Hunt : Séoul, nid d’espions

par | 24 avril 2023

Hunt : Séoul, nid d’espions

La star de Squid Game Lee Jung-jae passe à la réalisation avec Hunt, film d’espionnage généreux en action comme en twists.

La dictature militaire enclenchée dans les années 80 en Corée du Sud, après l’assassinat du président Park en 1979, constitue, quarante ans après les faits, une matière narrative inépuisable pour les cinéastes locaux. The President’s Last Bang, 1987, A Taxi Driver ou plus récemment L’homme du Président ont creusé les recoins peu glorieux de cette période traumatisante pour le pays, marquée par la torture systématique des opposants (ou supposés opposants) au régime, et l’omniprésence des espions du KGB et de la CIA, alors que la Guerre Froide allumait ses dernières mèches. Un contexte inflammable que l’acteur Lee Jung-jae a choisi d’explorer pour son premier passage derrière la caméra avec Hunt.

Le comédien, vétéran du cinéma sud-coréen, est un visage bien connu du grand public depuis le succès intersidéral de Squid Game, dont il était la vedette. Son CV ne se résume pas à la série Netflix bien sûr, puisqu’après avoir débuté à la fin des années 90 dans des comédies et drames comme Il mare, Jung-jae a tâté de tous les genres, avec succès, d’Assassination à The Housemaid en passant par New World, Les Braqueurs ou l’an passé Deliver us from evil. La star confesse avoir passé quatre ans à préparer Hunt, film d’espionnage dont le côté tortueux, voire impénétrable, rappelle l’excellent The spy gone North, mais arrosé d’une grosse dose d’action.

On est tous le traître de quelqu’un d’autre

Hunt : Séoul, nid d’espions

L’action se déroule donc en 1980, le moment du basculement politique en Corée du Sud et donc de tension politique et militaire maximum. Un assassinat est évité de peu lors d’un déplacement présidentiel aux USA et la responsabilité retombe à la fois sur les directeurs de la sûreté intérieure et extérieure, Park Pyeong-ho et Kim Jung-do (Lee Jung-jae lui-même opposé à Jung Woo-sung, le « bon » du Bon, la Brute et le Cinglé). Ces deux autocrates ambitieux se reniflent et se jaugent en permanence, avec d’autant plus d’animosité que la preuve est faite qu’une taupe nord-coréenne a infiltré les services secrets du Sud. Pour débusquer le ou les traîtres, chacun des deux va mener l’enquête de son côté, alors que les interventions risquées, les infiltrations militaires du Nord et l’ingérence russe et américaine se font de plus en plus pressantes…

« Hunt montre les muscles dès qu’il peut
pour nous aguicher les mirettes. »

Résumer point par point l’intrigue de Hunt reviendrait à consacrer une critique entière au synopsis du film. S’il y a bien une expression qui ne correspond pas à l’œuvre de Jung-jae, c’est « scénario linéaire ». Même en étant familier du contexte historique et géopolitique de cette histoire-là, il est pratiquement impossible de suivre sans s’arracher les cheveux la trame à rebondissements de Hunt. Certaines sous-intrigues, comme celle d’un aviateur déserteur intercepté puis interrogé par nos deux anti-héros, s’invitent parfois à la fête sans que l’on comprenne ce qu’elles font là, à part rajouter de la complexité épisodique dans un casse-tête à double fond. Les allégeances et véritables motivations de Park et Kim, types carriéristes et patriotiques qui ne ménagent pas leurs équipes, constituent le véritable sel, l’intérêt principal de ce récit où le mensonge est roi, de manière bien plus retorse que dans un Infernal Affairs auquel il est permis de penser.

Du cœur à l’ouvrage

Hunt : Séoul, nid d’espions

Si la densité narrative de Hunt peut parfois laisser sur le carreau, le film se rattrape par son indéniable efficacité formelle. Ponctué de scènes d’action maousses, de son ouverture à perdre haleine à un climax guerrier et explosif qui n’en finit pas, en passant par une fusillade en pleine rue qui paie son dû à Michael Mann, Hunt montre les muscles dès qu’il peut pour nous aguicher les mirettes. Lee Jung-jae, secondé par le chef opérateur habituel de Kim Jee-woon (I saw the devil), démontre lors de ces moments de bravoure le soin apporté à sa mise en scène, avec un montage qui en décuple l’efficacité et un sens de la topographie qui fait honneur à la tradition locale des films à grand spectacle. Du bel ouvrage, comme on dit, qui n’évite pas le tout aussi traditionnel sens du mélodrame tragique, le scénario empilant les scènes de conclusion pour mieux enfoncer dans notre cerveau l’idée que loyauté aveugle et patriotisme excessif sont les deux faces d’une même impasse idéologique.