plus rare après l’échec de Cavale sans issue avec Jean-Claude Van Damme. Eric Red a signé dans la foulée de Hitcher le tout aussi brillant Aux frontières de l’aube, avant de réaliser quelques films gore et très bis comme Body Parts. Rien qui n’égalera donc la réputation et la longévité de cette perle obscure des eighties. L’édition Blu-ray, bien que discutable techniquement selon les spécialistes, a au moins le mérite d’être riche en bonus éclairants sur la production, la réception et l’inspiration de ses créateurs. On n’en attendait pas moins pour un film culte.